• MAGHREB, l'HISTOIRE EN MARCHE

    22 juillet 2011

    Un difficile remaniement ministériel en Egypte

    Place Tahrir, le 22 juillet. REUTERS/Mohamed Abd El-Ghany

    Place Tahrir, au Caire, les centaines de manifestants qui campent depuis le 8 juillet sont encore là, deux semaines après. L'investiture du nouveau gouvernement, jeudi 21 juillet, avec la prestation de serment des ministres devant le maréchal Hussein Tantaoui, président du Conseil suprême des forces armées - CSFA, n'a pas répondu à leurs demandes. Pourtant, après la purge de l'appareil policier, ce remaniement ministériel était une nouvelle concession faite par le premier ministre égyptien, Essam Charaf.

    Initialement prévu pour lundi, le remaniement a été retardé de plusieurs jours en raison de tractations concernant plusieurs portefeuilles, ainsi que d'un malaise dû officiellement au surmenage du premier ministre, âgé de 59 ans, qui a conduit à sa brève hospitalisation. Sur sa page Facebook et sur Twitter, le premier ministre égyptien a mis un mot de remerciements pour les nombreuses personnes qui s'étaient inquiétées de sa santé :

    L'estime exprimée par certains d'entre vous pour ce à quoi je fais face, qui fait obstacle à ma performance et à la renaissance de l'Egypte, est la chose qui me réjouit le plus. Tout ce qui m'importe désormais est que vous croyiez en chaque décision que j'ai prise et que je prendrais pour l'Egypte... L'Egypte seulement et ce n'est pas de l'héroïsme feint. Merci pour l'attention que vous tous apportez à ma santé.

    "Les mots n'ont pas besoin d'explication. Nous savons déjà que M. Charaf est confronté à de nombreux obstacles que ce soit du CSFA ou des orphelins du régime Moubarak ou de pays qui n'aiment pas la révolution", réagit l'Egyptienne Zeinobia, auteure du blog Egyptian Chronicles. Selon elle, les manifestations du 8 juillet auront permis à M. Charaf d'imposer un tant soit peu ses vues, grâce au soutien de la rue.

    UNE COMPOSITION DIFFICILE

    "Ce remaniement ministériel a abondé en drames, rebondissements et revirements depuis son annonce, il y une semaine. Les ministres ont changé trois ou quatre fois, certains des nouveaux nominés ont été remplacés en un jour ou deux après que leur choix ait été contesté", note le journaliste Steve Negus, invité du podcast du blog The Arabist. Ce qui révèle, selon Ursula Lindsey, "le problème qu'il y a à trouver des personnes pour remplacer des ministres du cabinet". En effet, renchérit Ashraf Khalil, "un des problèmes typiques des régimes de transition, ayant la prétention d'incarner le consensus national, est de trouver des gens ayant une expertise et une crédibilité dans leur domaine, qui sont également connectés d'une certaine manière à l'ancien régime".

    La prestation de serment des nouveaux ministres égyptiens (en arabe).

    Une difficulté qui se traduit par la moyenne d'âge des ministres qui ont tous soixante ans ou plus, note Steve Negus, pour qui cela est un réel problème. Il en veut pour exemple, "le nouveau ministre des finances, Hazem Beblawi, âgé de 75 ans. C'est un économiste respecté, un théoricien de l'Etat rentier. Le précédent avait 60 ans et était fatigué tout le temps. Face à une crise économique et fiscale aussi profonde, que va faire un homme de 75 ans pour résister à ce niveau de stress ?". Or, renchérit le blogueur et journaliste Issandr El-Amrani : "maintenant, nous avons besoin de vitalité intellectuelle, créatrice. Nous avons besoin de personnes ayant de l'endurance".

    Parmi les victimes des tractations de dernière minute, Zeinobia dénonce, dans un autre post du blog Egyptian Chronicles, la décision prise de ne pas nommer Hazem Abdel Aziz ministre des télécommunications. La raison en est, estime-t-elle, qu'il "a fait peur au CSFA par sa franchise [...]. L'homme a appelé à avoir un civil au ministère de l'intérieur et a promis de travailler pour que les Egyptiens de l'étranger puissent voter. Il a également appelé à faire pression sur le CSFA". Et de conclure : "il a perdu un poste mais il a gagné l'admiration de millions de personnes".

    Finalement, presque la moitié des portefeuilles a changé de mains, notamment certains ministères-clé comme celui des finances, qui échoit avec l'économie à M. Beblawi, et celui des affaires étrangères qui revient au diplomate de carrière, Mohammed Kamel Amr. La blogueuse Zeinobia salue l'arrivée de Amr Helmi à la santé, "un médecin de gauche" qui a "mené la marche vers la place Tahrir des médecins du syndicat médical égyptien le 12 juillet". Ainsi que celle du juge Mohammed Atiya au développement intérieur, "l'homme qui a pris la décision historique de retirer les gardes à l'université et d'arrêter l'exportation de gaz vers Israël". Le départ de Zahi Hawass, archéologue tout aussi médiatique que controversé pour sa proximité avec le régime Moubarak, a été bien accueilli, comme le montre cette vidéo.

    DE "FAUSSES CONCESSIONS"

    Non au CSFA. REUTERS/Amr Abdallah Dalsh

    En dépit de ces changements, les manifestants de la place Tahrir ont les yeux rivés sur deux ministres restés en place : le ministre de la justice, Abdel-Aziz al-Guindi, et celui de l'intérieur, Mansour Issaoui. Au premier sont reprochées les lenteurs à traduire en justice les responsables de la mort de manifestants pendant la révolution du 25 janvier, ainsi que le clan Moubarak et les caciques de l'ancien régime. Quant au second, l'opinion de la population égyptienne à son égard demeure partagée après la purge de l'appareil policier qu'il a récemment décrétée. Toutefois, pour les manifestants, son maintien est révélateur de l'inanité du remaniement. "La réforme du ministère de l'intérieur est demandée par un grand nombre de personnes. C'est difficile de justifier de ne pas la faire", commente ainsi Issandr El-Amrani.

    "C'est une moitié de concession à la nouvelle vague de manifestation de la place Tahrir, renchérit Steve Negus. C'est un jeu à la Moubarak, une sorte de décision politique standard, complètement insuffisante et même pas nécessaire. C'est une fausse concession. Preuve en est que le ministre de l'intérieur est resté. Si ils voulaient vraiment apaiser la population, place Tahrir, ils auraient remplacé le ministre de l'intérieur par un civil. Mettez un civil bénéficiant de soutien et de pouvoir, et je pense que les gens de la place Tahrir rentreront chez eux".

    QUI GOUVERNE ?

    L'allocution télévisée du premier ministre égyptien, Essam Charaf, le 21 juillet 2011 (en arabe).

    Reconnaissant qu'il lui était "difficile" de donner satisfaction aux manifestants de la place Tahrir, le premier ministre Essam Charaf a toutefois tenté de regagner leur confiance lors d'une allocution télévisée, jeudi 21 juillet. "J'aurais pu simplement quitter mes fonctions. J'aurais été un héros national, mais j'ai le sentiment que je dois rester pour satisfaire les exigences (des manifestants)", a-t-il confié, faisant référence au faible pouvoir dont dispose son gouvernement face à l'armée. Il a précisé avoir chargé son gouvernement de préparer un plan d'action visant à "la réalisation des objectifs de la révolution et la préservation de ses acquis", avec comme priorités la lutte contre la corruption et la levée des lois d'urgence.

    "Nous sommes tous à bord du même bateau. Le peuple désire et s'exprime. le gouvernement étudie et met en application", a rappelé M. Charaf. Une vision partagée par le blogueur Issandr El-Amrani. "Les gens de la place Tahrir n'ont aucune légitimité outre le fait qu'ils sont place Tahrir. Ils ne peuvent dicter leur loi. [...] Si la place Tahrir dictait qui mettre dans le cabinet, ce ne serait pas bénéfique pour la démocratie non plus", estime-t-il. Toutefois, nuance Ursula Lindsey, "si le niveau d'identification et de sympathie pour les manifestants au sein de la population égyptienne est discutable [...], leurs demandes reçoivent un large soutien. On ne doit pas négocier avec les manifestants de la place Tahrir en tant qu'individus. Mais en qualité de porte-parole de demandes nationales, ils ont un rôle dans une certaine mesure. Le gouvernement a choisi de leur répondre, mais je pense qu'il fait le pari que le sit-in ne tiendra pas sur le long terme. Le temps joue en faveur des autorités".

    "Si les gens qui ont fait la révolution sont des vandales, alors que suis fier de dire que je suis un vandale", dit le graffiti. REUTERS/Amr Abdallah Dalsh

    Déjà, des contre-manifestations s'organisent en Egypte contre les protestataires de la place Tahrir. Vendredi 22 juillet, plusieurs centaines de membres de la mouvance salafiste ont manifesté dans un autre quartier de la ville pour réclamer la "stabilité". Ils ont appelé l'armée "à ne pas perdre le peuple pour plaire à cette minorité". Après avoir participé à la manifestation du 8 juillet, la confrèrie des Frères musulmans a finalement pris ses distances et appelé, dans un communiqué, à une "marche du million", vendredi 29 juillet, place Tahrir. Elle dénonce les "tentatives d'un certain nombre de groupes de contourner la volonté du peuple [...] telle qu'elle s'est exprimée dans le référendum de mars, et qui a abouti à une feuille de route et à un calendrier pour le transfert du pouvoir de l'armée à des autorités civiles élues par le peuple".


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