La conférence de presse des avocats du barreau de Diyarbakir se tenait ce samedi 28 novembre en plein cœur de la vieille ville juste à côté de l’antique minaret, le symbole de la cité capitale du sud-est de la Turquie peuplé en majorité de Kurdes. «Les quatre piliers du minaret représentent les diverses religions de ce pays. Nous ne voulons plus d’accrochages et de violences en ce lieu historique, nous voulons la paix», martelait le bâtonnier Tahir Elçi, figure modérée de premier plan de la cause kurde. Ce furent ces dernières paroles.

Il était un peu plus de 11 heures locales quand la fusillade éclata. Les caméras de sécurité ainsi que celles des chaînes de télévision ont filmé de bout en bout l’assassinat. Deux assaillants armés descendent d’un taxi au coin de la rue, commencent à tirer sur les policiers qui ripostent dans la confusion. Un policier est tué, un autre grièvement blessé et il décédera peu après. Tahir Elçi est atteint d’une balle en pleine tête . Les tueurs prennent la fuite. Dès l’annonce du meurtre, le pays est sous le choc car, depuis des années, cet avocat pénaliste, né en 1966 à Cizré, bastion du nationalisme kurde, incarnait le combat pour la justice. Il avait gagné plusieurs procès devant la Cour européenne des droits de l’homme contre l’Etat turc. Dimanche, des dizaines de milliers de personnes confluaient à Diyarbakir pour ses funérailles.

Démocratie. Le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan s’est déclaré «attristé par la mort de l’avocat» et a présenté ses condoléances à sa famille comme à celle des policiers. Les autorités affirment que «le bâtonnier a pu être pris entre deux feux», mais assurent par la voix du Premier ministre, Ahmet Davutoglu (membre de l’AKP, la formation d’Erdogan), que s’il s’agit d’un assassinat «toute la lumière serait faite». Ils laissent ainsi entendre que l’attaque serait l’œuvre des rebelles kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui mènent la lutte armée contre Ankara depuis 1984. Les affrontements ont repris depuis juillet et l’interruption des pourparlers de paix.

«Tahir a été tué par l’Etat», rétorque Ahmet Elçi, son frère, qui comme tous les proches du bâtonnier, les organisations de défense des droits de l’homme et les partis d’opposition, ne croit pas à la piste du PKK. «C’est un assassinat programmé qui vise le combat pour le droit et la justice», a souligné la formation pro-kurde HDP (Parti démocratique des peuples) rappelant le rôle central de ce juriste dans le combat pour la démocratie. «Vous avez tué l’un des hommes de plus grande valeur de ce pays, la patience de notre peuple a des limites», a lancé Osman Baydemir, l’ancien maire de Diyarbakir. Tahir Elçi était en effet un combattant pour le droit respecté par tous, au-delà même du monde kurde pour ses engagements et son parler-vrai. Il n’hésitait pas à critiquer publiquement le PKK, notamment sa stratégie d’insurrections urbaines en interdisant aux forces de l’ordre l’entrée des quartiers qu’il contrôle dans les villes du Sud-Est où vivent la majorité des 15 millions de Kurdes du pays. Il estimait que cela ne faisait que creuser le fossé ethnique au sein de la société turque et alimentait l’escalade de la violence. Mais il n’hésitait pas non plus à clamer haut et fort que «le PKK n’est pas une organisation terroriste […] même si certaines de ses actions sont de caractère terroriste, mais un parti politique armé qui a le soutien des masses populaires».

«Hrant Dink». Ces propos tenus lors d’un débat télévisé le 14 octobre lui ont valu une inculpation pour «apologie du terrorisme par voie de presse» et il risquait jusqu’à sept ans et demi de prison. Il était désigné à la vindicte publique par les médias du régime. Editorialiste du quotidien Radikal, lui-même inculpé pour insulte au président, Cengiz Candar écrit : «ils ont tué Tahir Elçi presque exactement comme ils ont tué Hrant Dink», rappelant la figure du grand journaliste arménien abattu en janvier 2007 à Istanbul par un chômeur ultranationaliste manipulé par certains secteurs de services secrets.

Ragip Duran Correspondant à Istanbul