• Les supporters algérois chantent leur mépris pour ceux qui les gouvernent

    Les supporters algérois chantent leur mépris pour ceux qui les gouvernent

    Foule de supporters de l'USM d'Alger. Photo publiée sur Facebook.
     
    Le vent du printemps arabe n’a soufflé qu’un court instant sur l’Algérie. La rue ayant été muselée, c’est dans les stades que la jeunesse algéroise exprime sa colère. En chansons.
     
    Du président Bouteflika aux responsables de son parti, le Front de libération nationale (FLN), en passant par la sécurité militaire ou les islamistes, personne n’est épargné par les supporters de football. Sur les vidéos enregistrées pendant les matchs, en particulier dans les stades algérois, on peut entendre des chants qui ne seraient pas tolérés par le pouvoir dans des manifestations.
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    "Le stade, c’est le seul lieu où l’on peut exprimer notre rage"

    Amine T. est un cadre de 27 ans et un grand supporter de l’USM d’Alger, dont il ne rate aucun match.
     

    En Algérie, les supporters des autres clubs nous appellent les "Msam’iya", du nom qu’on donne aux femmes qui chantent dans les mariages, parce que notre club est connu pour ses chants et ses slogans très créatifs.

     
    Ce phénomène a commencé au moment des soulèvements à Alger en 1988. Nous adaptons par exemple des chansons de raï [musique algérienne populaire], ou des airs à la mode. Nous gardons la mélodie, mais changeons le texte pour le rendre sarcastique. Nos chants tournent autour de l’actualité politique et économique, que nous critiquons à notre manière. On parle des hommes politiques, de la sécurité, des attentats... On renvoie dos à dos les dirigeants actuels et les intégristes du Front islamique du salut [FIS, parti aujourd’hui interdit, dont la montée a été à l’origine des années noires du pays, dans les années 1990]. On critique également la vie chère et les privilégiés du Club des Pins [quartier huppé d’Alger], qui envoient leurs enfants faire des études à l’étranger alors que les jeunes algériens vivent dans la misère et le chômage.
     
    Le fait d’être dans une foule nous fait oublier la peur. On sait que la police ne pourra rien faire, alors qu’elle nous arrêterait tout de suite si on en disait la moitié dans la rue. Le stade, c’est le seul lieu où l’on peut exprimer notre rage.
     
    "C’est une sorte d’accord tacite : vous dites ce que vous voulez et nous faisons ce que nous voulons"
     
    Il ne faut pas croire cependant que ces slogans font peur au pouvoir. Si les supporters du PSG ou du Milan AC faisaient comme nous, cela ferait la Une des journaux en Europe. Ici, ils s’en fichent. C’est une sorte d’accord tacite : 'vous dites ce que vous voulez et nous faisons ce que nous voulons.'
     
    Ce ne sont pas tant nos slogans que notre nombre qui dérangent les autorités. Lorsque les émeutes ont éclaté à Bab el-Oued au début de l’année par exemple, la Fédération algérienne de football a suspendu momentanément les matchs. Car si la police pouvait contrôler quelques dizaines de jeunes dans un quartier, elle n'aurait pas pu venir à bout de 60 000 spectateurs à la sortie d’un stade. Je pense que le pouvoir voit donc ces chants d’un bon œil : au fond, nous nous défoulons pendant ces matchs et, une fois rentrés à la maison, nous nous tenons tranquilles.

    Si des manifestations se déclenchaient à Alger, je ne pense pas que les supporters de football y participeraient, en tout les cas pas de manière organisée. Nous n’appartenons pas à un réseau structuré, comme c’est le cas en Egypte. En période de crise, le club n’est donc pas fédérateur, surtout que les supporters ont peur de voir leur équipe sanctionnée. On se contente d’exprimer notre mépris pour ceux qui nous gouvernent."


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