• Relaxe d'un grand magistrat

    Marc Dugain

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    Relaxe d'un grand magistrat

    Sous le portrait de Napoléon 1er drapé d'hermine siège le premier président de la cour de cassation, haute figure de la justice française pour ne pas dire d'une certaine justice française.

    Il est entouré d'une cour, mélange hétéroclite de magistrats expérimentés, de parlementaires, de notables consacrés et de la représentante de l'administration judiciaire. Tout ce beau monde occupe les trois-quarts de la salle et il ne reste qu'un quart inconfortable pour asseoir quelques représentants de la presse qui ont mesuré l'importance pour notre république de l'audience qui va se tenir. Ici on ne juge pas un tueur en série ni un mafieux notoire. Non, dans un quasi huis-clos sans gloire, le conseil supérieur de la magistrature s'est réuni pour juger l'un des meilleurs juges français si ce n'est le meilleur de l'avis même de la représentante de l'administration judiciaire. Les chefs d'accusation contre l'admirable magistrat sont présentés à la petite assemblée qui peine à comprendre qu'ils aient valu à son auteur six ans de persécution et un gel de sa carrière. Les faits qui lui sont reprochés remontent à l'époque où Renaud Van Ruymbeke instruisait le dossier des frégates de Taiwan, un vivier de corruption et de meurtres sur fond de rétro-commissions. On lui reproche d'avoir entendu à cette occasion, hors procédure, Jean Louis Gergorin, numéro deux d'EADS, le corbeau de l'affaire Clearstream, de s'être montré déloyal envers certains de ses collègues magistrats en ne leur communiquant pas des informations en sa possession et d'avoir donné accès à une pièce à conviction, un CD rom, à un expert non désigné.

    La lecture et l'examen des griefs ne laisse aucun doute sur la nature de la procédure à laquelle nous assistons: un coup monté. On constate très vite qu'aucune des charges retenues contre le magistrat n'a la moindre réalité. La réponse du juge à ses détracteurs est terrifiante. Il clame son indignation. Il parle des longues années de son instruction du dossier des frégates de Taïwan qui se sont achevées dans une impasse, fracassées par le secret défense brandi à tout propos. Il parle des morts, du coût pour la collectivités, près de 500 millions d'euros que la France est condamnée à verser à Taïwan pour corruption établie et au final pour quoi ? Pour retrouver une seule personne sur le banc des accusés, le magistrat instructeur. On sent à la mine gênée du président du C.S.M et de ses assesseurs que l'audience tourne au procès publique d'une démocratie asthmatique plus prompt à clamer des principes qu'à les respecter.

    Alors revenons un peu en arrière. De même qu'Al Qaïda avait éliminé le commandant Massoud avant de déclencher son offensive du 11 septembre, le travail de déstabilisation du juge commence peu avant l'élection de Sarkozy. Pour préparer le terrain à une offensive législative proposée en début de mandat visant à garantir l'impunité aux hommes politiques impliqués dans des affaires de rétro-commissions trois axes sont définis: étendre la portée du secret défense à des lieux entiers, raccourcir le délai de prescription de l'abus de biens sociaux et supprimer les magistrats instructeurs pour inféoder le pouvoir judiciaire au pouvoir politique.

    Sur le secret défense, il faut comprendre la logique de son utilisation systématique. Si les contrats de vente d'armement ont donné de tout temps lieu à des systèmes de rétro-commissions, les contrats civils comme l'eau et l'assainissement ont longtemps été le principal vecteur de financement des partis politiques et des enrichissements personnels qui y sont liés, contrairement aux dénégations courantes qui viseraient à ramener ces manoeuvres à des oeuvres philantropiques. Mais les contrats d'armement ont une vertu qu'on ne trouve dans aucun contrat civil, l'exécutif peut opposer au magistrat instructeur un secret défense qui le conduit le plus souvent à l'impuissance. Et les instructions en viennent à durer, durer, et on sait que les politiques ont depuis longtemps fait du temps et de ses effets sur la mémoire leur meilleur allié.

    La manoeuvre pour discréditer un magistrat incorruptible, emblème d'une justice indépendante, de droite comme de gauche, aura finalement échoué. Devant l'inconsistance des charges retenues contre le juge et la qualité de son dossier professionnel, la ministre a décidé de ne pas demander de sanction contraignant la cour à quitter le monde de l'infiniment petit pour recoller à la réalité en lavant le juge de toute charge. Mais le sort à ses ironies. Renaud Van Ruymbeke s'est vu confier le dossier Karachi qui n'aurait pas dû lui revenir si carrière n'avait pas été ralentie. C'est ce qu'il advient quand des pieds nicklés pensent pouvoir peser sur l'équilibre d'une démocratie qui, avec cette décision de relaxe, a montré qu'elle est encore capable de raison.


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