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Pour Patrice Chéreau, une cérémonie bouleversante à Saint-Sulpice
Pour Patrice Chéreau, une cérémonie
bouleversante à Saint-Sulpice
Une heure avant le début de la cérémonie, fixée à 11h30, ses amis, ses proches, tous ceux qui l'aimaient, ont afflué en l'église où il aimait contempler le tableau de Delacroix, La Lutte de Jacob avec l'Ange. C'est au cimetière du Père-Lachaise que l'artiste repose à jamais.
Ciel gris sur la place Saint-Sulpice, hier matin. Service d'ordre en grand uniforme, fourragères rouges et distinctions. Le président de la République avait souhaité assister à la cérémonie déplacée pour lui à ce mercredi 16 octobre. Des barrières empêchaient l'accès à l'église et on ne pouvait pénétrer qu'en déclinant son identité. On vous collait alors au revers un «Post-it» de couleur, correspondant à une certaine place dans l'église…
Mais rien qui puisse troubler ensuite le déroulement d'une cérémonie belle et fervente, inscrite dans la liturgie d'une bénédiction catholique illuminée par des musiciens virtuoses, par des voix de grands chanteurs et comédiens, de proches de Patrice Chéreau et par une homélie sobre et puissante. Du monde? Oui. Il y avait beaucoup de monde. Dans la foulée du président de la République qui sortait du Conseil des ministres, Laurent Fabius, Aurélie Filippetti allaient rejoindre Catherine Tasca, amie de Patrice Chéreau, codirectrice de Nanterre-Amandiers et ancienne ministre de la Culture.
Il y avait aussi Jack et Monique Lang, Jean-Jacques Aillagon, le président du Sénat Jean-Pierre Bel, le Maire de Paris Bertrand Delanoë, Jack Ralite fidèle des artistes, Brigitte Lefèvre, qui a dirigé le ballet de l'Opéra de Paris, Stéphane Lissner qui va prendre en mains les destinées de l'Opéra. Jacques Toubon ne pouvait être là, retenu hors de France par ses obligations.
De très grands metteurs en scène de la génération de Patrice Chéreau, un peu plus jeunes, un peu plus vieux, tous dans l'admiration pour cet homme unique: Jean-Pierre Vincent et Jérôme Deschamps, les copains du lycée Louis-Le-Grand dans les années soixante, Ariane Mnouchkine, Gabriel Garran, Bernard Sobel, qui filma certaines mises en scène de Chéreau, Marcel Maréchal, Bruno Bayen, Luc Bondy, bien sûr, et sa femme Marie-Louise Bischofberger, Jean-Louis Martinelli, Emmanuel Demarcy-Mota, Robert Carsen, qui dans quelques jours donne Elektra à l'Opéra avec Waltraud Meier…
La foule était immense et dense
Il y avait la galaxie des comédiens. Le grand Michel Piccoli, frappé par l'entrée du cercueil sur une marche que l'on entend à Séville - ville qu'aimait tant Patrice Chéreau - quelque chose de funèbre et pourtant gai, quelque chose de lent et pourtant vif. Ceux qui ont travaillé avec lui, toutes générations mêlées: Hugues Quester, Laurence Bourdil, Jany Gastaldi, Gérard Desarthe, Hermine Karagheuz, Patrice Finet, ceux de La Dispute. Des deux Dispute. Roland Bertin devait être là aussi, tout comme Alain Libolt, mais la foule était immense et dense… Yves Bernard, régisseur et scénographe, lui aussi était présent, le cœur noué.
Thierry Thieû-Niang, Marie Desplechin et son époux producteur, ravagé de chagrin. La musicienne Anne-Marie Fijal, Sabine Haudepin, tous ses amis, tous ceux qui l'aiment à jamais. Catherine Hiegel, Éric Ruf qui ont joué sous sa direction. Quelques musiciens, ni Boulez ni Barenboïm ne pouvaient être là ce jour là, mais Marc Minkovski était présent. Et les deux comédiens anglais de I'm the Wind, Tom Brooke et Jack Lasky, étaient venus de Londres.
Les plus jeunes, bouleversés eux aussi, dispersés en plusieurs rangs, Clément Hervieu-Léger, Romain Duris, Philippe Calvario, mais aussi Bruno Todeschini, Marthe Keller, Jane Birkin, Jean-Hugues Anglade, Dominique Blanc, Didier Sandre, Charles Berling, Nada Strancar, Pierre et Laurent Malet. Tant d'autres. Geneviève Mnich, Maurice Bénichou, Christine Citti et son frère Marc Citti, élèves des Amandiers comme le fut Valeria Bruni-Tedeschi et tant d'autres. Toutes les promotions étaient là. Discrètes, Bulle Ogier, Nicole Garcia, Isabelle Huppert, larmes aux yeux, si fine et pâle, sa sœur, Caroline Huppert, Charlotte Rampling et d'autres encore, comme Jean-Luc Porraz, Catherine Lachens…
Des fleurs blanches attendaient sans arrogance
Pierre Guyotat, l'écrivain de Coma que Patrice Chéreau donna une dernière fois, à Avignon, l'été dernier, était aussi présent. François-Marie Banier, Agnès Varda, Étienne Chatilliez, Jean Nouvel, Gonzague Saint-Bris, tant et tant de visages amis, tant de visages encore incrédules. La famille de Patrice Chéreau aussi, bien sûr. Son frère, ses grands enfants qui ressemblent tant à leur oncle… Et Pablo Cisneros, le compagnon qui, tout à l'heure allumerait ces bougies qui accompagnent celui qui part.
Le glas résonna annonçant l'arrivée du cercueil depuis l'hôpital Beaujon où Patrice Chéreau fut soigné des années durant et où il s'est éteint, le 7 octobre dernier, à 19h. Des fleurs blanches attendaient en bouquets, en corbeilles, sans arrogance. Six jeunes comédiens du JTN (Jeune théâtre national), qui devaient jouer dans Comme il vous plaira, portaient le cercueil.
La bénédiction était célébrée par le père Alain-Christian Leraître, curé de la Paroisse de Saint-André de l'Europe, et par le père Jean-Loup Lacroix, curé de la Paroisse de Saint-Sulpice. À l'orgue Daniel Roth. Bernard Foccroule était là lui aussi, mais c'est au piano qu'il accompagna, au moment des prières, Stéphane Degout, qui chanta Schlummert ein de Jean-Sébastien Bach, magnifiquement.
C'est l'ami, le frère, l'artiste indissociable des spectacles de Patrice Chéreau qui avait évoqué sa mémoire, liminairement. Bouleversé, voix blanche, mains dans les poches au début, comme pour mieux tenir debout, Richard Peduzzi raconta ce signe incroyable du destin. Le 7 octobre, il avait dû, lui, se rendre à l'hôpital Beaujon et il avait su que Patrice Chéreau venait d'y être admis en urgence. Il vit son ami, il vit son regard darder une dernière fois sa lumière. N'est pas un signe qui nous dépasse?
La belle voix de Gérard Desarthe résonna dans l'église
Ils s'étaient rencontrés à la veille de Noël 1967, à Sartrouville. Un garçon était tout occupé à fignoler son décor, Patrice. Et lui, Richard, il n'était pas encore l'époustouflant scénographe que l'on sait… Peduzzi parla bien, avec le cœur et des images fortes et belles de ce géant… Waltraud Meier était là, splendide. Elle chanta Im Treibhaus («Dans la serre»)et Träume («Rêves») de Wagner, accompagnée au piano par Alphonse Cemin.
Clotilde Hesme, fine comme une lame, elle qui devait, enfin, jouer sous la direction de Patrice Chéreau dans Comme il vous plaira, lut un très beau sonnet de Shakespeare et Audrey Bonnet, elle aussi distribuée dans la pièce qui devait se jouer en mars 2014 à l'Odéon, se consacra aux Chansons de l'âme de Jean de La Croix.
Au nom du Père, kyrie, prière. La cérémonie se déroula avec sobriété, grandeur, pudeur. Au moment de la liturgie de la Parole, Pascal Greggory lut un extrait du chapitre de la Genèse qui rapporte le combat de Jacob et expliqua pourquoi c'était en cette belle et grande église Saint-Sulpice, que Patrice Chéreau aimait fréquenter, qu'il avait été choisi que l'on se rassemble. À l'entrée, du côté de la Chapelle des Anges, il y a les peintures d'Eugène Delacroix et, en particulier, celle de La Lutte de Jacob avec l'Ange que le metteur en scène aimait particulièrement…
Ce fut un moment très fort, comme la lecture suivant immédiatement: le grand Gérard Desarthe, qui était au travail sur Comme il vous plaira, et qui fut très proche de son metteur en scène et ami dans cette fin d'été et ce début d'automne, lut le psaume Vas-tu m'oublier. Sa belle voix résonna dans l'église, immense. La lecture de l'Evangile était: «Au commencement était le Verbe». L'homélie se noua autour de cette phrase si belle qui flottait sur l'assemblée. Avec tact, force et simplicité, le père Alain-Christian Laraître parla amour, vie, mort, désir, foi, espérance. Il savait qu'il ne s'adressait pas qu'à des croyants, mais sa parole fut grande et puissante.
Après Stéphane Degout qui, on l'a dit, chanta magnifiquement Bach accompagné de Bernard Foccroule, Valeria Bruni-Tedeschi dit les intentions de prière. Les équipes médicales de l'Hôpital Beaujon furent notamment évoquées, mais aussi les solitaires, les oubliés. Dernier adieu, encens, sortie… Dehors, une méchante pluie froide tombait. Direction le cimetière du Père-Lachaise, où Patrice Chéreau repose désormais dans la paix.
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