Non, le gouvernement ne reprendra pas la proposition du rapport Gallois sur les gaz de schiste. Il fallait s’y attendre. En face d'un texte qui recommande de mener des recherches sur les techniques d'exploitation de cette source d'énergie, Matignon poursuit la ligne de conduite définie voici deux mois par François Hollande.
Dans son discours d’ouverture de la conférence environnementale, le président annonçait l’annulation des sept demandes de permis soupçonnés de viser les gaz de schiste (trois autres ayant déjà été annulées par le précédent gouvernement l’an dernier). Et fermait dans la foulée la porte à toute exploitation de cet hydrocarbure. "Telle sera ma ligne de conduite tout au long de mon quinquennat", avait assuré le président de la République.
José Bové, eurodéputé EELV et chef de file des anti-schiste français, a applaudi. Les industriels, eux, s’en sont affligé. Leur question, qui est aussi celle de la CFDT, est la suivante : pourquoi le gouvernement tranche-t-il un débat avant même de l’avoir ouvert ? Et plus encore quand l'Angleterre et le Danemark leur entrouvrent la porte ? Réponses.
L’absence d’alternatives à la fracturation hydraulique
"Dans l'état actuel de nos connaissances, personne ne peut affirmer que l'exploitation des gaz et huiles de schiste par fracturation hydraulique, seule technique aujourd'hui connue, est exempte de risques lourds pour la santé et l'environnement", a fait valoir François Hollande. Le refus de toute exploration relèverait donc du principe de précaution. Pour l’heure, on ne sait pas extraire les gaz de schiste autrement que par cette technique. Elle consiste à briser les roches souterraines contenant le gaz en injectant sous très haute pression un mélange d'eau, de sable et de produits chimiques. Objectif : créer des fissures dans la roche, par lesquelles peut s’échapper le gaz, récupéré à la surface ou par un pipeline. Ce procédé a été spectaculairement dénoncé par le film "Gasland" pour ses effets nocifs sur l’environnement. Ce qu’on lui reproche ?
- La pollution des sols et des nappes phréatiques. De nombreux produits chimiques sont (ou ont été) utilisés pour composer les fluides de fracturation. Benzisothiazolin, dioxane et autres nonylphénol, soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens. On ne sait pas faire sans. Par ailleurs, les pollutions du sous-sol peuvent provenir de fuites de méthanes dans les nappes.
- La surexploitation de l’eau. Le forage classique d’un puits, destiné à réaliser une dizaine de fracturations hydrauliques en moyenne, consomme 20 millions de litres d’eau. Une ressource qui échappe du même coup aux autres usagers : industriels, citoyens et agriculteurs.
- La destruction des paysages. L’extraction des gaz implique de creuser des trous dans des zones actuellement vierges d’activités industrielles. Les sept permis annulés auxquels François Hollande a fait référence sont situés dans le Var, le Tarn-et-Garonne, la Drôme, la Savoie, l’Isère et le Lot. Y ajouter le passage des camions, et l’artificialisation des sols qui en découle.
- La contribution à l'effet de serre. Il arrive également que des fuites de méthane se produisent à partir des puits et lors du transport. En 2012, de telles fuites ont été confirmées dans le bassin gazier de Denver-Julesburg (Colorado), actuellement en exploitation.
Les industriels mis en cause ne nient pas ces réalités. Mais ils en font une exception, liée non pas à la technique de fracturation hydraulique elle-même mais au fait qu'elle a pu, aux Etats-Unis notamment, être pratiquée dans de mauvaises conditions. Concrètement : seuls des puits mal étanchéïfiés entraînent des fuites chimiques et gazeuses, expliquent-on chez Total. Par ailleurs, ils avancent, photos à l'appui, qu'un puits n'est guère plus destructeur de paysage qu'un parking en zone touristique. Le gouvernement social-démocrate danois, auquel participent des écologistes, a d'ailleurs été sensible à ces arguments. Il vient d'autoriser le pétrolier français à mener des explorations au Danemark.
Priorité aux énergies renouvelables
Le gouvernement préfère concentrer ses investissements sur les énergies renouvelables : lancement d’un deuxième appel d’offres éolien en mer d’ici décembre 2012, et d’un troisième en 2013 ; le gouvernement assure aussi vouloir renforcer le soutien au photovoltaïque en lançant un appel d’offres pour de grandes installations.
Dans ce contexte, le gaz naturel est perçu par beaucoup comme l’énergie de transition idéale. Pourquoi pas le gaz de schiste ? "Comment peut-on nommer énergie de transition le gaz de schiste ? On ne fait pas plus fossile !", s’irrite-t-on dans l’entourage du gouvernement. A la différence du gaz naturel, prélevé dans des poches souterraines, le gaz de schiste suppose d’extraire "les dernières ressources contenues dans la roche. L'exploitation est beaucoup plus difficile".
Le risque de rupture avec les alliés écologistes
Au sein même du gouvernement, tout le monde n’adhère pas à ce principe. Avant que Matignon ne répète, en début d’après-midi lundi 5 septembre, son refus de toute recherche de techniques alternatives, deux membres du gouvernement avaient eu le temps de prendre la défense des gaz de schiste sur les ondes. Alain Vidalies, ministre (PS) délégué aux Relations avec le Parlement et élu des Landes, a assuré ne pas considérer que le gaz de schiste devait être totalement rejeté : "Aucun d’entre nous ne pense que le gaz de schiste est quelque chose qu’il faut pour l'éternité écarter". Il réagissait aux déclarations de son collègue Arnaud Montebourg. Un peu plus tôt, le ministre du Redressement productif disait en effet vouloir "réfléchir" à l’exploitation de ce gaz.
Tollé chez les Verts ! Jean-Vincent Placé a aussitôt mis en garde le gouvernement. Pour le sénateur Europe Ecologie-les Verts, "un revirement du gouvernement serait une violation absolue de l’accord passé (entre) le PS" et son parti. "Nous pensions que le débat était clos", a-t-il ajouté. Mieux : pour les écologistes, une marche arrière du gouvernement entraînerait de facto leur départ du gouvernement. Une crise politique que le gouvernement devrait préférer s'éviter par les temps qui courent.
L’opinion y est opposée
Jean-Vincent Placé relaie la position de son parti, mais aussi celle des associations environnementales, dont l’opposition aux gaz de schiste ne faiblit pas. Celles-ci peuvent d’ailleurs s’appuyer sur la population française, en majorité opposée à l’exploitation des gaz de schiste. Selon un sondage Ifop réalisé fin août 2012, 74% des personnes interrogées sont opposées à l'exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels. Les proches d'EELV sont 97% à ne pas vouloir du gaz de schiste en France mais même à droite, le "non" qui l'emporte : 55 % d’électeurs UMP et 71% d’électeurs FN se disent contre.
En revanche, les personnes interrogées sont plus balancées quant à l'idée d'aller, malgré tout, explorer dans le sous-sol français par l'intermédiaire des forages de recherche scientifique à but expérimental. 48% qui y seraient favorables. Pas impossible que l’augmentation de la facture énergétique fasse pencher la balance plus encore en ce sens au cours des prochaines années. Dans ce pays qui abriterait, dit-on, certains des plus grands gisements d'Europe de gaz de schiste, l’opinion n’est pas prête. Pas encore ?
Morgane Bertrand - Le Nouvel Observateur