Il est neuf heures et Maria s'est déjà recouchée. Après avoir préparé le déjeuner qu'emporteront ses deux enfants, Yiannis et Eleni, à l’école, après s'être assuré que la plus grande de 13 ans avait pris son bus scolaire, elle s'est rendormie. Tous les jours de la semaine, c’est le même rituel. Parce qu'elle "aime dormir". Elle a toujours fait comme ça, même avant qu'elle ne perde son emploi, il y a un an. Quand elle était directrice artistique d'un grand magazine féminin américain, elle ne commençait jamais sa journée de travail avant midi. Alors, elle dit qu'elle a gardé cette habitude. C'est certain, si elle était motivée par un projet, même quelconque, elle rendrait sa matinée plus productive. Quand on lui demande si elle n'essaye pas de fuir la réalité en dormant, elle répond "peut-être" et commence à se confier un peu plus.
Sans lendemain
C'est un mal invisible dont souffre une majorité silencieuse. Une angoisse qui dépasse de loin les difficultés matérielles consécutives à la crise d'austérité. Plus que le pouvoir d'achat qui se réduit, les Grecs sont avant tout frappés dans leur santé psychique. Cela pourrait paraître dérisoire, mais l'idée de ne pas savoir de quoi demain sera fait et de ne pas trouver de solution à la précarité, les pousse parfois jusqu'au suicide.
Pendant longtemps, Maria n'arrivait pas à dormir, manquait de motivation et se sentait découragée par l'ampleur de l'effort à fournir pour retrouver un travail. "C'est la première fois de ma vie que je me retrouvait au chômage. Je n'avais rien à faire et j'avais l'impression de ne servir à rien", confie-t-elle. Avant de prendre la décision d'occuper son temps et de gagner un peu plus d'argent en passant de la musique dans les bars d'Athènes, Maria a dû affronter une certaine solitude. "Je pensais que la crise allait rendre solidaires les Grecs entre eux. J'ai constaté qu'au contraire chacun se repliait sur soi pour combattre la crainte du lendemain". Son couple a explosé en vol, son ancien ami n'a pas compris son désarroi, selon elle.
Humiliation
Plusieurs de ses amis n'ont toujours pas retrouvé de travail. L'un d'eux s'est décidé à 40 ans à rencontrer une psychologue pour la première fois de sa vie, "une bonne décision pour éviter la dépression". "De plus en plus d'hommes vont voir un psy", raconte Maria. "S'ils n'ont pas assez d'argent pour subvenir aux besoins de leur femme, pour offrir des cadeaux à leur petite-amie, qu'ils se retrouvent dans l'incapacité de payer leur loyer ou d'honorer leurs dettes, ils se sentent écrasés par un poids très difficile à supporter. En Grèce où la société est très matérialiste et attache de l'importance à l'apparence, ce sentiment est plus fort qu'ailleurs".
Et il y a l'humiliation publique qui noirci davantage le tableau d'une société à bout de souffle. L'impression que la terre entière ne les aime plus. "En France, vous pensez vraiment ce que vous dites sur les Grecs ?", demande Maria, craignant une réponse qui pourrait la décevoir et confirmer ses doutes. Ses amis aussi posent la question et pressentent comme un "racisme anti-Grecs" qui pourraient leur fermer les portes du marché européen. Certaines rumeurs vont jusqu'à répandre l'idée que les Allemands ne veulent pas d'eux sur leur sol. Des histoires comme ça, chaque Grec en a à raconter.
Anxiolytiques et suicides en hausse
La consommation d’anxiolytiques a progressé en Grèce. La ligne téléphonique d'urgence pour l'écoute des personnes dépressives évalue à plus d’un tiers les appels passés en raison des difficultés financières.
Traumatisés, de plus en plus de Grecs sont acculés au suicide. Le ministère de la Santé a recensé au premier semestre 2011, une hausse des suicides de 40% par rapport aux six premier mois de 2010. Dans une société majoritairement orthodoxe et catholique, ces chiffres pourraient être sous-évalués. D'après les chiffres de l’OMS, le suicide s'élève à 3,5 pour 100.000 habitants. Insignifiant comparé à d’autres pays européens, mais significatif d'une tendance qui ne devrait aller qu'en s’amplifiant.
Pour seule note positive, Maria se réjouit du développement de médecines alternatives et de la multiplication des cours de bien-être. "Peut-être que nous commençons enfin à vouloir chercher une solution pour trouver un mode de vie qui soit compatible avec la crise ?"
Sarah Diffalah à Athènes – Le Nouvel Observateur