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Sous le coup des sanctions, l’économie syrienne plie mais ne rompt pas
Dernière modification : 13/12/2011
Sous le coup des sanctions, l’économie syrienne plie mais ne rompt pas
Neuf mois après le début du mouvement de contestation et sous le coup de plusieurs volets de sanctions occidentales et arabes, la Syrie est de plus en plus isolée au plan économique. Fragilisé, le pouvoir a pourtant encore les moyens de tenir.
Par Perrine MOUTERDE (texte)Depuis son bureau situé non loin du port de Beyrouth, Marwan Chebli a un poste d’observation privilégié sur les difficultés économiques de la Syrie. Directeur général de la société de transport de fret Antarsped, dont l’une des branches se trouve à Damas, il assure que son activité en Syrie est affectée au quotidien par la crise et les sanctions internationales.
"Nous ne pouvons plus faire sortir de devises et donc payer l’étranger. Les fournisseurs sont hésitants à traiter avec des sociétés basées en Syrie, les investisseurs étrangers ne viennent plus, les projets de développement sont interrompus… Depuis le mois de mars, notre activité d’import-export a chuté de près de 50 % en volume et nous avons licencié une dizaine d’employés", regrette-t-il.
Gel des avoirs, gel des transactions commerciales et financières avec la Banque centrale syrienne et le régime, embargo sur le pétrole… Frappée par une série de sanctions occidentales mais aussi arabes, la Syrie est de plus en plus isolée sur le plan économique. Le pays traverse "la pire crise" de ces dernières années, a d’ailleurs reconnu le ministre de l’Économie, Mohamad Nedal Alchaar, fin novembre.
Shell et Total suspendent leurs activités
Tous les secteurs-clés de l’économie sont touchés. Le tourisme, par exemple, qui représentait près de 12 % du PIB, est désormais quasiment inexistant. "La Syrie prévoyait d’attirer environ 5 milliards de dollars d’investissements directs étrangers au cours des cinq prochaines années dans ce secteur, précise Ibrahim Saif, économiste au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient. Ce n’est plus d’actualité. Même les projets qui étaient en cours ont été interrompus."
Pénuries de gaz, d’essence, de nourriture… La population ressent elle aussi les effets des sanctions. Le Croissant rouge syrien a estimé fin novembre que 1,5 million de personnes avaient besoin de l’aide internationale pour se nourrir. À plus petite échelle, les Comités locaux de coordination (LCC) - l’un des principaux réseaux de militants - ont récolté plus de 9 500 dollars de dons qui doivent permettre de distribuer des aliments de base (riz, huile, beurre, lentilles…) à 312 familles, en décembre.
La livre syrienne a officiellement perdu près de 15 % de sa valeur, la demande intérieure est en baisse, les possibilités d’exportations limitées… Après le renforcement des sanctions européennes le 1er décembre, l’anglo-néerlandais Shell et le français Total, les deux principaux acteurs du secteur pétrolier en Syrie, ont suspendu leurs activités. Le 11 décembre, le canadien Suncor Energy a, lui aussi, annoncé son intention de rapatrier ses employés et d’annuler certains contrats.
"Des compagnies russes ou chinoises pourraient chercher à mettre la main sur le pétrole syrien, constate Ibrahim Saif. Mais l’instabilité et l’incertitude sont actuellement très fortes dans le pays. Donc même si, en pratique, Damas peut trouver des alternatives aux sociétés occidentales, je pense que personne ne prendra ce risque avant une solution politique."
Un régime fragilisé, mais qui tient bon
En dépit de cette dégradation de la situation, les experts estiment que Damas dispose encore de certains leviers. "La Syrie est l’un des pays les moins dépendants de son commerce extérieur, notamment pour les produits courants et d’alimentation, explique Kamal Hamdane, économiste et directeur de l’Institut de consultation et de recherche. Il est l’un des moins endettés de la région et dispose d’énormes réserves en monnaies étrangères, qui lui donnent la capacité de résister aux pressions."
Début décembre, le régime syrien a appelé, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Walid Mouallem, à "l’annulation" des sanctions prises par la Ligue arabe, le 27 novembre. Kamal Hamdane estime pourtant que ces mesures ne se traduiront pas à court terme dans la sphère politique.
"Les sanctions décidées par la Ligue arabe auront un impact plus politique qu’économique, estime-t-il. L’organisation, pour qui c’est une première, n’a pas forcément les moyens de vérifier qu’elles sont bien mises en œuvre et respectées."
L’élite financière syrienne, proche du pouvoir, reste elle silencieuse. "Les relations entre l’État et le monde des affaires sont telles que je ne vois pas les hommes d’affaires prendre leurs distances vis-à-vis du régime. Leur intérêt est toujours intrinsèquement lié au pouvoir de Bachar al-Assad", assure Ibrahim Saif.
La Syrie, seul débouché terrestre du Liban
De l’autre côté de la frontière, les effets de la crise se font aussi sentir. Le Liban est particulièrement touché : l’essentiel des exportations de ses exportations vers les pays arabes passe par la Syrie. "Aujourd’hui, il y a moins de marchandises qui transitent parce qu’il y a moins de demande, mais aussi parce qu’il y a moins de confiance et que le coût des assurances, pour les convois, augmente", explique Fouad Zmokhol, président du Rassemblement des dirigeants et chefs d’entreprises libanais - l’équivalent du Medef français.
Pour son entreprise spécialisée dans l’impression, Fouad Zmokhol estime que son activité aura chuté de 20 à 25 % cette année, en raison des troubles en Syrie et dans toute la région. La croissance libanaise ne devrait, elle, pas excéder 1,5 %.
"Peu importe ce qui se passe en Syrie, la confiance mettra du temps à revenir, ajoute Fouad Zmokhol. Les entrepreneurs libanais veulent rester neutres vis-à-vis de cette crise. Car, que le régime tombe ou pas, nous continuerons de travailler avec les hommes d’affaires syriens."
Tags : Syrie, sanctions, réserves, Liban
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