Le large hélicoptère MI-17 de l'armée népalaise remonte vers le nord-est. Parti de Katmandou, il s'enfonce dans l'Himalaya, rasant les cols et épousant le relief des vallées dévastées. Dépassant le district verdoyant des rizières de Charikot, il prend de l'altitude et pénètre dans le district de Sindhulpalchok, plus encaissé et plus aride. Sur les crêtes gisent çà et là des tentes de fortune à côté de gravats.
Un district coupé du monde
Au fil du vol, les images de destruction s'intensifient et deviennent pratiquement totales lorsque l'hélicoptère se pose en hauteur d'un versant, sur le terrain de sport d'une école détruite, seule zone d'atterrissage possible à la ronde. Autour, les vestiges de maisons disséminées sur le flanc de la montagne forment le hameau de Naranthan. Coupé du monde par les glissements de terrain, il est le dernier village népalais avant la frontière chinoise du Tibet, 8 kilomètres plus loin. Depuis deux jours, l'armée y mène des opérations de sauvetage et des distributions de nourriture, alors que les craintes concernant le sort de ces populations isolées ne cessent d'augmenter. Le district de Sindhulpalchok détient le record de victimes depuis que le séisme de magnitude 7,8 a frappé le Népal samedi dernier. Un bilan provisoire y décompte 1 374 morts et 40 000 maisons détruites.
"J'assistais à un mariage, et soudain..."
En bordure de l'héliport improvisé se massent les villageois, des blessés, ainsi que des touristes indiens et occidentaux pris au piège depuis six jours. Parmi eux, les plus vaillants sont déjà partis pour rejoindre une route praticable menant à la ville, à plus de 24 heures de marche. Quant aux villageois, ils sont fermiers et âgés pour la plupart, fragilisés par l'absence de nombreux hommes qui travaillent comme ouvriers au Qatar, en Arabie saoudite et ailleurs. À la question de savoir qui est le responsable du village, les habitants ne peuvent réprimer un triste sourire et rétorquent : "Personne !" Ici, il n'y a plus d'administration ni de police. Les survivants sont sous le choc et relatent des récits dramatiques de survie. "J'assistais au mariage d'un ami, non loin, à Listi, quand le séisme a frappé, dit Mahesh Sherpa, 20 ans. Nous étions une noce de 400 personnes, et soudain les gens hurlaient, couraient ou s'accrochaient au sol. C'était comme dans un film de science-fiction... Quatre jours plus tard, j'ai marché 18 kilomètres pour revenir ici. Et j'ai découvert que pas une maison n'était indemne et que 35 cadavres avaient déjà été brûlés." Palxin Sherpa, lui, a retrouvé sa soeur enceinte de 28 ans écrasée sous le poids de sa maison. Gamini Sherpa, une mère de 38 ans, a perdu son fils de 24 ans, Mewang, et son neveu de 15 ans, Wangdi. Ils conduisaient les chèvres vers des pâturages quand un éboulement de rochers les a emportés. Les corps n'ont pas été retrouvés. "Quand je suis seule, je ne peux contrôler mon chagrin", souffle Gamini. Son dernier fils de 9 ans, Subash, laisse échapper : "J'ai peur."
Deux millions de Népalais manquent de tout
"Il nous faut vite des tentes, de la nourriture, des médicaments et des vêtements", alerte Mahesh Sherpa. Un besoin urgent pour près de deux millions de Népalais, d'après les Nations unies. Dans l'immédiat, ces villageois survivent dans une immense précarité, tout en ayant porté assistance aux touristes étrangers complètement démunis. Une équipe de trois géologues de Katmandou salue cette solidarité offerte par les plus pauvres du Népal. Eux sont sales et éreintés. "Mais en vie, souligne le chef de l'équipe Subesh Ghimire, blessé au bras. L'ironie fait que nous étions en train de faire des mesures dans le sol avec un instrument français, à Liping, près de la frontière, quand la terre a tremblé. Lors du deuxième séisme du lendemain, nous avons roulé dans des chutes de rochers. Nous avons été secourus par des villageois."
Les dégâts des répliques
Un touriste américain blessé au dos, Tenzin Palchok, 36 ans, se trouvait quant à lui sur le site des cascades chaudes de Tarupani. Il raconte avoir vu une soixantaine de cadavres en marchant sur 7 kilomètres pour se réfugier ici. "Les villageois sont très gentils avec nous, dit-il, traumatisé. Quand je vais revenir chez moi, à New York, ça va être dur ; je ne peux pas oublier." Une équipe de cinq chercheurs en vacances est également dans le village et explique que le deuxième séisme a causé beaucoup de morts et de dégâts. Enfin, huit touristes américains et canadiens âgés prennent leur mal en patience. Ils étaient en voyage culturel et s'apprêtaient à entrer au Tibet. "Nous sommes les derniers à avoir dessiné certains monuments du Népal", lance le chef du groupe, Douglas Walton, en montrant ses croquis de sculptures et de peintures de bâtiments désormais en poussières.
"Un autre séisme va survenir"
Pour le vieux paysan Sombahadur, comme pour sa communauté, il est une évidence : "Un autre séisme va survenir ; Dieu veut nous punir." Le géologue Subesh Ghimire n'en a pas perdu son sens de la science et commente : "Dans le cadre d'un méga-séisme, la situation actuelle est normale. Les répliques et les secousses vont décroitre en intensité et en nombre." Pendant ce temps, les soldats préparent les évacuations. Un léger hélicoptère Chetan, version améliorée de l'Alouette 3, vient élargir les rapatriements en effectuant des voyages rapides pour ramener quelques blessés de Tatopani, Batase, Palanse et Narianchaur. Il dépose en même temps dans ces villages ravagés des sacs de biscuits, des nouilles et du riz. De son côté, un docteur de l'armée identifie les évacuations prioritaires, ces choix étant contestés par les exclus. "La prochaine fois !" leur répond-il. Les femmes et les enfants ont la priorité, avant les touristes étrangers. En tout, 31 personnes, dont 7 enfants, sont sélectionnés.
Alors que l'hélicoptère s'apprête à redécoller vers Katmandou, ceux qui redoutent de ne pas être embarqués nous font passer des contacts téléphoniques et des messages à l'intention de leur famille . "Je suis vivant et je vais bien. J'attends l'évacuation", écrivent-ils. Certains, les Occidentaux en particulier, hésitent un instant. Puis ils ajoutent une dernière ligne à leur message : "Je vous aime."