Certains sont arrivés avant l'aube, pensant s'épargner une longue attente dans la chaleur moite. Peine perdue: lorsque la poste centrale de Tel-Aviv ouvre enfin ses portes, ce jeudi 29 août, plus d'un millier de personnes jouent des coudes dans la plus extrême pagaille pour accéder au centre de distribution de masques à gaz. Dans les allées qui bordent le pavé de béton, des éclats de voix trahissent la nervosité ambiante après les menaces proférées ces derniers jours par l'Iran et la Syrie. Beaucoup dénoncent le «cafouillage» des autorités qui, jugeant peu vraisemblable une attaque contre Israël, refusent pour l'heure d'ouvrir de nouveaux lieux de distribution.
Files d'attente et images de cohue
«L'atmosphère est assez étrange, sourit Ruth Rafaeli, une avocate de 43 ans qui fait la queue depuis bientôt deux heures. D'un côté, je suis presque convaincue que Bachar ne prendra jamais le risque de s'attaquer à Israël. De l'autre, on commence à ressentir une tension sans équivalent depuis que Saddam Hussein nous a frappés avec ses Scud en 1991.» Les images de cohue dans les files d'attente, diffusées en boucle par la télévision, renforcent les craintes de pénurie. De l'aveu des autorités, les stocks disponibles ne permettent d'équiper que 60% de la population israélienne. Mercredi, une distribution de masques a viré au pugilat dans la localité de Pardes Hanna, 60 km au nord de Tel-Aviv.
Face à cet accès de fièvre, le gouvernement tente de rassurer tout en s'appliquant à ne pas donner le sentiment de négliger la menace. Aux officiels de Damas et de Téhéran qui promettent de frapper Israël en cas d'opération américaine, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a rétorqué: «Nous ne sommes pas impliqués dans la guerre civile en Syrie mais si nous discernons une tentative de nous faire du mal, alors nous répliquerons de la manière la plus puissante.»
<aside class="fig-embed fig-exergue fig-media-gauche fig-exergue-gauche"></aside>«Si nous discernons une tentative de nous faire du mal, alors nous répliquerons de la manière la plus puissante. »
Mercredi, le cabinet de sécurité a ordonné le rappel d'un millier de réservistes affectés à la défense antimissile, ainsi qu'à la protection civile et aux renseignements militaires. Plusieurs batteries d'interception ont été positionnées dans le nord du pays et dans l'agglomération de Tel-Aviv. Par mesure de précaution, enfin, les autorités ont ordonné que les stocks d'ammoniac sur le site industriel d'Haïfa soient temporairement limités afin de prévenir la formation d'un nuage toxique en cas de frappe.
Si 67% des Israéliens sondés mercredi pour le quotidien Israel Hayom disent s'attendre à ce que leur pays soit entraîné dans la guerre en cas de frappes américaines, la grande majorité des analystes jugent très peu probable que le régime syrien ou le Hezbollah décident d'attaquer l'État hébreu. «Techniquement, Bachar el-Assad dispose certes d'un large arsenal d'armes chimiques ainsi que de nombreux missiles Scud capables d'atteindre n'importe quel point d'Israël. Mais quel intérêt aurait-il, alors qu'il est déjà très affaibli par deux années de guerre civile, à ouvrir aujourd'hui un nouveau front?», interroge Reuven Pedatzur, professeur de sciences politiques à l'université de Tel-Aviv.
Risque d'une réaction suicidaire
Selon Yossi Melman, spécialiste des questions de défense pour l'hebdomadaire Sof HaShavua, les menaces formulées à Damas ou Téhéran doivent plutôt être entendues comme un message adressé aux Américains. «Il s'agit de faire comprendre que la Syrie est prête à encaisser des frappes limitées sans trop broncher, analyse-t-il, mais qu'une attaque d'envergure menaçant la survie même du régime pourrait déclencher une réaction suicidaire dirigée contre Israël. En attendant, il est vraisemblable que la réponse syrienne se limitera à quelques tirs d'obus sur le plateau du Golan - tout au plus à des tirs de roquette vers la Galilée.» Dans la file d'attente qui s'étire au pied de la poste centrale de Tel-Aviv, Netta Goldin attend, stoïque, de pouvoir collecter des masques pour ses quatre enfants. «Je ne veux prendre aucun risque, même si j'ai plutôt confiance dans nos systèmes de défense», glisse cette secrétaire de 35 ans.
Qu'il s'agisse du «Dôme de fer» (destiné à intercepter les roquettes de faible portée), des missiles Patriot (moyenne portée) ou du dispositif Arrow (longue portée), les forces armées israéliennes vantent régulièrement l'efficacité de leur défense antimissile - sans pour autant dissiper totalement les craintes du public. «Si la grande majorité de la population sait pouvoir se fier à nos forces armées, observe Yossi Melman, personne n'a oublié qu'elles ont aussi été capables de se laisser surprendre par l'Égypte et la Syrie, en octobre 1973, malgré les nombreux signes précurseurs discernables à l'époque.»
Avec cet article, Cyrille Louis prend ses nouvelles fonctions de correspondant à Jérusalem