• Les castors convoqués devant le tribunal administratif

    Les castors convoqués devant le tribunal administratif

    Dans son combat contre les castors, Eric Touron, maire de Distré (Maine-et-Loire), n’a pas l’intention de lâcher prise. Le 17 septembre, il a obtenu à l’unanimité de son conseil municipal l’autorisation de présenter un recours en référé devant le tribunal administratif de Nantes, « afin d’obtenir de l’État qu’il assume totalement ses responsabilités à l’égard de cette espèce protégée ou qu’il donne l’autorisation de détruire ses barrages». En clair,  Monsieur le Maire va demander à la justice de trancher : de l’Etat ou de la commune, qui doit assurer la protection de ces rongeurs-bâtisseurs et  de leurs constructions ?

     

    L’exercice ne serait que théorique pour les habitants de Distré si une demi-douzaine de castors n’y avaient depuis trois ans élu domicile sur le Douet, un ruisseau qui alimente le marais voisin. Ils n’y font pas grands dégâts. Mais tout de même:  « leurs barrages inondent le bas d'une ferme, bloquent le passage d'un sentier pédestre et ne permettent plus d'assurer les coupes de bois comme autrefois », énumère Eric Touron. Détruire les barrages incriminés, faits de bois, de boue et de divers débris végétaux ? Impossible. En France, le castor est strictement protégé depuis 1981, et un arrêté ministériel datant d’avril 2007 a étendu cette sauvegarde à son milieu de vie, englobant ainsi tous les éléments indispensables à son maintien. L’espèce est également protégée par des textes européens, et figure notamment à l’annexe III de la Convention de Berne, ainsi qu’aux annexes II et IV de la Directive « Habitats, Faune et Flore ».

    Que faire, alors ? La commune n'est pas la seule à se poser la question.  Menacé de disparition en France il y a un siècle après avoir été intensivement chassé pour sa fourrure et sa chair, le castor a progressivement colonisé la Loire, puis ses principaux affluents où son extension se poursuit encore. Inévitablement, le retour de cet ingénieur des écosystèmes aquatiques s’accompagne de dégâts, notamment sur les petits affluents où ses barrages provoquent des inondations dans les parcelles agricoles riveraines. Dans un rapport datant de mars 2011, la Délégation inter-régionale Centre-Ile de France de l’Office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) relevait que ces cas d’inondation étaient en augmentation sur le bassin de la Loire : sur la période 1994-2002, seuls trois cas avaient été signalés, contre une quinzaine sur la période 2005-2010.

    « Face à l’augmentation de ces constats et à l’implantation de cette espèce patrimoniale sur des cours d’eau de plus en plus petits, il est nécessaire de trouver des solutions permettant d’aboutir à un compromis satisfaisant et durable entre l’homme et le castor », soulignaient les auteurs de ce rapport. Entre 2006 et 2010, l’ONCFS a ainsi expérimenté une solution technique mise en oeuvre en Amérique du Nord, notamment au Québec : la pose d’un système de siphon à travers le barrage, permettant d’abaisser le niveau de l’eau à un degré acceptable sans pour autant chasser le rongeur aux pattes griffues.

    Mais celui-ci, malin, ne s'en laisse pas si facilement conter. « Sur une dizaine de barrages aménagés, les siphons ont vite été bouchés par le castor, et les solutions apportées ne se sont pas montrées comme les plus adaptées », concluait il y a deux ans l’ONCFS. Faute de mieux, c’est pourtant cette solution que préconise Eric Touron, en lien avec les services préfectoraux. « La commune était prête à investir les 2 000 ou 3 000 € nécessaires pour installer les siphons, mais pas à assurer leur entretien. Face à ce problème, c’est aux services de l’Etat de se mettre les mains dans l’eau», estime-t-il. D'où sa décision, après plusieurs réunions en sous-préfecture n'ayant donné aucun résultat, de s'engager dans une procédure de référé administratif.

    Si le maire de Distré fait du castor une affaire d’Etat, il ne manque pas d’humour pour autant. Après avoir adressé, début 2013, cette carte de nouvel an  à ses administrés,

    il fit plus fort encore, le 19 janvier, lors de sa cérémonie des vœux. « Ce soir, je dérogerai à mon habitude de présenter mes vœux selon mon inspiration, en vous lisant la toute dernière histoire du Père Castor qui s’intitule "Les vœux du maire de Distré ». Bien au chaud devant la cheminée, le père Castor avait décidé de raconter à Câline, Grignote et Benjamin, l’histoire d’un maire qui avait défrayé la chronique en voulant expulser leurs cousins du marais de Distré… » La suite est à découvrir sur le site de Saumur Kiosque,  ou ici pour un meilleur confort de lecture. Mais  la pugnacité de Monsieur le Maire n'est pas du goût de tout le monde. Notamment à  la Ligue de protection des oiseaux (LPO), où l’on n’apprécie guère d’être nommément accusé de ne pas vouloir entretenir les siphons.

    « Cette affaire est un non-événement, estime ainsi Gilles Mourgaud, directeur de la délégation Anjou de la LPO. Dans le cadre de notre action pour la biodiversité, nos bénévoles participent en Maine-et-Loire à la cartographie des territoires occupés par le castor. Ce n’est pas pour cela qu’il leur revient d'entretenir les siphons!». Et de préciser qu’en Touraine, où les castors ont élu domicile sur la rivière Huysne, le problème a été résolu sans anicroches.  « Les employés municipaux passent une fois par semaine pour enlever les branchages qui obstruent les siphons, et tout se passe très bien », affirme-t-il.

    Catherine Vincent


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