Libérés. La rumeur a circulé sur Twitter pendant une demi-heure, avant d’être confirmée par l'AFP et Le Monde. Les deux journalistes étrangers, arrêtés au Burundi jeudi, ont été relâchés après plusieurs heures d’interrogatoire. « Ils ont été libérés. Aucune charge n’a été retenue contre eux», a annoncé l’ambassadeur de France à Bujumbura, Gerrit Van Rossum, précisant toutefois que leur équipement professionnel ne leur avait pas été rendu dans l’immédiat. Envoyés spéciaux du Monde, le journaliste français Jean-Philippe Rémy et le Britannique Phil Moore, étaient détenus «dans un endroit tenu secret» par les forces de l’ordre burundais ans la capitale Bujumbura. Ils étaient accompagnés d’une quinzaine de personnes, considérées par les officiels burundais comme «des criminels armés» puisqu’opposants au régime en place.

«Si Phil a été arrêté avec des opposants, c’est parce qu’il tient à toujours donner la parole à toutes les parties en présence, raconte à Libération une de ses amies, Maïté Darnault (correspondante de Libération à Lyon). Et précisément les parties qui ne sont pas les plus accessibles, comme les opposants.» La rencontre de cette journaliste indépendante avec Phil date de 2011, à la frontière entre l’Egypte et la Libye. C’était le premier reportage de guerre du jeune photographe «très discret» de 34 ans, reconverti après une formation d’informaticien. Aujourd’hui, son amie le décrit comme un aficionado des zones de guerre. Un homme «brillant», et «très compétent sur les sujets concernant l’Afrique puisqu’il a habité cinq ans à Nairobi au Kenya».

«Une violence étatique et institutionnalisée»

Maïté Darnault décrit Phil Moore comme quelqu'un de «très pragmatique et rationnel, il est le premier à avouer sa peur et à ne pas prendre de risques inutiles». Ce matin, ses craintes portaient plutôt sur les conditions de détention en prison. «Phil a le cuir solide, il peut résister à des conditions de vie spartiates, il ne se plaint jamais, même s’il doit tenir avec une banane et une pomme pendant une semaine».

Interrogée par Libération, la fiancée de Phil Moore – leur mariage est prévu le 20 février –, Jessica Hatcher, journaliste elle aussi, était rassurante dès ce matin : «Phil a réussi à nous transmettre un message, à sa famille et à moi, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, il va bien, il n’y a actuellement aucune charge contre lui, et il n’y a aucune raison pour que ça change», précisait la jeune Britannique. «Evidemment, je suis inquiète, mais Phil est très expérimenté. C’est un journaliste responsable et raisonnable.» Jessica Hatcher confirme «la force de caractère» et «le calme» de Moore, ainsi que «son excellente connaissance de la façon de gérer ce genre de situation». Selon elle, «Jean-Philippe et Phil devraient sortir bientôt». D’ailleurs, «ce qui ennuie le plus Phil, c’est qu’il fait l’actualité alors que des choses bien plus graves se passent au Burundi». Le 24 janvier, le photographe en témoignait dans ce mail envoyée à une amie.«Pour l’instant, ça peut aller, mais la situation empire et les moyens pour travailler aussi. C’est très sinistre, il y a beaucoup d’assassinats, des gens bien placés doutent que la situation puisse s’améliorer, ils pensent plutôt l’inverse. Je serai content quand je partirai.» 

Exactions

En avril 2015, le président burundais, Pierre Nkurunziza, décide de briguer un troisième mandat malgré le boycott de l’opposition. Les manifestations, réprimées brutalement, persistent dans un pays en crise où s’est organisée  une véritable rébellion armée. Pour l’instant, l’ONU a toujours échoué à rétablir la paix, le gouvernement burundais étant très hostile à toute médiation étrangère.

«L’information libre est un concept très compliqué à expliquer aux autorités burundaises», souligne Maïté Darnault. Les exactions commises contre les médias n’ont cependant pas dissuadé Phil de faire son travail. Le 18 octobre 2013, dans un entretien à Libération, il détaillait ses motivations de reporter de guerre : «Le métier de journaliste est très important dans les guerres pour contrer la machine de propagande. Je ressens ça comme une responsabilité personnelle : je dois y aller car d’autres ne veulent pas ou ne peuvent pas y aller – de la même façon que je n’ai pas envie de couvrir le sport ou la politique.»

Hélène Gully