• Les mal logés forcent la porte de la campagne présidentielle

    Société Hier à 20h45

    Les mal logés forcent la porte de la campagne présidentielle

    ReportagePlus d'une vingtaine de personnes, militants et familles sans logements, ont occupé une clinique déserte à Paris. Avant de se faire déloger dimanche midi. Récit d'une opération coup de poing par notre journaliste présente dans les locaux.

    Par Floriane LECLERC (récit et photos)

    Il était 12h30 ce dimanche quand une dizaine de policiers ont forcé la porte en verre du 17, rue Duhesme, dans le 18ème arrondissement et évacué ses occupants dans le calme. Les hommes sortent les premiers, après une rapide fouille au corps pour certains. Les femmes suivent, l’une d’elles avec une poussette et sa fille de deux ans.

    Evacuation d'un squat organisé par Jeudi noir et le Dal, dimanche 8 avril.

    L’immeuble, une ancienne clinique sur cinq étages, laissée à l’abandon depuis 2009, était occupée «depuis trois jours» par des membres du collectif Jeudi Noir et de l’association Droit au logement (DAL) qui réclament l’application du droit de réquisition (depuis 1945, le gouvernement a le droit de réquisitionner des logements vacants afin de lutter contre la crise du logement). Samedi soir, ils avaient accueilli quatre familles, dont six enfants. Soit une douzaine de personnes au total, reconnus prioritaires du Droit au logement opposable (Dalo), en attente d’un logement depuis un bon moment. «Il est temps que les candidats s’engagent vraiment à changer les choses. La crise du logement est réelle en France, et elle ne fait qu’empirer depuis 5 ans», clame Manuel Domergue, porte-voix de Jeudi Noir, devant les journalistes et la vingtaine de sympathisants et d’élus qui l’attendent à la sortie du squat, après l’évacuation.

    A ses côtés, un membre du collectif contre le mal-logement s’avoue déçu: «Cela n’aura pas duré longtemps! Et pourtant, c’est du travail de monter une telle opération.»

    Après une dizaine de tentatives d’occupation avortées ces derniers mois, les militants avaient pris toutes leurs précautions: repérage minutieux des lieux, portables coupés, interdiction d’allumer la lumière près des fenêtres, chuchotements de mise… Gaëlle, militante Jeudi Noir, explique: «Un squat comme celui-là, on n’en trouve pas tous les jours. Il est propre et on pourrait y loger 50 personnes.»

    Le timing de l’occupation lui-même a été soigneusement millimétré et samedi soir, sur place, tout se déroule comme prévu. Peu avant minuit, les journalistes conviés rejoignent les familles et les militants déjà sur place. Tout le monde est sur le qui-vive. Un camion doit arriver d’une minute à l’autre avec à son bord une dizaine de matelas, autant de duvets, des boissons et de la nourriture pour la nuit et le lendemain. Il s’agit de tout décharger le plus vite et le plus discrètement possible. Au signal, deux responsables de jeudi noir s’élancent vers la porte. Une chaîne humaine s’organise alors afin d’acheminer tout le chargement à l’intérieur. Dix minutes plus tard, le camion repart. Les militants s’empressent de barricader la porte avec des planches de fortune. Les matelas sont disposés dans les cinq chambres du premier étage où dormiront les familles.

    Aux alentours d’une heure du matin, la majorité des parents et les enfants sont montés se coucher. Au rez-de-chaussée, près d’un matelas au sol, Jean, 53 ans, barbiche et casquette délavée, est toujours debout avec les militants. Il ne trouve pas le sommeil, sa situation le «hante». Expulsé de son logement il y a un an, il se retrouve à la rue et sans travail. «Je me débrouille en allant dormir à droite à gauche, mais j’ai du mal à trouver mon équilibre. Comment faire face à un employeur quand on n’a aucune adresse fixe à lui communiquer?»

    A quelques pas, adossé au mur banc craquelé, Ogema, père de trois enfants, est fatigué. «Cela fait trois ans que la mairie nous promet un logement. Pourtant, depuis 2005, nous sommes toujours hébergés par les mêmes amis», explique cet homme de 49 ans d’origine malienne. «On vit à neuf dans un trois pièces, ce n’est plus vivable.»

    Réquisition d'immeuble par jeudi noir et le Dal. Ici, Ogema, et un de ses enfants.

    Dans l’ancienne cuisine, les militants, assis en cercle, se partagent pain, chips, vodka et jus de fruits. Les rires fusent. Nerveux parfois. La soirée risque d’être de courte durée. Manuel Domergue est inquiet. «J’espère que nous n’avons pas été repérés par les voisins.» Dans un coin, près de l’entrée, un petit groupe de jeunes se concertent. Ils tentent de baptiser leur nouvelle demeure. «Pourquoi pas la Butte?». «Non, c’est une clinique. Je propose A la santé du logement…». Il est trois heures. Ce sera «la butte».

    Certains vont se coucher. Gaëlle et Adeline ne dormiront presque pas. Elles redoutent l’arrivée de «gros bras». Le mois dernier, la clinique avait déjà été occupée par une association. Le propriétaire avait envoyé des hommes pour expulser les gêneurs. «Il veut faire de cet immeuble un hôtel de standing pour touristes», s’indigne Adeline. «Il y a quand même plus urgent!». Youghourta, membre du Dal depuis 2007, est confiant: «On va tout faire pour rester, c’est sûr». Ce jeune homme de 26 ans se voit bien habiter ici une fois qu’il y aura l’eau courante. «C’est le grand luxe!»

    10h15. A travers la verrière de la grande salle du rez-de-chaussée, le soleil matinal éclaire deux tables d’appoint recouvertes de baguettes et de paquets de gâteaux. Quelques militants se sont affairés dès cinq heures ce matin pour nettoyer les lieux et préparer le petit-déjeuner. Alors que tout le monde se réveille doucement, la nouvelle retentit. «La police est là.» Quatre fourgons arrivent rue Duhesme avec à leur bord une trentaine d’hommes. La rue est rapidement barrée. La vingtaine de sympathisants venus manifester leur soutien devant les fenêtres sont priés d’évacuer, non sans bruit. Des policiers casqués se postent à l’entrée.

    Réquisition d'immeuble par jeudi noir et le Dal. Des soutiens sont repoussés par la police.

    Deux heures durant, le commissaire de police tente de convaincre les manifestants. Sans succès. Penchés aux balcons du premier étage, les militants lancent des confettis sur les policiers armés de boucliers.

    Des habitants de la rue tentent de ravitailler les occupants en eau et nourriture à l’aide d’une corde. Ils sont aussitôt maîtrisés par les forces de l’ordre. Un homme essaie même de forcer le barrage de boucliers en piquant un sprint, sous les encouragements des habitants accoudés aux balcons.

    A 12h30, un coup résonne en bas de l’immeuble. La police, qui a reçu l’autorisation du parquet, enfonce la porte. Une dizaine d’agents abrités derrières leurs boucliers, pénètrent dans les lieux. Les familles et les militants, accusés de «flagrant délit d’occupation d’espace privé», sont évacués dans le calme. Face à la file d’hommes en uniforme venus les escorter vers le dehors, des militants les regardent crânement : «Vous nous avez ramené des oeufs au moins?»


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