<figure><figcaption data-caption="Les insectes, comme cette libellule de l'espèce aeschne des joncs, tirent leur énergie du soleil | Randolf Manderbach">Les insectes, comme cette libellule de l'espèce aeschne des joncs, tirent leur énergie du soleil | Randolf Manderbach</figcaption></figure>
C'est une nouvelle illustration de la théorie des climats, dont les acteurs sont de chatoyants insectes. A l'échelle du continent européen, les papillons et les libellules arborant des couleurs foncées sont surtout localisés au nord, dans les pays où les températures sont plus fraîches, tandis que leurs homologues aux teintes claires préfèrent le sud, inondé de soleil.
Ce n'est pas tout : au cours des deux dernières décennies, les spécimens les plus pâles ont gagné du terrain, au rythme de la hausse de la colonne de mercure.
C'est le tableau, mi-peinture impressionniste, mi-traité d'entomologie, que dresse, dans l'édition du mardi 27 mai de la revue Nature Communications, une équipe d'écologues d'Allemagne, du Danemark et du Royaume-Uni.
Dirk Zeuss (université de Marbourg) et ses collègues ont passé à la loupe 366 espèces de papillons présentes en Europe et 107 autres de libellules, en s'attachant d'une part à leur distribution spatiale, d'autre part à la couleur de leur corps et de leurs ailes.
THERMORÉGULATION
La carte est saisissante : plus on s'éloigne du pourtour méditerranéen, où les lépidoptères et les odonates à la coloration claire sont dominants (avec une suprématie dans la péninsule ibérique, la Sardaigne, la Sicile et les Balkans) et plus le nuancier s'assombrit, les insectes à l'aspect foncé colonisant les latitudes les plus hautes (nord de la Grande-Bretagne, Norvège, Suède, Finlande).
« Pour deux des principaux groupes d'insectes, nous avons démontré un lien direct entre le climat, la couleur et l'habitat », soulignent les auteurs.
<figure><figcaption data-caption="Les libellules aux couleurs claires sont les plus nombreuses dans le sud de l'Europe, tandis que celles aux teintes foncées dominent au nord. | Zeuss et al">Les libellules aux couleurs claires sont les plus nombreuses dans le sud de l'Europe, tandis que celles aux teintes foncées dominent au nord. | Zeuss et al</figcaption></figure>
L'explication ? Elle s'apparente aux habitudes vestimentaires des humains qui, l'été, privilégient les habits clairs, ceux-ci emmagasinant moins la chaleur du rayonnement solaire que les tenues foncées.
Dans le cas des animaux ectothermes (dont la chaleur corporelle provient de l'extérieur), comme les insectes, mais aussi les lézards ou les serpents, la coloration joue un rôle-clé dans la thermorégulation. C'est du soleil qu'ils tirent l'énergie nécessaire pour se mouvoir, voler, se nourrir ou s'accoupler. A ce régime, une livrée obscure, qui stocke davantage de chaleur, est mieux adaptée aux frimas, tandis qu'une parure délavée convient aux bains de soleil, tout en évitant la surchauffe.
MONTÉE VERS LE NORD
C'est si vrai qu'en comparant la distribution géographique des libellules sur la période 1988-2006, les chercheurs ont constaté « un changement général vers des colorations plus claires », étroitement corrélé avec le réchauffement de l'Europe.
Témoins la montée vers le nord d'espèces méditerranéennes, comme l'aeschneaffine, la libellule écarlate ou l'agrion mignon, qui ont migré jusqu'en Allemagne, ou celle d'un petit papillon blanc du sud, la piéride de l'ibéride, qui a poussé encore plus haut ses incursions.
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« Le réchauffement climatique favorise les insectes clairs en Europe», concluent les auteurs, qui prévoient un plus sombre avenir pour leurs congénères. Ceux-ci pourraient être contraints d'abandonner leur territoire actuel et de se replier vers des habitats plus ombragés. « Ces résultats, ajoutent les scientifiques, constituent une base pour mieux prévoir les effets du changement climatique sur un grand nombre de groupes d'insectes. »
« Cette étude de macroécologie, la première de cette ampleur sur le sujet, montre que le changement climatique peut avoir un impact très visible sur les communautés d'insectes, commente Marianne Elias, chargée de recherche au CNRS et au Muséum national d'histoire naturelle. On savait déjà que des plantes ou des oiseaux remontent vers le nord. Mais c'est la première fois qu'est mise en évidence une adaptation à la température. »