• Pourquoi les banques espagnoles tétanisent l'Europe

    Pourquoi les banques espagnoles tétanisent l'Europe

     Par Julie de la Brosse - publié le 10/05/2012 à 17:57

    Madrid vient de nationaliser la quatrième banque du pays, et s'apprête à annoncer une nouvelle réforme de son secteur bancaire. L'occasion de faire le point sur un problème qui fait trembler l'Europe

    Bankia va être nationalisée pour se débarasser de ses actifs immobiliers à risques.

    Bankia va être nationalisée pour se débarasser de ses actifs immobiliers à risques.
    REUTERS/Paul Hanna

    Nouveau rebondissement dans la crise bancaire espagnole, le gouvernement ibérique vient d'annoncer la nationalisation partielle de la quatrième banque du pays, Bankia. A la demande de cette dernière, Madrid prévoit de s'emparer de 45% du capital du groupe bancaire, en convertissant en actions les 4,5 milliards d'euros de fonds publics qu'elle lui a déjà prêtés. Le gouvernement espagnol de Rajoy prévoit également d'accorder à ce conglomérat de banques formé en 2010 une aide supplémentaire pouvant aller jusqu'à 10 milliards d'euros afin de lui permettre d'éponger ses créances douteuses. Objectif, calmer des marchés visiblement inquiets par la santé du secteur bancaire espagnol. Mercredi, pour la première fois depuis mi-avril, les taux d'emprunt espagnol à 10 ans sont repassés au-dessus des 6%, et la Bourse de Madrid a terminé à son plus bas niveau depuis neuf ans. L'Expansion.com fait le point.

    Pourquoi le secteur bancaire espagnol va si mal ?

    Les banques ibériques ne parviennent pas à se sortir de la spirale dans laquelle elles sont entrées depuis l'éclatement de la bulle immobilière en 2008. Ces dernières restent en effet plombées par les créances douteuses héritées du retournement du marché immobilier. A plusieurs reprises pourtant, l'Espagne a tenté de sauver son secteur bancaire, à coup de plans de relance, et de restructurations de ses caisses d'épargne porteuses de nombreux actifs à risques. Mais cela n'a pas suffi. Le marché immobilier a en effet continué de s'effondrer (les prix des logements ont chuté d'environ 22% depuis 2008), quand la crise économique s'est fait plus violente, ajoutant ainsi aux difficultés du secteur financier.

    Ainsi, aujourd'hui, il resterait 380 milliards d'actifs toxiques (emprunts qui pourraient ne pas être remboursées) liés au marché immobilier dans les bilans des banques espagnoles (y compris des immeubles de logements saisis en hypothèque et restés entièrement vides), soit l'équivalent de 35% du PIB. Dont 176 à 184 milliards seraient problématiques, selon les dires de la Banque d'Espagne. C'est considérable. D'autant plus que le niveau de ces créances douteuses ne cesse de progresser : en février elles sont passées à 8,15 % du total des créances, contre 7,91 % en janvier. Un record depuis 1994.

    Quel est le risque?

    Le secteur bancaire européen est l'une des préoccupations majeures du pays. En cas de défaut d'un établissement, c'est en effet toute l'économie qui risque de trinquer : déjà parce que les banques sont très interdépendantes, et qu'en cas de faillite le risque de retrait par les épargnants est démultiplié, mais aussi parce que la dette publique est en grande partie détenue par les banques espagnoles. Autrement dit, en cas de défaut, c'est la soutenabilité de la dette espagnole qui risque d'être affectée. Une situation que n'a pas arrangée la dernière opération de refinancement de la BCE, qui a conduit les établissements ibérique à acheter massivement de la dette souveraine.

    De manière plus globale, c'est bien sûr la stabilité de la zone euro qui est en ligne de mire, les marchés craignant un défaut de l'Espagne, et une propagation au reste de l'Europe. Avec pour conséquence soit une sortie de l'euro d'un ou plusieurs pays, soit des interventions massives et couteuses de la BCE.

    Que compte faire le gouvernement espagnol?

    Depuis des semaines, du gouvernement centre-droit de Mariano Rajoy est acculé par ses homologues européens pour voler au secours de ses banques. Ce qu'il s'est donc résigné à faire. Des annonces sont attendues ce vendredi, et vraisemblablement deux pistes principales se dessinent. La première est la création d'un genre de bad bank espagnole, qui permettrait de cloisonner les actifs à risque dans une structure unique à capitaux publics. Ce type de structure présente deux avantages principaux : attirer de nouveaux capitaux extérieurs dans les établissements, et améliorer la liquidité grâce à une diminution mécanique des besoins. Pour autant "l'exemple irlandais a prouvé que la bad bank n'est pas la panacée. Déjà parce que les banques sont obligées de constater de lourdes pertes dans leurs bilan au moment du transfert des actifs dans la structure de défaisance. Mais aussi parce que cela peut coûter très cher à l'Etat", explique Benoit de Broissia, analyste chez KBL-Richelieu Finances.

    L'autre annonce attendue concerne les provisions bancaires en matière immobilière. Le gouvernement souhaite en effet pousser les banques à reconnaître la perte de valeur sur leurs actifs immobiliers. Selon le quotidien économique Cinco Dias, ces nouvelles provisions devraient atteindre environ 35 milliards d'euros. Ce chiffre s'ajouterait aux 53,8 milliards déjà imposés au secteur depuis une précédente réforme annoncée en février. Mais là encore, la solution n'est pas idéale, car le marché immobilier n'est pas le seul à l'origine des pertes du secteur bancaire. " Aujourd'hui de nombreuses banques ont vu leur coût du risque se dégrader en particulier sur les crédits au PME ce qui signifie que le risque n'est pas uniquement lié à l'éclatement de la bulle immobilière", explique Benoit de Broissia. Autrement dit, le pays, qui entame sa deuxième récession en trois ans et accuse un taux de chômage de 24%, voit les défaillances se multiplier.

    Cela sera-t-il suffisant?

    C'est très difficile à dire, car l'équation est éminemment complexe : "il faut établir des niveaux de provisions suffisants pour couvrir les risques de façon crédible et assainir les bilans des banques bancaire ; parallèlement il faut prendre soin d'éviter que le marché interprète ce surcroît de provisions comme une charge insupportable pour l'Etat venu renflouer des établissements incapables d'absorber ces provisions additionnelles", explique Benoit de Broissia. Mais selon l'analyste, le problème des banques espagnoles ne se résoudra pas sans croissance :"la capacité de l'économie espagnole de renouer avec la croissance et recréer des emplois est déterminante pour apprécier la capacité de résistance du secteur bancaire du pays", conclut-il.


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