• Mort d'Hélie de Saint Marc, homme de refus et de réconciliation

    Mort d'Hélie de Saint Marc,

    homme de refus

    et de réconciliation

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      • Mis à jour <time data-ago="il y a 3 heures" data-original="le 26/08/2013 à 15:26" datetime="2013-08-26T15:26:43+02:00" itemprop="dateModified">le 26/08/2013 à 15:26</time>
      • Publié <time data-ago="il y a 8 heures" data-original="le 26/08/2013 à 10:52" datetime="2013-08-26T10:52:34+02:00" itemprop="datePublished">le 26/08/2013 à 10:52</time>
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    <figure class="fig-photo"> Résistant, déporté, combattant, «putschiste», détenu et finalement réhabilité… Hélie de Saint Marc, officier au grand cœur, a vécu plusieurs vies, passant de la condition de soldat perdu au statut de héros. Rue des Archives/Louis Monier.<figcaption class="fig-media-legende" itemprop="description"></figcaption> </figure>

    L'ancien officier s'est éteint ce matin à l'âge de 91 ans à La Garde-Adhémar, dans la Drôme. Il était

    devenu plus qu'un écrivain à succès, une référence morale et historique.

    Hélie de Saint Marc, qui vient de mourir, connut un destin exceptionnel. Ne serait-ce que parce qu'au

    cours de sa longue vie il fut successivement l'homme de l'humiliation, de l'engagement, de la proscription

    avant d'être finalement réhabilité.

    Humiliation: au printemps 1940, un adolescent assiste à Bordeaux à l'arrivée de l'armée française en

    déroute. Peu après, il entre dans la Résistance, décide de gagner l'Espagne, avant d'être arrêté dans

    les Pyrénées et déporté en Allemagne, au redoutable camp de travail de Langenstein.

    Engagement: en 1945, un rescapé mal à l'aise dans la France de la Libération délaisse le statut que

    peut lui conférer son passé incontestable de résistant déporté, pour endosser la défroque mal taillée

    d'officier de la Légion étrangère. Avec l'armée française, il plonge dans une guerre incertaine en

    Indochine.

    Proscription: en avril 1961, le commandant en second du 1er REP choisit la sédition pour protester

    contre la politique algérienne du général de Gaulle. Après l'échec du putsch, il connaît la prison.

    Réhabilitation: longtemps, Hélie de Saint Marc reste silencieux, muré dans ses souffrances, acceptant

    son manteau de paria. Jusqu'à ce que l'amitié quasi paternelle qu'il porte à son neveu, l'éditeur

    Laurent Beccaria, le pousse à accepter de témoigner.

     
    En 1989, Hélie Denoix de Saint Marc témoigne dans l'émission Apostrophes en 1989, après la sortie de sa biographie.

    L'ancien officier, sorti de prison en 1966, qui vit paisiblement à Lyon, en pratiquant avec bonheur

    l'art d'être grand-père, devient en quelques livres l'icône d'un pays en mal de références.

    Un mélange de tradition et de liberté

    Hélie Denoix de Saint Marc incarnait la grandeur et la servitude de la vie militaire. De tout, il tirait

    des leçons de vie. Il relatait des faits d'armes oubliés, décrivait des héros inconnus. Il avait fait du

    Letton qui lui avait sauvé la vie à Langenstein, de son frère d'armes l'adjudant Bonnin mort en

    Indochine, du lieutenant Yves Schoen, son beau-frère, de Jacques Morin, son camarade de la

    Légion, des seigneurs et des héros à l'égal d'un Lyautey, d'un Bournazel, d'un Brazza. Au fil de

    souvenirs élégamment ciselés, il dessinait une autre histoire de France, plus humaine, plus

    compréhensible que celle des manuels scolaires.

    Écouter ou lire Saint Marc, c'était voir passer, par la grâce de sa voix étonnamment expressive

    et de sa plume sensible et claire, une existence riche et intense.

    Né en 1922, Hélie Denoix de Saint Marc était un fruit de la société bordelaise de l'avant-guerre,

    et de l'éducation jésuite. Il avait été élevé dans un mélange de tradition et de liberté (n'est-ce pas

    le directeur de son collège qui l'avait poussé à entrer dans le réseau Jade-Amicol?). De sa vie

    dans les camps, de son expérience de l'inhumanité, de ses séjours en Indochine, puis en Algérie,

    il faisait le récit sobre et émouvant, jusqu'aux larmes. Et de son geste de rébellion, il parlait

    toujours avec retenue, mezza voce, comme s'il était encore hanté par les conséquences de celui-ci.

    Ses milliers de lecteurs, ses admirateurs, tous ceux qui se pressaient à ses conférences, aimaient

    en lui ceci: par son histoire se retrouvaient et se réconciliaient plusieurs France: celle de la

    Résistance, celle de la démocratie chrétienne et celle de l'Algérie française. Aux diverses phases

    de son existence, Saint Marc avait su donner une unité, en martelant: «Il n'y a pas d'actes isolés.

    Tout se tient.» C'était un être profond qui cherchait davantage à comprendre qu'à condamner.

    D'une conversation avec lui, on tirait toujours quelque chose sur soi-même, sur ses passions, ses

    tentations ou ses errements.

    Cortège d'horreur, d'héroïsme et de dilemmes

    La grande leçon qu'administrait Saint Marc, c'était que le destin d'un homme - et plus largement

    celui d'un pays - ne se limite pas à une joute entre un Bien et un Mal, un vainqueur et un vaincu.

    Il avait comme personne connu et subi la guerre, avec son cortège d'horreur, d'héroïsme et de

    dilemmes: en Indochine, que faire des partisans auxquels l'armée française avait promis assistance,

    maintenant qu'elle pliait bagage? En Algérie, que dire à ses hommes en opération, alors que le

    gouvernement avait choisi de négocier avec le FLN?

    Son parcours chaotique, abîmé, toujours en quête de sens, n'avait en rien altéré sa personnalité

    complexe et attachante qui faisait de lui un homme de bonne compagnie et lui valait des fidélités

    en provenance des horizons les plus divers.

    <figure class="fig-photo fig-media-full" itemscope="" itemtype="http://schema.org/ImageObject">

     Hélie Denoix de Saint Marc, en novembre 2011. 

    <figcaption class="fig-media-legende">

     

    </figcaption></figure>

    L'une d'elles, parmi les plus inattendues (et, au fond, des plus bouleversantes), s'était nouée il y a

    une dizaine d'années avec l'écrivain et journaliste allemand August von Kageneck. Cet ancien

    officier de la Wehrmacht avait demandé à s'entretenir avec son homologue français. Leur conversation,

    parsemée d'aveux et de miséricorde, devint un livre, Notre histoire (2002). Kageneck était mort peu

    de temps après, comme si avoir reçu le salut (et pour ainsi dire l'absolution) d'un fraternel adversaire

    l'avait apaisé pour l'éternité. Sa photo en uniforme de lieutenant de panzers était dans le bureau

    de Saint Marc, à côté de celle de sa mère, qu'il vénérait.

    Rien d'un ancien combattant

    D'autres admirations pouvaient s'exprimer dans le secret. Ce fut le cas dès son procès, où le

    commandant de Saint Marc suscita la curiosité des observateurs en se démarquant du profil

    convenu du «réprouvé». Des intellectuels comme Jean Daniel, Jean d'Ormesson, Régine

    Deforges, Gilles Perrault, un écrivain comme François Nourissier lui témoignèrent leur estime.

    Se souvient-on que ses Mémoires, Les Champs de braises, furent couronnés en 1996 par

    le Femina essai, prix décerné par un jury de romancières a priori peu sensibles au charme

    noir des traîneurs de sabre?

    En novembre 2011, Hélie de Saint Marc fut fait grand-croix de la Légion d'honneur par

    le président de la République. Dans la cour des Invalides, par une matinée glaciale, le vieil

    homme recru d'épreuves et cerné par la maladie reçut cette récompense debout, des mains

    de Nicolas Sarkozy. Justice lui était faite. Commentant cette cérémonie, il disait d'une voix où

    perçait une modestie un brin persifleuse: «La Légion d'honneur, on me l'a donnée, on me l'a

    reprise, on me l'a rendue…»

    <figure class="fig-photo fig-media-full" itemscope="" itemtype="http://schema.org/ImageObject">

     Le 28 novembre 2011, Nicolas Sarkozy remet la grand-croix de la Légion d'honneur à Hélie Denoix de Saint Marc. 

    <figcaption class="fig-media-legende">

     

    </figcaption></figure>

    À ces hommages s'ajoutèrent au fil des ans les nombreux signes de bienveillance de l'institution

    militaire (notamment grâce à une nouvelle génération d'officiers libérée des cas de conscience

    qui entravaient leurs aînés), qui furent comme un baume au cœur de cet homme qui prenait tout

    avec une apparente distance, dissimulant sa sensibilité derrière l'humour et la politesse.

    Histoire authentique ou apocryphe, il se raconte qu'un jour l'ex-commandant de Saint Marc avait

    été accosté par une admiratrice qui lui avait glissé: «Je suis fière d'habiter la France, ce pays qui

    permet à un ancien putschiste de présider le Conseil d'État.» La bonne dame confondait Hélie avec

    son neveu Renaud (aujourd'hui membre du Conseil constitutionnel). Cette anecdote recèle

    quelque vérité. La France contemporaine l'avait pleinement adopté, ayant compris que cet

    homme lui ressemblait, avec ses engagements heureux ou tragiques, ses zones d'ombre, ses

    chagrins et ses silences.

    Hélie de Saint Marc n'avait rien d'un «ancien combattant». S'il avait insolemment placardé à la

    porte de son bureau le mandat d'arrêt délivré contre lui en mai 1961, il parlait de ceux qui

    avaient été ses adversaires avec mansuétude. Quand un article lui était consacré dans Le Figaro,

    il ne manquait jamais de demander à son auteur, avec ironie: «Avez-vous eu une réaction

    des gaullistes?» Son épouse, Manette, et leurs quatre filles s'attachaient à lui faire mener

    une vie tournée vers l'avenir. Il n'était pas du genre à raconter ses guerres, s'enquérant plutôt

    de la vie de ses amis, les pressant de questions sur le monde moderne, ses problèmes, ses

    défis. Ce vieux soldat bardé d'expériences comme d'autres le sont de diplômes n'avait jamais

    renoncé à scruter son époque pour la rendre un tant soit peu plus intelligible.

    Énigme insondable

    L'existence humaine restait pour lui une énigme insondable. À Buchenwald, Saint Marc avait

    laissé la foi de son enfance. L'éclatement de tout ce qui avait été le socle de son éducation

    l'avait laissé groggy. Une vie de plus de quatre-vingt-dix ans n'avait pas suffi pour reconstituer

    entièrement un capital de joie et d'espérance. C'était un être profondément inquiet, qui confessait

    que sa foi se résumait à une minute de certitude pour cinquante-neuf de doute. Le mal, la

    souffrance, le handicap d'un enfant, ces mystères douloureux le laissaient sans voix.

    Attendant la fin, il confiait récemment avec un détachement de vieux sage: «La semaine

    dernière, la mort est encore passée tout près de moi. Je l'ai tout de suite reconnue: nous nous

    sommes si souvent rencontrés.»


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