Raffarin gâche la fête des Amis de Nicolas Sarkozy
Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy, le 5 janvier 2012, à Chasseneuil-du-Poitou. (AFP)
"Il nous a bien pourri la journée...", se désole un membre de l'association des Amis de Nicolas Sarkozy, sous couvert d'anonymat. Les sarkozystes voulaient vanter le bilan international de l'ancien président en évacuant les spéculations sur son éventuel retour, lors d'un colloque organisé mercredi 20 février, à Paris. Mais la violente charge de Jean-Pierre Raffarin contre M. Sarkozy a bouleversé le programme.
>> Lire : Raffarin lance la charge contre Sarkozy
L'ancien premier ministre a lancé un pavé dans la mare en publiant la veille du colloque des sarkozystes un réquisitoire contre la "stratégie de droitisation" de la campagne présidentielle, faisant valoir de façon cinglante le droit d'inventaire.
Dans un texte de neuf pages, intitulé "Sarkozy, les cinq occasions manquées" et paru dans "L'Etat de l'opinion 2013" (TNS Sofres/Le Seuil), le sénateur UMP estime notamment que l'ex-président aurait pu gagner la présidentielle s'il n'avait pas raté le débat télévisé de l'entre-deux-tours ou changé de premier ministre en 2010.
"IL NOUS A BIEN POURRI LA JOURNÉE..."
S'il voulait marquer les esprits et voler la vedette aux sarkozystes, M. Raffarin a réussi son coup. Dans les couloirs de la Maison de la Chimie, où se déroule le colloque, journalistes et politiques ne parlent que de ses propos.
Visiblement agacés de se retrouver sur la défensive au lieu de faire l'éloge du "meilleur d'entre" eux - pour reprendre le qualificatif employé par Rachida Dati - les responsables de l'UMP se retrouvent contraints de commenter la sortie de l'ancien locataire de Matignon.
La plupart la condamnent vivement. Lors de la conférence de presse du matin, le fidèle sarkozyste, Brice Hortefeux, donne le ton en "regrettant" que M. Raffarin "n'ait pas mis autant d'ardeur à s'engager dans la campagne présidentielle qu'il n'en déploie aujourd'hui pour la critiquer".
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"PROPOS INOPPORTUNS"
Tour à tour, les partisans de l'ex-président se relaient pour dire tout le mal qu'ils pensent des critiques formulées par le sénateur de la Vienne. "Cette sortie est très inadaptée et très choquante", tranche le filloniste Éric Ciotti. "Ce sont des propos un peu excessifs", abonde Éric Woerth, autre soutien de François Fillon. Même tonalité chez Laurent Wauquiez : "Les critiques, on doit se les appliquer à chacun et pas uniquement à Nicolas Sarkozy."
Même les copéistes préfèrent prendre la défense de M. Sarkozy plutôt que de ménager M. Raffarin, qui a soutenu Jean-François Copé pendant la campagne pour la présidence de l'UMP. "Il commet une erreur", estime Sébastien Huyghe. "Ce sont des propos inopportuns", juge Patrick Balkany.
Interrogé par Le Monde lors de son arrivée en début d'après-midi au colloque, M. Copé a tenté d'éluder en affirmant ne pas avoir lu tout le texte de M. Raffarin, tout en reconnaissant que la tonalité est "très critique".
PAS DE DROIT D'INVENTAIRE
Sur le fond, tous balaient d'un revers de la main la volonté de M. Raffarin de lancer un droit d'inventaire du précédent quinquennat. Pour les sarkozystes, aucune raison de s'autoflageller publiquement, au risque de fournir des armes à ses adversaires. "On ne va pas s'associer au concert du PS qui veut faire le bilan de Nicolas Sarkozy !", fait valoir Éric Ciotti. "Nicolas Sarkozy est assez grand pour tirer lui-même les conséquences de la défaite", estime Patrick Balkany.
A la tribune, Henri Guaino a répondu indirectement aux partisans d'un droit d'inventaire. "Non, Nicolas Sarkozy n'a pas tout réussi mais il a tout essayé avec son intelligence et son énergie", a lancé l'ex-conseiller de l'Elysee.
D'autres tentent de minimiser la portée des propos de M. Raffarin pour que la journée ne se résume pas à ses critiques. C'est l'attitude adoptée par les représentants du courant de la Droite forte. "Chacun a le droit de s'exprimer. C'est bien qu'il y ait des débats", tente de positiver Guillaume Peltier. "Sans commentaires...", évacue Geoffroy Didier pour ne pas alimenter la polémique. Christian Estrosi en fait de même, en parlant "de mots qui ont totalement dépassé (l)a pensée" de M. Raffarin.
"PAS INÉDIT DE LA PART DE RAFFARIN"
Dans un billet publié mercredi après-midi sur son blog, M. Raffarin a tenté de nuancer ses critiques contre l'ex-chef de l'Etat, tout en ne lâchant rien sur le fond en appelant les responsables de droite "à être lucides sur les causes de l’échec de la présidentielle".
Des sarkozystes voient une "cohérence" dans les propos de l'ancien premier ministre. "Ce n'est pas inédit de la part de Jean-Pierre Raffarin. C'est une voix qui a plus gêné la mise en œuvre de la politique du gouvernement que de l'accompagner", affirme Éric Ciotti, accusant la star du jour d'être "plus dans la destruction que dans la construction".
Ce n'est en effet pas la première fois que le sénateur de la Vienne a la dent dure contre Nicolas Sarkozy. En colère contre Nicolas Sarkozy, l'ex-premier ministre avait déjà gâché la fête des jeunes de l'UMP en septembre 2011, en s'indignant de la volonté du gouvernement de l'époque d'augmenter la TVA sur les parcs d'attraction.
ABOUTISSEMENT D'UNE SÉQUENCE CRITIQUE
Sa charge actuelle n'est en fait que l'aboutissement d'une séquence critique, qui a débuté après la présidentielle, et durant laquelle il a lancé une série de piques en direction de l'ancien président. "Le temps de l'analyse viendra après le 6 mai", prévenait M. Raffarin dans un entretien au Monde, publié le 26 avril, en pleine campagne présidentielle.
Dans son texte paru dans "L'Etat de l'opinion 2013", l'ex-premier ministre pointe l'exercice solitaire du pouvoir et de la campagne, qui a conduit M. Sarkozy à s'isoler et à s'illusionner sur ses chances de victoire. La critique n'est pas nouvelle. M. Raffarin fustigeait déjà l'"exercice solitaire du pouvoir" et "la stratégie du clivage" de M. Sarkozy, dans un autre entretien au Monde, publié le 21 juillet.
Le 22 décembre, M. Raffarin estimait publiquement que l'UMP doit se lancer dans un droit d'inventaire du sarkozysme. Il déclare dans un entretien au JDD que son parti doit se lancer dans "un exercice utile de vérité" pour "analyser les points forts ainsi que les faiblesses du dernier quinquennat".
RESSENTIMENT QUI DATE DES ANNÉES CHIRAC
Le 7 janvier, M. Raffarin publiait un billet sur son blog pour réaffirmer que l'UMP "n’échapper(a) pas à un inventaire de la présidence Sarkozy". Le lendemain, l'ex-premier ministre manifestait clairement son désaccord avec la ligne Buisson, en affirmant sur RMC que M. Sarkozy aurait pu gagner la présidentielle en adoptant "un positionnement un peu plus rassembleur" au lieu de suivre "la stratégie du clivage qui s’est appuyée sur une vision de droitisation de la société française".
Pour comprendre le ressentiment de M. Raffarin à l'égard de M. Sarkozy, il faut se replonger dans les années Chirac. Sur le fond, l'ancien premier ministre reproche à Nicolas Sarkozy d'avoir tenté de l'éclipser de 2002 à 2005, lorsque l'un était à Matignon et l'autre au ministère de l'intérieur. En pleine ascension, M. Sarkozy avait alors mené la vie dure à MM. Chirac et Raffarin. Ce dernier n'a pas oublié...
Les élections sénatoriales de 2011, perdues par la droite, reste le deuxième sujet ayant alimenté la rancoeur de l'ex-premier ministre. Ce dernier reproche à MM. Sarkozy et Fillon de ne pas avoir donné à la droite toutes les armes pour l'emporter. Le "Sénat n'a pas été perdu" par la droite et le centre mais "il a été donné", à cause, entre autres, d'une réforme territoriale "mal portée", d'"une réforme de la taxe professionnelle improvisée" ou d'"une désinvolture permanente vis-à-vis de la Haute Assemblée", écrit M. Raffarin dans "L'Etat de l'opinion 2013 ».
Alexandre Lemarié
Le HuffPost | Par Nabil Touati Publication: 24/02/2013 14:54 CET | Mis à jour: 24/02/2013 14:58 CET lien