• Sera-t-on noyé sous le "nouveau pétrole" ?

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    Sera-t-on noyé sous le "nouveau pétrole" ?

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    <time datetime="2013-07-23T19:13:18" itemprop="dateCreated">Créé le 23-07-2013 à 19h13</time> - <time datetime="2013-08-11T18:39:54" itemprop="dateModified">Mis à jour le 11-08-2013 à 18h39</time>

    La découverte de nouveaux gisements augmente les réserves mondiales et menace la suprématie des pays du Golfe. Avec un nouveau danger : l'huile de schiste, encore plus polluante que le pétrole classique.

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    Carte de la capacité de production de pétrole (en millions de barils, en 2012 et en 2020). (Mehdi Benyezzar - Le Nouvel Observateur)

    Carte de la capacité de production de pétrole (en millions de barils, en 2012 et en 2020). (Mehdi Benyezzar - Le Nouvel Observateur)

    (Article publié dans "le Nouvel Observateur" du 21 février 2013)

    "En 2020, les Etats-Unis deviendront le premier producteur mondial de pétrole, devant l'Arabie saoudite." Les puits du Golfe détrônés par les derricks du Dakota ! Même si elle ne fait pas l'unanimité chez les experts, la prévision de l'Agence internationale de l'Energie (AIE) a fait l'effet d'un séisme (1). Aux Etats-Unis, mais aussi en Amérique du Sud et en Afrique, les découvertes de gisements s'accélèrent et pourraient remettre sérieusement en question la théorie du "pic pétrolier". Cette hypothèse a été présentée pour la première fois en 1956. Le géophysicien américain Marion King Hubbert professait que l'extraction d'or noir allait atteindre un maximum avant de s'engager dans un inexorable déclin.

    Depuis, les experts s'écharpent pour savoir à quelle échéance ce pic se produira. Les pessimistes le voyaient survenir au milieu des années 2000. Mais, en juin dernier, un rapport rédigé pour la Harvard Kennedy School est venu relancer le débat. Selon Leonardo Maugeri, ancien directeur de la stratégie du pétrolier italien ENI, nous n'aurions aucun souci à nous faire pour notre approvisionnement futur en énergies fossiles.

    Quel "nouveau pétrole" a-t-on découvert ?

    Comment les experts ont-ils pu se tromper à ce point ? "Ils ont sous-estimé le potentiel du pétrole non conventionnel", écrit Leonardo Maugeri dans son rapport. Depuis le forage du premier puits par l'Américain Edwin L. Drake en 1859 à Titusville, en Pennsylvanie, nous utilisions pour l'essentiel du pétrole provenant de réservoirs enfouis à 2.000 ou 3.000 mètres sous la terre. Ce pétrole classique et facilement accessible se trouve à 70% au Moyen-Orient. Mais, depuis trois ans, l'industrie s'est mise aussi à exploiter en grande quantité d'autres sortes de pétrole, qui se situent à 70% sur le continent américain.

    Aux Etats-Unis, il s'agit d'"huile de schiste", un cousin germain du gaz de schiste. On l'appelle également "huile de roche-mère", car elle y est restée piégée au lieu de s'écouler dans une cavité extérieure. Au Venezuela et au Canada, les compagnies pétrolières utilisent des "schistes bitumineux", qui se présentent sous une forme visqueuse et épaisse, mélange de pétrole, d'eau et de sable, qu'il faut chauffer à haute température et liquéfier avant d'obtenir une matière suffisamment liquide pour être raffinée.

    Où se trouvent les nouvelles réserves d'or noir ?

    Les compagnies pétrolières ont engrangé des profits record en 2012, grâce au maintien du prix du baril à plus de 100 dollars. Elles ont dépensé quelque 80 milliards d'euros pour leurs activités d'exploration l'an passé, soit quatre fois plus qu'il y a dix ans. Résultat, pas moins de 300 gisements ont été découverts, après deux années (2010 et 2011) déjà fastes. Tout d'abord, le développement des études sismiques en trois dimensions a permis de mettre au jour de nouvelles réserves off shore au Brésil, en Argentine, en Angola ou encore au Kenya.

    "Et nous possédons désormais le savoir-faire technologique pour aller forer à 2.000 mètres, voire 3.000 mètres au-dessous du niveau de la mer", précise Guillaume Chalmin, directeur de la stratégie de la branche exploration-production de Total. La part de l'off shore dans la production mondiale pourrait ainsi passer de 10% en 2012 à 16% dans trois ans. Ensuite, la pacification (relative) de l'Irak a permis d'inscrire dans les réserves dites récupérables d'immenses ressources inexploitées, pour lesquelles des infrastructures devraient être construites.

    "Mais la vraie surprise de 2012 est l'envolée du pétrole de schiste aux Etats-Unis", souligne l'économiste en chef de l'AIE, Fatih Birol. L'amélioration des techniques de forage par fracturation hydraulique a fait exploser l'activité pétrolière du bassin de Bakken, dans le Dakota du Nord. La production américaine de brut a bondi de 14% l'an passé, avec 800.000 barils supplémentaires par jour, soit l'équivalent de la production du sultanat d'Oman.

    Faut-il avoir encore peur du pic pétrolier ?

    Difficile de répondre à cette question, tant les avis divergent ! Les experts les plus pessimistes estiment que l'explosion de la production de pétrole non conventionnel ne compensera pas le déclin inéluctable des gisements traditionnels. "On voit bien le phénomène sur des champs anciens comme ceux de la mer du Nord, où la production a été divisée par deux en dix ans", argumente Olivier Rech, de la société de conseil Energy Funds Advisors. Un consensus se dessine pour estimer que nous ne nous dirigeons pas vers un pic de la production de pétrole, mais plutôt vers un plateau. Selon Guillaume Chalmin, de Total, "les ressources de pétrole représentent environ quatre-vingts ans de production au rythme actuel".

    De nombreux facteurs peuvent toutefois changer la donne. De nouvelles technologies permettent de récupérer de plus en plus de pétrole dans chaque puits. De 30% aujourd'hui, ce taux de récupération pourrait passer à 40% voire à 50%, ce qui constitue un gain équivalant à plusieurs décennies de consommation mondiale. A l'inverse, toute chute du prix du brut aurait pour effet de stopper net les investissements dans les schistes bitumineux ou les pétroles de schiste, très chers à extraire.

    Le pétrole sera-t-il plus cher et plus polluant ?

    L'exploitation de ces nouveaux gisements est sale et coûte nettement plus cher que l'extraction conventionnelle. "Alors qu'il faut compter 10 dollars par baril pour les hydrocarbures du Moyen-Orient, le chiffre monte à 50 -70 dollars pour l'off shore profond et les huiles de schiste et grimpe jusqu'à 90 dollars pour le pétrole lourd canadien. Cela définit une limite au-dessous de laquelle les prix de vente ne peuvent durablement descendre", indique Geoffroy Hureau, ingénieur économiste à l'Institut français du Pétrole-Energies nouvelles.

    Ces nouveaux pétroles ont également plus d'impact sur l'environnement. Leur extraction, dévoreuse d'énergie et de chaleur, émet beaucoup de gaz carbonique. "Un gisement classique consomme en moyenne 3% de l'énergie qu'il produit ,indique ainsi Pierre-René Bauquis, professeur associé à l'Institut français du Pétrole, contre 7% pour un gisement du type de l'Orénoque au Venezuela et 25% pour les schistes bitumineux canadiens, qui émettent dix fois plus de CO2 que les conventionnels."

    Enfin les conséquences écologiques des huiles de schiste, qui nécessitent l'utilisation de la controversée fracturation hydraulique, sont désormais connues : multiplication du nombre de puits, grande quantité d'eau consommée (de 10.000 à 20.000 m3 par forage), risques de contamination des nappes phréatiques et des rivières par une fuite de puits ou de surface, de pollution par les additifs chimiques utilisés, plateformes d'exploitation envahissantes... "Plusieurs pistes sont étudiées pour continuer à réduire l'impact environnemental, précise Bruno Courme, directeur de Total Gas Shale Europe. De l'utilisation de l'eau de mer au développement d'additifs chimiques biodégradables en passant par la réduction de l'impact en surface." Mais c'est notamment pour ces raisons que la fracturation hydraulique reste interdite en France.

    Les pays du Golfe vont-ils perdre leur influence ?

    En 2030, grâce aux hydrocarbures de schiste, les Etats-Unis deviendraient exportateurs nets de pétrole, alors qu'ils étaient importateurs depuis la Seconde Guerre mondiale. Selon l'Agence internationale de l'Energie, ils s'approcheraient même de l'indépendance énergétique en 2035. La baisse du prix de l'énergie a dopé l'économie américaine, qui a créé 550.000 emplois en 2010, selon le cabinet Deloitte. Certains spécialistes jugent l'impact des nouveaux pétroles et les possibilités d'exploitation surestimés. D'autres au contraire envisagent un bouleversement du paysage énergétique mondial et des équilibres géopolitiques.

    De nouvelles tendances se dessinent. Les plus vastes réserves exploitables ne sont plus au Proche-Orient (1.200 milliards de barils) mais en Amérique du Nord (2.200 milliards de barils). Des zones émergent : Canada, Brésil, Afrique de l'Ouest, golfe du Mexique... "Et, pour la première fois depuis la fin des années 1980 (hors périodes de ralentissement économique), d'ici à la fin de l'année, l'offre des pays non-Opep devrait progresser plus vite (+ 0,9 million de barils quotidiens sur un an) que celle des membres de l'Organisation, qui, elle, devrait reculer (- 0,7 million)", estime Geoffroy Hureau.

    Réduction du recours aux hydrocarbures de l'Opep, détente du marché pétrolier, risque plus faible d'une envolée des cours à plus de 120 dollars le baril, moindre intérêt des Etats-Unis pour la sécurité des routes du Moyen-Orient... Déjà les experts ont noté le déplacement d'une partie de la flotte américaine de la péninsule Arabique vers l'Asie. Le jeu pétrolier est plus mouvant que jamais. Selon Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques énergétiques, " la fin du pétrole, qui semblait si proche, n'affole plus grand monde".

    (1) Rapport annuel sur l'énergie, novembre 2012

    Nathalie Funès, Caroline Michel et Mehdi Benyezzar (infographie) – Le Nouvel Observateur


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