«Restreindre l’accès à la cantine aux enfants dont les parents ne travaillent pas.» Voilà ce qu’envisage de mettre en place Cyril Nauth, maire FN de Mantes-la-Ville (Yvelines) pour la rentrée prochaine. Il a dit réfléchir à cette mesure lors d’un conseil municipal début décembre, relayé par le Parisien ce lundi. Le but affiché: faire des économies. Une annonce polémique alors que plusieurs mairies frontistes sont accusées de s’en prendre aux familles les plus modestes.Et un phénomène qui revient régulièrement dans l’actualité, plusieurs communes favorisant les enfants dont les deux parents travaillent. En 2011, le quotidien L’Humanitéen avait recensé au moins 70, même si personne n’a depuis établi de liste exhaustive. Mais c’est écrit noir sur blanc dans le règlement de certaines cantines scolaires. A Fuveau par exemple, dans les Bouches-du-Rhône, les élèves dont les deux parents sont au chômage sont interdits de cantine, «mais ils peuvent avoir une dérogation» et si l’un des deux parents travaille, «l’inscription peut se faire pour un jour par semaine». Illégal ou simplement injuste? Décryptage.

Quelles sont les raisons invoquées par les mairies ?

La plupart des édiles plaident le «manque de place», comme la directrice des services de la mairie de Fuveau. Et bien souvent, le besoin de faire des économies. «Nous allons lancer une étude pour savoir combien cela rapporterait à la commune, indique le maire frontiste de Mantes-la-Ville, Cyril Nauth. Quand les caisses sont vides, il faut bien trouver des solutions un peu partout.» Selon Paul Raoult, président de la FCPE, première fédération des parents d’élèves, ce n’est pas un hasard si les enfants de chômeurs sont visés: «Ce sont eux qui bénéficient, quand cela existe, de tarifs sociaux. Dans ce cas, une commune a tout intérêt à privilégier les familles qui paient plein pot.»

 
 

Pour les familles concernées, c’est parfois très violent à vivre. En 2012, Sébastien Durand est au chômage lorsqu’il souhaite inscrire sa fille de trois ans à la cantine de son école à Saint-Cyr-L’Ecole (Yvelines). Problème : l’enfant n’a le droit de manger avec ses copains que deux fois par semaine. «La mairie disait que c’était par manque de place et comme je ne travaillais pas, j’étais censé pouvoir m’occuper de ma fille entre midi et deux contrairement à d’autres parents. C’est extrêmement violent et c’est aussi dur pour les enfants. Ça revient à leur dire : tes parents sont au chômage donc tu ne rentres pas.»

Comment réagissent les parents?

Certains parents vont jusqu’à saisir la justice, comme Sébastien Durand. Le tribunal administratif de Versailles lui a donné raison en 2012 et, surprise, «la commune a comme par magie créé dix places en plus à la cantine sans aucun aménagement». Ce qui relativise l’argument du manque de place. Certes, deux fois plus d’enfants prennent leurs déjeuners à la cantine que dans les années 70, comme le souligne un rapport du Défenseur des Droits de 2013. Mais quand une commune manque de place et qu'elle n’a pas les moyens d’agrandir son réfectoire, il existe des solutions: «Dans ma commune, il manquait 90 places à la cantine, raconte Isabelle Maincion, maire de La-Ville-aux-Clercs (Loir-et-Cher) et ancienne coprésidente de la commission restauration de l’Association des maires de France (AMF). Mais on a réglé le problème en instaurant une entrée coulée des élèves. Et d’autres solutions existent comme la mise en place de deux services ou de bus qui amènent les enfants dans d’autres réfectoires.»

Mais pour la plupart des parents, il est difficile de s’opposer à une mairie. «Pour un petit particulier ça peut vite faire peur de s’opposer à une commune alors ils préfèrent ne rien dire», estime Sébastien Durand. Quitte à accepter des mesures parfois vexatoires. A Arthès, par exemple, commune de 2 200 habitants dans le Tarn, les chômeurs qui veulent que leur bambin mange à l’école doivent d’abord rencontrer le maire, contrairement aux autres parents. Pourtant, la commune a de la place pour tout le monde: «120 enfants mangent régulièrement à la cantine et on peut accueillir jusqu’à 200 élèves aujourd’hui avec les deux services mis en place», explique la directrice générale des services de la commune. Pourquoi les parents sans activité doivent-ils donc passer par le maire? «C’est peut-être pour dissuader les gens…», avance-t-elle avec gêne.

Est-ce que c’est légal ?

Dans les textes, «une commune n’est pas obligée de proposer un service de restauration», explique le maire frontiste de Mantes-la-Ville. Mais, «dès lors qu’un tel service existe, il s’agit d’un service public et il doit donc être accessible à tous, quelle que soit la situation professionnelle des parents», répond Paul Raoult, président de la FCPE. Pour lui, la justice est donc bien du côté des parents : «A chaque fois que les parents vont devant les tribunaux administratifs pour contester, ils gagnent».

En l’absence de loi explicite sur le sujet, «l’application concrète de ces règles à l’accès aux cantines scolaires est loin d’être claire comme de l’eau de roche», nuance Serge Slama, maître de conférence en droit public à l’université de Paris Ouest Nanterre (CREDOF). L’accès à un service public municipal n’est pas garanti à tous dans tous les cas par principe. Par exemple, une commune peut interdire l’accès à une école de musique municipale aux enfants dont les parents habitent dans une autre ville. Ce qui compte pour juger du caractère abusif ou non du tri à l’entrée du réfectoire, c’est bien la notion de discrimination. En 2009, une délibération de la mairie d’Oullins (Rhône) avait ainsi été annulée au motif qu’interdire l’accès de la cantine aux enfants de chômeurs était discriminatoire, de la même manière qu’il serait discriminatoire de refuser les noirs, les bouddhistes ou les handicapés. «Pour donner raison aux parents, il faut qu’il n’existe pas de lien objectif entre le critère posé (activité professionnelle) et l’objet du service en cause (cantine). Appliqué de manière automatique et isolée, le critère de l'activité professionnelle ne peut justifier un refus d’accès à la cantine. Mais, dans un contexte de pénurie budgétaire pour une commune et dans la mesure où c’est un service public facultatif, l’activité professionnelle combinée à d’autres critères et appliquée au cas pas cas, il n’est pas exclu qu’un juge administratif puisse admettre la légalité d’un système de priorité ou de tarifs différenciés», analyse le maître de conférence.

Certaines communes qui refusent des enfants dont les parents ne travaillent pas peuvent donc échapper aux mailles du filet juridique. «Mais cela n’en reste pas moins inacceptable sur le principe car la cantine a d’autres fonctions notamment d’intégration sociale et d’accès à un repas pour des familles en difficulté à des tarifs raisonnables», conclut Serge Slama.

Cécile BOURGNEUF