• La négociation sur l’emploi en péril

    A croire qu'elles se sont donné le mot. "Inacceptables", c'est ainsi que la CGT et la CFDT ont qualifié les propositions présentées par le Medef, jeudi 25 octobre, lors de la quatrième séance de négociations sur la sécurisation de l'emploi, concernant les licenciements collectifs. Cette convergence plutôt inattendue intervient alors que, pour la première fois depuis l'élection de François Hollande et la célébration du 1er-Mai, la CGT et la CFDT ont appelé, vendredi 26 octobre, avec les trois autres organisations de l'intersyndicale – la FSU, l'UNSA et Solidaires – à manifester le 14 novembre dans le cadre d'une journée européenne contre "l'austérité". Ce réchauffement entre la CGT et la CFDT, dont les relations s'étaient sensiblement dégradées depuis quelques mois, intervient alors que les syndicats préparent activement les élections de représentativité dans les très petites entreprises (TPE), qui auront lieu du 28 novembre au 12 décembre. En général, la compétition électorale entre les syndicats ne favorise guère les rapprochements...

    Mais, pour l'heure, c'est la négociation sur la sécurisation de l'emploi, démarrée le 4 octobre, qui semble en péril. Dans sa déclaration, le CGT affirme que "le Medef ne fait pas dans la dentelle" dans ses propositions. Elle l'accuse de vouloir "élargir la définition du motif économique et encadrer les délais de la procédure pour licencier plus facilement et rapidement" et "empêcher les recours en justice des salariés". Les revendications de la centrale de Bernard Thibault sont aux antipodes de celles du patronat : "élargir les droits d'intervention des représentants du personnel en amont des licenciements notamment par un droit suspensif" ; "revoir le licenciement économique pour le limiter aux seules entreprises en graves difficultés économiques" ; "élargir les droits existants comme le droit d'alerte, le recours à l'expertise". La CGT remet au premier plan sa vieille revendication, partagée avec la CFDT, sur la mise en œuvre d'une sécurité sociale professionnelle, "en expérimentant de nouvelles formes de maintien dans l'emploi, responsabilisant les entreprises qui licencient".  

    De son côté, la CFDT, par la voix de son négociateur, Patrick Pierron, durcit aussi le ton en reprochant aux propositions du Medef d'être "uniquement tournées vers la sécurisation juridique des employeurs". Pour M. Pierron, le projet patronal ne contient "aucune piste sur la sécurisation de l'emploi". "C'est l'essentiel du droit sur le licenciement économique collectif qui serait remis en cause", affirme-t-il. Le secrétaire national de la CFDT juge que "les revendications patronales conduisent à exonérer les employeurs de leur responsabilité en termes de formation, d'employabilité et d'accompagnement des salariés, pour se concentrer sur les sanctions contre les salariés". La centrale de François Chérèque souligne que "la négociation doit permettre de nouveaux droits pour les salariés, quelle que soit la taille des entreprises. Il est aussi nécessaire de distinguer les entreprises qui jouent le jeu de l'anticipation et de la formation des salariés de celles qui ne le font pas et doivent être sanctionnées".

    Au moment où le débat sur la compétitivité bat son plein, la CFDT va plus loin que la CGT. La prochaine séance de négociation tombant le 1er novembre, jour férié, le Medef, qui souhaitait un rythme hebdomadaire, a proposé de programmer la suite au 15 novembre afin de présenter "un projet de texte global". Inacceptable pour la CFDT qui estime que "trop de temps a déjà été perdu dans cette négociation". Elle laisse ainsi planer une menace de suspension en indiquant qu'elle a "posé comme condition à un report que la séance du 15 novembre se tienne sur toute la journée".  La montée des enchères, de part et d'autre, est un jeu classique dans une négociation sociale. Mais elle montre ici qu'on est décidément bien loin, à ce stade, de ce qu'avait souhaité François Hollande le 9 septembre : un "compromis historique" d'ici à la fin de l'année.


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  • Accueil > Justice > Jérôme Kerviel, "une ingéniosité confinant jusqu’au machiavélisme"

    Jérôme Kerviel, "une ingéniosité confinant jusqu’au machiavélisme"

    Créé le 24-10-2012 à 16h09 - Mis à jour à 21h01   lien

    L'arrêt de la cour d'appel condamnant l'ex-trader à cinq ans de prison dont trois ferme est particulièrement sévère.

    Jérôme Kerviel (PRM/SIPA)

    Jérôme Kerviel (PRM/SIPA)
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    Jérôme Kerviel ne dormira pas ce mercredi 24 octobre en prison comme il pouvait le craindre. Mais si la cour d'appel n'a pas demandé de mandat de dépôt à l'audience, le répit sera de courte durée pour l'ancien trader, accusé d'avoir fait perdre 4,9 milliards à la Société générale en 2008, malgré son pourvoi en cassation. Cinq ans de prison dont trois ferme, et une somme astronomique de 4,9 milliards d'euros à rembourser : sa peine en appel est tout aussi lourde qu'en première instance. Et l'arrêt, que la présidente n'a pas lu à l'audience, est d'une sévérité implacable.

    Seul responsable 

    "La banque savait", Jérôme Kerviel n'a eu de cesse de le marteler pendant les débats. La cour n'y a manifestement pas cru. Selon elle, c'est bien à l'insu de sa hiérarchie que l'ex-trader a pris des positions spéculatives hors mandat pour des sommes faramineuses – 50 milliards en janvier 2008, quand il est découvert.

    Il est invraisemblable que, selon la théorie de la défense, la Société Générale visualisait au fur et à mesure les positions de Jérôme Kerviel."
    Il résulte de l’ensemble de la procédure qu’à aucun moment la hiérarchie de Jérôme Kerviel n’a été informée ou n’a eu connaissance, de ses positions directionnelles."

    Si les auditions des supérieurs hiérarchiques de l'ancien trader ont mis en lumière les défaillances des systèmes de contrôle, incapables de détecter ses opérations frauduleuses, la responsabilité de la banque ne saurait pour autant être mise en cause, selon la cour. Elle fait de lui le seul responsable de la perte.

    Il est patent que la Société générale a été victime de ces infractions dont Jérôme Kerviel a été l'unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude ayant provoqué les dommages causés à celle-ci".

    Un complot ? "Totalement fantaisiste"

    N'adhérant pas à la thèse du "tout le monde savait", les magistrats chargés de juger Kerviel n'ont à plus forte raison pas cru à la théorie du complot, avancée pour la première fois par la défense en appel. L'existence d'un desk fantôme couvrant ses positions sans qu'il le sache, pour mieux lui faire "porter le chapeau" des pertes liées aux subprimes le moment venu leur paraît "totalement fantaisiste". La contribution du témoin-mystère n'est "pas pertinente".

    Quant aux "éléments nouveaux" allégués par la défense, la cour n'y voit que "des articles tirés du site internet Wikipedia, documents faisant état de rumeur, de sentiments, d'opinions, non étayés". Fermez le ban.

     L'argument développé pour la première fois devant la cour, selon lequel l'affaire 'Kerviel' a servi à 'renommer' des pertes subies sur les produits dérivés liés à l'immobilier résidentiel américain 'Subprimes', est totalement fantaisiste (...) la note de M. Houbé n'étant pas pertinente, car construite à partir de documents parcellaires, pas plus que les autres pièces fournies par la défense consistant en des articles de presse trouvés sur internet, des commentaires ou déclarations anonymes, des articles tirés du site internet Wikipedia, documents faisant état de rumeur, de sentiments, d'opinions, non étayés".

    "Machiavélisme"

    "Qui êtes-vous donc, Monsieur Kerviel ?", interrogeait le président Dominique Pauthe à la fin du procès en première instance. La question, qui a continué d'affleurer pendant les débats en appel, trouve des réponses radicales dans l'arrêt de la cour.

    Elle relève "l'exceptionnel sang froid" du prévenu, engageant des dizaines de milliards d'euros sans ciller. Les magistrats pointent sa "volonté et sa capacité sans limite de s'affranchir de toute règle", et son "ingéniosité, confinant jusqu'au machiavélisme".

    Les stratagèmes mis en oeuvre, comme précédemment décrits, pour dissimuler ses agissements, la durée, la répétition des faits, l'ampleur exceptionnelle des détournements commis, révèlent une volonté et une capacité sans limite du prévenu de s'affranchir de toute règle, tant au plan légal, professionnel et social".
    Pour dissimuler sa fraude, Jérôme Kerviel, ainsi qu'il a été développé, a fait preuve d'une ingéniosité, confinant jusqu'au machiavélisme, pour manipuler l'ensemble de ses interlocuteurs (internes ou externes à la banque), sachant s'adapter et contourner l'obstacle de chacun des contrôles".

    Le tout en ne reconnaissant à aucun moment sa responsabilité.

    A mesure qu'il se dédouanait de toute responsabilité, Jérôme Kerviel mettait en cause (...) sa hiérarchie intermédiaire jusqu'à impliquer l'ensemble de celle-ci au plus haut niveau, et jusqu'à l'absurde, l'ensemble des services de contrôle de la banque".

    Les bonus, nerf de la guerre 

    Depuis le début de l'affaire, le mobile de l'ex-trader est resté nébuleux. Il s'est toujours défendu avec virulence d'avoir agi par appât du gain, n'ayant jamais touché un centime des milliards qu'il a un temps gagnés avant de tout perdre et bien plus. La cour semble ne pas le croire sur ce point non plus, rappelant au détour d'une phrase que ses gains réalisés au profit de la banque devaient être convertis en bonus à son propre profit juste avant qu'il ne soit découvert.

    Le délit d’abus de confiance est établi à l’encontre de Jérôme Kerviel, peu important qu'il ne se soit approprié la chose confiée, ou qu’il en ait tiré un profit personnel ; (…) sera cependant rappelé qu’il avait sollicité un bonus de 600 000 euros lors de son entretien de novembre 2007, se basant sur son résultat de 55 millions dont partie s’avérera ultérieurement résulter de ses opérations frauduleuses."

    La prison comme seule issue

    Pour la cour, la place de Jérôme Kerviel est en conséquence derrière les barreaux. Elle estime toute mesure d'aménagement de peine "inadéquate" pour le prévenu, et se dit inquiète quant à son "évolution future" et sa "réinsertion".

    Jérôme Kerviel, par son action délibérée ayant mis en péril la solvabilité de la banque qui employait 140.000 personnes, le recours à une peine d'emprisonnement de cinq années dont deux assorties du sursis s'avère nécessaire, toute sanction étant manifestement inadéquate (...) toute mesure d'aménagement de peine apparaît inadéquate."
    Cette attitude ne peut qu'inquiéter sur son évolution future, tant au plan social, professionnel que personnel, et ne constitue pas un gage de réinsertion."

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  • Ce que la crise des missiles de Cuba nous enseigne sur les conflits d'aujourd'hui

     

    Publié le 15/10/2012
    Mis à jour le 15/10/2012 à 11h10   
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    Entre le 16 et le 28 octobre 1962, la volonté des Soviétiques d'installer des missiles nucléaires à Cuba met le monde au bord de la guerre nucléaire. Cinquante ans après, ce moment important de la Guerre froide demeure bizarrement incompris.

    JFK et son secrétaire à la Défense Robert McNamara lors d'une réunion de son cabinet. Image non datée. PD-USGOV.

    - JFK et son secrétaire à la Défense Robert McNamara lors d'une réunion de son cabinet. Image non datée. PD-USGOV. -

    Ce mois-ci, nous fêterons le cinquantième anniversaire du début de la crise des missiles de Cuba et depuis cette date, les leçons sur la faiblesse, la force et le compromis n’ont eu de cesse d’être mises en avant par les politiciens, éditorialistes et historiens de tout poil.

    Mais le problème –et qui n’a pas été sans conséquences pour la politique étrangère américaine –c’est que ces leçons sont des mythes, fondés sur d’authentiques mensonges sur la manière dont cette crise a commencé et comment elle s’est terminée.

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    Un de ces mythes a été minutieusement détruit (même si de nombreuses éminences semblent ne pas le savoir). C’est l’idée que le président John F. Kennedy a contraint le Président soviétique Nikita Khrouchtchev à reculer et à retirer ses missiles nucléaires de Cuba en le menaçant d’une intervention par la force. En fait, comme les enregistrements secrets effectués par JFK lors de ses discussions avec ses principaux conseillers l’ont révélé (ces preuves sont accessibles depuis 25 ans au sein de la bibliothèque Kennedy), les deux chefs d’Etat ont conclu un accord: Khrouchtchev retirerait ses missiles de Cuba et Kennedy ferait de même avec ses missiles en Turquie.

    Mais l’autre mythe, tout aussi pernicieux par son impact (et tout aussi faux), continue d’être entretenu. Lors d’un sommet avec Khrouchtchev, qui s’était tenu au printemps 1961 à Vienne, Kennedy aurait reculé devant lui et le rusé Soviétique aurait alors décidé de déployer des missiles à Cuba, persuadé que le jeune Président américain était trop faible pour répliquer à cette action.

    Supériorité américaine

    Pourtant, les preuves –pour l’essentielles déclassifiées il y a une dizaine d’années de cela au sein des archives du Kremlin et évoquées dans Khrushchev’s Cold War, un magnifique livre d’Aleksandr Fursenko et Timothy Naftali– révèlent que c’est Khrouchtchev qui décida d’envoyer des missiles à Cuba en raison de son impuissance et de son sentiment d’insécurité.

    Khrouchtchev a bien exploité ce qu’il tenait pour de la faiblesse chez Kennedy, mais à un autre moment et en un autre lieu: à Berlin, à l’été 1961. L’échec complet de cette opération et la résistance déterminée de JFK ont à ce point inquiété Khrouchtchev qu’il envoya des missiles à Cuba un an plus tard, pour tenter de contrer ce qu’il considérait alors comme la supériorité américaine.

    Revenons en arrière.

    A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les troupes soviétiques occupent la partie orientale de l’Allemagne; des troupes américaines, britanniques et françaises occupent l’Allemagne de l’Ouest. Avec le déclenchement de la Guerre froide, les frontières se durcissent et finissent par former deux pays distincts.

    Berlin demeure une anomalie: une ville située à près de 130 kilomètres à l’intérieur des frontières de l’Allemagne de l’Est, divisée en deux –Berlin Est et Berlin Ouest, cette dernière partie étant une enclave occidentale dont la prospérité contraste avec la pauvreté environnante.

      

    La carte de Cuba annotée de la main-même de Kennedy, photographiée en 2005. Les croix indiquent les silos des missiles soviétiques. REUTERS/Brian Snyder

    En 1948, Staline met en place un blocus pour isoler et, il l’espère, faire tomber Berlin Ouest, mais les forces aériennes américaines continuent d’approvisionner la ville. Incapable de bloquer ce pont aérien, Staline met un terme au blocus. En 1959, Khrouchtchev tente à son tour de faire tomber Berlin, mais le président américain d’alors, Dwight Eisenhower, lui tient tête et les deux hommes parviennent à une trêve à Camp David.

    Une première crise à Berlin, à l'été 1961: Khrouchtchev recule

    En 1961, à l’issue de sa rencontre avec Kennedy à Vienne, Khrouchtchev renouvelle son attaque et annonce que si l’Ouest refuse de signer un traité permettant la session de Berlin Ouest à l’Allemagne de l’Est, ce sera la guerre.

    Kennedy résiste, lui aussi et, en fait, la crise de Berlin à l’été 1961 est presque aussi tendue que la crise des missiles de Cuba en octobre 1962. A un moment donné, des chars soviétiques et américains se font même face de part et d’autre d’un des checkpoints, pendant près de 25 heures. Finalement, Khrouchtchev recule.

    C’est à peu près à cette période que grâce à des satellites espions nouvellement lancés, la CIA et le Pentagone finissent par s’apercevoir que contrairement aux craintes exprimées quelques années auparavant (et exploitées par Kennedy durant sa campagne présidentielle de 1960) il n’existe pas de «missile gap», d’écart technologique entre les portées des missiles soviétiques et américains. Ou plutôt qu’il y en a bien un, mais qu’il est en faveur des Américains, qui sont très en avance sur les Soviétiques.

    Kennedy veut que cela se sache, tant en Amérique que dans le monde. Voilà pourquoi le 2 octobre 1961, le Secrétaire à la Défense adjoint Rosswell Gilpatric affirme, dans un discours prononcé à Hot Springs, en Virginie, sa «confiance en notre capacité à prévenir toutes les actions des communistes et à résister à leurs chantages» fondée sur «l’analyse dépassionnée des puissances militaires relatives des deux camps.» L’arsenal américain, avec ses «dizaines de milliers» d’armes nucléaires est si puissant, affirme Gilpatric, «que tout mouvement de l’ennemi susceptible de provoquer son utilisation ne constituerait ni plus ni moins qu’un acte d’autodestruction.»

    Voilà des années que Khrouchtchev affirme que les usines d’armement soviétiques produisent des missiles nucléaires balistiques «comme des saucisses.» En fait, il n’a pour ainsi dire rien en stock. Le programme de production de missile est en pleine déconfiture. Et les Américains révèlent à présent son bluff au grand jour.

    Le Parti communiste d’Union soviétique est sur le point de tenir son congrès annuel. Khrouchtchev est déjà critiqué pour avoir reculé à Berlin, tant chez les partisans de la ligne dure au Kremlin que par le Parti communiste chinois, plus radical, et qui tente de disputer au Soviétiques le statut de principal allié du Tiers Monde. Dans sa lutte avec ses rivaux, tant à l’Est qu’à l’Ouest, Khrouchtchev est clairement en train de perdre la main.

    Le Gambit cubain

    Il craint alors, authentiquement, que les Etats-Unis lancent une attaque nucléaire préventive contre l’Union soviétique. Cette idée n’est pas si absurde. Au cours de la Crise de Berlin, Kennedy a ordonné au Pentagone de produire une étude sur la faisabilité d’une telle attaque. Cette étude ultra secrète –un plan détaillé de 36 pages– conclut qu’elle est facilement réalisable. Nous ignorons ce que Khrouchtchev savait de ce plan, mais les chefs d’état-major de l’armée américaine pondent des notes à ce sujet et Kennedy les lit et en discute lors d’au moins une réunion au sein du bureau ovale de la Maison Blanche.

    (J’ai pu obtenir la déclassification de ces documents pour un article que j’avais rédigé pour le numéro d’octobre 2001 de la revue The Atlantic.)

    Le président soviétique n’a pas abandonné l’idée de s’emparer de Berlin-Ouest, mais il sait qu’il ne dispose plus du moindre levier d’action. Si les Etats-Unis lavent une attaque nucléaire, il n’est alors même pas sur que le moindre de ses missiles ou de ses bombardiers sera en mesure de répliquer.

    Mais Khrouchtchev dispose alors d’un grand nombre de missiles à moyenne portée et voilà pourquoi il décide d’en expédier à Cuba, où ils seront à portée de tir des Etats-Unis. S’il peut les installer en toute discrétion puis réaliser un nouveau gambit contre Berlin (comme il souhaitait le faire en novembre 1962), ces missiles lui permettront de disposer de quelque chose à échanger.

    Mais un avion espion U2 américain repère les missiles. Et dès que Kennedy en fait l’annonce, Khrouchtchev sait qu’il n’aura pas d’autre choix que de les retirer. La seule question qui vaille est la suivante: comment faire machine-arrière sans subir une nouvelle humiliation?

    Il se trouve que Kennedy en est au même point de ses réflexions. Les enregistrements secrets révèlent que le 18 octobre, soit le troisième jour de la crise, Kennedy se demande tout haut pourquoi diable Khrouchtchev a envoyé ses missiles à Cuba. Il s’imagine qu’ils a certainement l’intention de les utiliser comme une monnaie d’échange et que pour l’obliger à les retirer, il doit trouver une «porte de sortie» à cette crise, un moyen pour que Khrouchtchev sauve la face.

    Une des possibilité, dit-il d’un ton badin, pourrait consister à lui dire:

    «Retirez vos missiles de Cuba, nous retirerons les nôtres en Turquie.»

    Aucun des conseillers présents ne prend cette remarque au sérieux. Le dernier jour de la crise, le 25 octobre, quand Khrouchtchev fait précisément cette proposition, Kennedy l’appuie vigoureusement.

    «Ne nous racontons pas de salades, dit-il sur ces enregistrements. La plupart des gens considèrent que quand on vous propose un marché honnête, il faut en profiter.»

    Si nous optons pour la guerre, que nous lançons des attaques aériennes et que nous envahissons Cuba et si les Soviétiques répliquent en s’emparant de Berlin,  ajoute-t-il, «tout le monde dira: “la proposition de Khrouchtchev n’était pas si mal, après tout.”».

    Toutes les personnes présentes autour de la table s’opposent fermement à un tel marché, affirmant qu’il détruirait l’Otan, affaiblirait les Etats-Unis dans le monde et provoquerait toute un éventail de désastres. A la fin de la réunion, le seul conseiller à se ranger à l’avis de JFK est George Ball, sous-secrétaire d’Etat et qui sera plus tard le seul à s’opposer, au sein de l’administration Johnson, à l’escalade au Vietnam.

      

    Un missile Jupiter tel que ceux installés en Turquie. U.S. Army - Redstone Arsenal

    Kennedy ignore l’avis de l’immense majorité de ses conseillers et ordonne donc à son frère, l’Attorney Général Robert Kennedy (qui s’y oppose, lui aussi) de dire à l’ambassadeur d’Union soviétique qu’il accepte le marché –à la condition qu’il demeure secret.

    Et il l’est resté pendant 25 ans, jusqu’à ce que les enregistrements ne soient rendus publics et que quelques-uns des conseillers de JFK décident de révéler la vérité de manière préventive –bien qu’ils n’osent pas alors affirmer qu’ils s’opposèrent à ce marché.

    La résolution de la crise des missiles de Cuba nous offre quelques leçons profitables pour les crises d’aujourd’hui.

    1. Les protagonistes devraient rester en contact l’un avec l’autre. Il n’y eut pas le moindre contact téléphonique entre Khrouchtchev et Kennedy en octobre 1962.

    Mais ils échangèrent de nombreux télégrammes et Kennedy maintint le contact par le biais de l’ambassade d’Union soviétique, alors même que des navires et des sous-marins se faisaient face, que des troupes étaient mobilisées et alors même –moment de tension intense– qu’un avion espion U2 américain était abattu. Sans ces communications, la crise aurait fort bien pu virer à la guerre ouverte.

    2. A un moment donné, quand il devient clair qu’un des deux camps est en train de l’emporter, il doit faire en sorte d’offrir une porte de sortie à l’autre.

    Cela ne signifie pas nécessairement de sacrifier ses intérêts premiers. Les missiles Jupiter que JFK retire de Turquie ne sont plus de première jeunesse. Les Etats-Unis s’apprêtent à stationner de nouveaux sous-marins de la classe Polaris en Méditerranée; chacun d’eux embarque 16 missiles nucléaires et ils sont bien moins vulnérables aux attaques.

    En d’autres termes, par ce marché, les Etats-Unis n’ont en rien sacrifié leur capacité militaire.

    3. Il n’y a aucune contradiction entre la conclusion d’un accord et le maintien de la vigilance. Un compromis n’est pas la même chose qu’un apaisement.

    Selon un livre récemment publié de David Coleman, The Fourteenth Day: JFK and the Aftermath of the Cuban Missile Crisis, les disputes continuèrent durant les mois qui suivirent l’accord sur la Turquie et plusieurs tensions apparurent, sur les termes et le calendrier du retrait des missiles soviétiques de Cuba. Kennedy tint bon. Mais aucun de deux camps ne quitta les négociations ni ne raviva la crise.

    4. Il est totalement illusoire d’imaginer que la résolution d’une crise peut permettre l’avènement d’une ère de paix.

    L’accord sur la Turquie n’a pas finalement permis à Khrouchtchev de sauver la face. Deux ans plus tard, il était chassé du pouvoir par les faucons du Kremlin, qui se mirent alors à financer un programme de production massive de missiles intercontinentaux afin de rattraper le retard pris sur les Américains en la matière. La Guerre froide continua d’être alimentée par la course aux armes nucléaires pendant trente ans. Mais il n’y eut certes plus jamais de confrontation autour de Cuba ou de Berlin.

    Le conflit actuel autour du programme nucléaire iranien est loin d’être aussi intense que la crise de Cuba, mais il a pourtant bien des points communs.

    Confronté à une pression énorme, financière, cette fois, les dirigeants de l’Iran proposent des compromis pour une sortie de crise. Leurs propositions sont, à l’heure actuelle, inacceptables –ils exigent que l’Occident annule ses sanctions avant de cesser d’enrichir de l’uranium– mais cela ne signifie pas pour autant que la porte des négociations soit fermée.

    Nous ne connaissons pas les motivations exactes des Iraniens ni la manière dont ils évaluent le rapport de force. Il essaient peut-être de nous mener en bateau, mais il est également très possible qu’ils cherchent une «porte de sortie», comme disait Kennedy.

    A moins que nous ne voulions la guerre (et certains Américains la veulent) il serait bon de tâter un peu le terrain. Et la crise des missiles de Cuba –la vraie, pas le mythe– nous offre quelques indices sur la manière de procéder.

    Fred Kaplan

    Traduit par Antoine Bourguilleau


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  • Monde

    Éducation. 160 millions d’adultes illettrés dans les pays développés [audio]

    Éducation mercredi 17 octobre 2012  
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    L’Unesco le constate. Les objectifs de scolarisation à l’école primaire, fixés pour 2015, ne seront pas tenus. Pire : dans les pays développés, un adulte sur cinq ne sait pas lire un journal.

    Signal d’alerte

    160 millions d’adultes dans les pays développés, soit 22 %, « n’ont pas les qualifications nécessaires pour postuler à un emploi ou lire un journal », déplore le dixième rapport de l’Unesco sur le suivi du programme Éducation pour tous (EPT).

    Ces adultes ont été alphabétisés. Ils sont bien allés à l’école mais… « ils ne savent pas lire, écrire et compter efficacement dans la vie quotidienne, ajoute le rapport. Les pauvres, les migrants et les minorités ethniques sont particulièrement affectés. »

    Du mieux, mais pas partout

    En 2000, à Dakar, 164 pays du monde se fixaient six objectifs, parmi lesquels « développer la scolarisation à l’école maternelle, réaliser l’enseignement primaire universel, promouvoir l’apprentissage et les compétences nécessaires à la vie courante pour les jeunes et les adultes ».

    Pour l’école primaire, ils ne sont plus que 61 millions d’enfants (9 %) à ne pas aller à l’école, contre 108 millions en 1999 (16 %). Mais « le grand élan » semble stoppé : « Entre 2008 et 2010, les progrès ont stagné. » Et l’Afrique subsaharienne reste en retard.

    Risque économique

    La crise n’a rien arrangé. Selon Pauline Rose, directrice du rapport : « L’aide à l’éducation se ralentit, au moment même où les enfants et les jeunes en ont le plus besoin. » L’Unesco met les États en garde. Les pays riches, d’abord : « Ne pas investir dans les qualifications des jeunes, c’est les envoyer grossir les rangs du chômage. »

    Les pays pauvres, ensuite : « C’est les reléguer dans des emplois qui les maintiennent en dessous du seuil de pauvreté. » Alors que « chaque dollar dépensé dans l’éducation génère 10 à 15 dollars tout au long de la vie de chaque individu ».

    Les entreprises privées sont invitées à contribuer. Elles sont les premières « à bénéficier de cette main-d’oeuvre qualifiée ». Et de son pouvoir d’achat.

    Un risque humain

    « Nous sommes face à une jeune génération frustrée par l’inadéquation chronique entre les qualifications et l’emploi », relève Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco. « Beaucoup de jeunes, et de jeunes femmes en particulier, ont besoin d’accéder à des filières de formation qui les dotent des compétences nécessaires pour gagner dignement leur vie », plaide-t-elle.

    Philippe SIMON.


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  • Accueil > Société > Chloé, née Wilfrid et mariée, devient une femme pour l'état-civil

    Chloé, née Wilfrid et mariée, devient une femme pour l'état-civil

    Créé le 16-10-2012 à 16h42 - Mis à jour à 17h27

    La cour d'appel de Rennes n'ordonne toutefois pas la modification de l'acte de mariage de la transsexuelle.

    Transexuelle, Chloé a obtenu le changement de son état civil. (MAXPPP//LE TELEGRAMME)

    Transexuelle, Chloé a obtenu le changement de son état civil. (MAXPPP//LE TELEGRAMME)

    La cour d'appel de Rennes a accepté mardi 16 octobre le changement d'identité sexuelle sur l'état-civil de Chloé, née Wilfrid, une transsexuelle mariée et père de trois enfants, sans toutefois modifier son acte de mariage, a-t-on appris de source judiciaire.

    La cour d'appel a infirmé le jugement du 15 décembre 2011 rendu par le tribunal correctionnel de Brest, qui avait rejeté cette demande de changement d'identité sexuelle, au motif qu'elle aurait entraîné la reconnaissance de facto d'un mariage homosexuel, actuellement interdite en droit français.

    "Une joie folle"

    La cour d'appel de Rennes "dit que né de sexe masculin", le requérant "est désormais de sexe féminin" et qu'"il portera le prénom" de Chloé "en lieu et place" de Wilfrid. L'arrêt "ordonne qu'il soit fait mention de cette décision en marge dudit acte de naissance". Mais le même arrêt dit qu'il n'y a pas "lieu à porter la même mention en marge de l'acte de mariage", a indiqué une source judiciaire.

    "C'est une joie folle", a déclaré Chloé Avrillon. "Je vais pouvoir prendre pied dans ma nouvelle vie de femme avec cette reconnaissance d'identité par la société", a-t-elle ajouté. "C'est une reconnaissance du mariage pour tous, de la parentalité pour deux parents du même sexe", a-t-elle considéré.


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