"C'est génial ! Il y a quelques années, je ne savais pas si je pourrais revenir ici et de nouveau jouer à un niveau professionnel. Je ne savais pas si je pourrais reconquérir cette place." Maria Sharapova n'a plus de doutes. Sur la terre ocre du court Philippe Chatrier, la belle sibérienne aux cheveux d'or et aux jambes interminables savoure son premier sacre à Roland-Garros. Son entrée dans le cercle très fermé des joueuses lauréates des quatre Grand Chelem. La dernière à avoir réalisé cet exploit est Serena Williams, il y a déjà 10 ans, en 2002. Alors que l'Américaine, donnée grande favorite, a sombré d'entrée, la Russe, qui disait encore il y a deux ans se sentir "comme une vache sur des patins à glace" sur terre battue, est la nouvelle reine de la porte d'Auteuil. Et marque son retour à la première place mondiale qu'elle avait abandonnée en 2008, contrainte et forcée d'interrompre sa carrière pour soigner une lourde blessure à l'épaule droite. Tombée à la 126e place mondiale en 2010, l'ex numéro 1 avait même craint, un temps, de ne jamais pouvoir rejouer. Cette traversée du désert a rendu plus forte celle dont le monde entier a découvert l'extraordinaire tempérament lors de sa première victoire en Grand Chelem à Wimbledon en 2004, à l'âge de 17 ans.
Une cogneuse au mental de fer et à la technique irréprochable
Un caractère de fer mis plusieurs fois à rude épreuve par le public de Roland. Comme souvent à Paris, les tourments ont précédé la love story. La Russe y a été plusieurs fois sifflée. Et pas uniquement pour sa plastique. Plutôt du dédain. Parce qu'elle n'est pas considérée comme une artiste, mais une cogneuse; parce qu'elle crie fort, tellement fort; et parce qu'avec son physique de mannequin, ses airs de princesse et ses tenues de gala, le public parisien a oublié qu'elle était aussi une sportive, dotée d'une combativité sans pareil. C'est cette formidable détermination qui lui a permis de gagner, enfin, le seul grand tournoi qui lui échappait.
Complètement remise et libérée de son complexe sur terre battue, Masha, ainsi qu'elle est surnommée, entame une deuxième carrière à seulement 25 ans. Derrière cette ambassadrice de charme de multiples marques, il y a un mental à toutes épreuves. Il suffit de la voir jouer pour le comprendre. Sur le court, Maria Sharapova est une lionne qui rugit à chaque coup de raquette. Et comme si cela ne suffisait pas, elle jouit d'une technique, certes mécanique mais irréprochable, à l'image de Roger Federer chez les hommes. Puissante, appliquée, elle ne possède ni le toucher ni l’aisance de déplacement du maestro, mais elle ne tremble jamais. Désormais, "Masha" partage le même destin que le Suisse: elle est entrée pour de bon dans le club très select des plus grands champions de l'histoire du tennis. Celles et ceux qui ont remporté tous les Grand Chelem. Avant Serena Williams, seules Steffi Graf, Christ Evert, Martina Navratilova et Margaret Court ont réussi cet exploit ces cinquante dernières années !
La Grace Kelly du tennis
Samedi 8 juin, la surprenante italienne Sara Errania bien essayé de la contrer. En vain. Rien n'a pu arrêter la reconquête de la Sibérienne, lancée dans le grand bain à seulement 14 ans. Tout va alors très vite. Trop peut-être. Trois ans plus tard, elle remporte Wimbledon, devenant ainsi la troisième plus jeune joueuse de l'histoire, derrière Martina Hingis et Lottie Dod, à s'imposer en Grand Chelem. Une étoile est née. La WTA, qui régit le circuit féminin, est aux anges. L'association tient sa Grace Kelly. Une bombe dans le désert après les retraites de Graf, Sabatini ou Seles. Sa nouvelle star et cash machine. Les marques se l'arrachent. A commencer par Rolex ou Tiffany's qui la font reine de l'élégance. Son physique fait rêver les jeunes filles, fantasmer les hommes. Lorsqu'elle pose en Une du supplément maillot de bain de "Sports Illustrated", le fameux Swimsuits, le magazine américain bat des records. Un charme qu'elle monnaye à merveille. A 20 ans, elle est l'une des athlètes les mieux payées de la planète. Mais la belle Maria, sollicitée par le showbizz, ne perdra jamais de vue les courts. En 2006, elle conquiert l'US Open. Deux ans plus tard, c'est à Melbourne qu'elle triomphe. A cette époque, elle bataille contre les Belges Justine Henin et Kim Clijsters, les soeurs Williams et leur compatriote américaine Lindsay Davenport.
Aujourd’hui, malgré l'émergence d'Azarenka ou de Kvitova, la voie semble dégagée. Dans moins d'un mois, à Wimbledon, où elle s'est révélée aux yeux du monde, Masha aura l'occasion d'asseoir son règne sur le tennis féminin. Et de dépasser tous les espoirs placés en elle par l'une des plus grandes joueuses de tous les temps, Martina Navratilova, qui l'avait découverte alors qu'elle n'avait que six ans. A Londres, elle réalisera peut-être un double exploit, en remportant Wimbledon puis le titre olympique.
Stéphane Arteta et Benjamin Harroch - Le Nouvel Observateur