• Mort de Pierre Bonte, ethnologue des sociétés maures

     

     

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    Mort de Pierre Bonte, ethnologue des sociétés maures

    Le Monde.fr | <time datetime="2013-11-11T18:33:14+01:00" itemprop="datePublished">11.11.2013 à 18h33</time> • Mis à jour le <time datetime="2013-11-12T11:12:15+01:00" itemprop="dateModified">12.11.2013 à 11h12</time> | Par

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    Vidéo : Pierre Bonte le 29 juin 2007, à l'Université de tous les savoirs (UTLS)

    Spécialiste de l'ethnologie des sociétés maures, Pierre Bonte est mort à Paris, le 4 novembre, à l'âge de 71 ans. Né en Flandre romane à Annœullin (Nord) le 25 août 1942, il est fortement marqué par son origine sociale : un grand-père mineur, qui fut député de gauche, un père et une mère tous deux instituteurs. Ses études secondaires le conduisent sans surprise à Lille. Puis, méritocratie républicaine oblige, il gagne Paris, la Sorbonne et le Musée de l'Homme. Si son engagement dans le champ des sciences sociales n'empêche pas son intérêt pour la psychologie (notamment celle de l'enfant), c'est finalement l'ethnologie qui va déterminer sa carrière.

    Disciple de l'anthropologue indianiste Louis Dumont (1911-1998), lui-même élève de Marcel Mauss, Bonte reprend d'emblée l'option comparatiste de son maître. Aussi, dès 1969 étudie-t-il tant les Touareg Kel Gress du Niger que les Maures de l'Adrâr mauritanien. Croisant les perspectives sur deux sociétés, saharienne et sahélienne. Objet d'une thèse de 3e cycle soutenue dès 1970 à Paris-X Nanterre sous la direction d'André Leroi-Gourhan (1911-1986), le volet sur les Touareg est aussitôt publié (1971).

    LE CHOIX DU TERRAIN EN 68

    Entrepris sous la houlette de Claude Tardits, puis d'Emmanuel Terray, le chantier de Pierre Bonte sur l'émirat maure de l'Adrâr, somme qui lui vaut le titre de docteur d'Etat en ethnologie et anthropologie sociale (1998) sera repris et mis à jour dix ans plus tard (Karthala, 2008). Mais ses premières publications sur les populations nomades du nord de la Mauritanie remontent à 1972. Et pour la première fois, dans un recueil d'études offert à son directeur de thèse, Bonte met en dialogue l'organisation techno-économique et sociale des éleveurs sahariens et sahéliens.

    Le choix du terrain de ces études remonte à 1968, au moment où les mouvements sociaux qui secouent Zouerate, cité minière créée ex-nihilo par la Société des mines de fer de Mauritanie (Miferma) à l'heure où naît la République islamique de Mauritanie, mettent en lumière une communauté dont l'anthropologie marxiste se saisit. Bonte, qui est fortement marqué par ce courant – il devait plus tard éditer, avec Claude Mainfroy, L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, de Friedrich Engels (Ed. sociales, 1983) – se passionne pour un peuple nomade jusque-là négligé par les anthropologues, pourtant nombreux au Niger si proche.

    LA PARENTÉ ET LE POLITIQUE

    Sur des sociétés pastorales et nomades auxquelles il consacre nombre d'articles et d'ouvrages, en particulier un travail de synthèse sur le pastoralisme africain avec J.G. Galaty (Herders, Warriors and Traders. Pastoralism in Africa, 1991) et des ouvrages de vulgarisation (Les Derniers nomades, Solar, 2004), Pierre Bonte contribue à la constitution d'un groupe de recherche dont l'activité se déploie au plan international. Sur le terrain, où il travaille avec une assiduité qui explique l'émotion que provoque en Mauritanie sa disparition soudaine, il découvre que nombre de travailleurs saisonniers venus du Niger pour être embauchés à la Miferma repartent chez eux à la saison de la récolte des dattes et ne reviennent pas.

    C'est ainsi que Bonte expérimente la confrontation de deux mondes unis par un nomadisme encore bien réel. Tout au long de ses enquêtes – il s'attache personnellement au Sahara, au Sahel et au Maghreb (prioritairement à la Mauritanie, mais aussi au Mali, au Niger et au Maroc) –, Pierre Bonte se fait l'anthropologue de la parenté, par des approches théoriques comme des études spécifiques sur les lieux familiaux, les alliances et les codifications juridiques : il dirige en 1994 un collectif Epouser au plus proche. Inceste, prohibitions et stratégies matrimoniales autour de la Méditerranée (éd. de l'EHESS, 1994). Comme il interroge les organisations tribales. Et, croisant encore ces deux axes, Bonte livre, avec Edouard Conte et Paul Dresch, un passionnant collectif, Emirs et présidents. Figures de la parenté et du politique dans le monde arabe (CNRS éd., 2001).

    DÉMARCHE COMPARATIVE

    Si le savant ne craint pas de collaborer à des ouvrages de vulgarisation – il signe une dizaine d'entrées, de "daza" à "znaga", dans l'excellent Dictionnaire des peuples, dirigé par Jean-Christophe Tamisier (Larousse, 1998), on signalera aussi ses contributions à l'étude des systèmes sacrificiels et des rituels de protection. Avec Anne-Marie Brisebarre et Altan Gokalp (1942-2010), comme lui passionnés par l'analyse anthropologique des idées politiques et religieuses d'aujourd'hui, il anime le collectif Sacrifices en Islam. Espaces et temps d'un rituel (CNRS éd., 1999), soulignant la diversité et la référence commune, même transgressive, à l'Islam.

    S'il se tient à la démarche comparative, qui aiguise son regard et nourrit ses analyses – le séminaire mensuel qu'il anime au Laboratoire d'anthropologie sociale (EHESS-CNRS-Collège de France) s'intitule significativement "Anthropologie comparative des sociétés musulmanes" –, Pierre Bonte suit tout ce qui s'écrit dans les champs qu'il croise et ses comptes-rendus (dans L'Homme essentiellement, mais aussi dans France nouvelle, Etudes rurales, La Pensée, Annales ESC ou La Recherche) l'imposent comme un lecteur exceptionnel. D'une pratique aiguë, l'anthropologue s'attache à repenser les notions et les concepts de sa science et l'homme de terrain se fait volontiers théoricien.

    SOMME INDISPENSABLE

    Et c'est ainsi qu'avec Michel Izard (1931-2012), disciple de Claude Lévi-Strauss et Georges Balandier à l'Ecole pratique des hautes études, qui vient alors de créer l'Association pour la recherche en anthropologie sociale (Apras), Pierre Bonte s'attelle à un Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie (PUF, 1991). Sitôt parue, la somme fait autorité et connaîtra de nombreuses traductions, tant en espagnol, en italien ou en roumain qu'en arabe ou en coréen... A la sortie de ce monumental collectif, fruit d'une démarche encyclopédique autant que critique, Georges Balandier salue dans Le Monde "la plus actuelle et la plus éclairante des explorations conduite à l'intérieur de l'espace anthropologique". Vingt ans plus tard, le Dictionnaire fait toujours référence.

    Gageons que le volume que Pierre Bonte venait d'achever, répondant à une commande de l'Agence du Sud, sur Le Sahara sous gouvernance marocaine. Identités et changement, à paraître chez Karthala en 2014, s'imposera pareillement comme une somme indispensable.

    Homme discret, peu expansif au premier abord, Bonte s'avérait très vite plein d'humour. D'une inépuisable gentillesse aussi. A l'écoute de ses nombreux doctorants, il savait mettre en valeur leurs qualités et insuffler l'énergie qui leur permettait d'accoucher de leur propre pensée. Syndicaliste convaincu, il sut ainsi contribuer à faire intégrer au CNRS bien de ces chercheurs hors statuts menacés de perdre le bénéfice de leur engagement scientifique. Pour cette générosité intellectuelle et humaine, Pierre Bonte est plus qu'un théoricien influent et un chercheur engagé : un savant mémorable.

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