• "Le politique doit bâtir une stratégie numérique européenne"

    "Le politique doit bâtir une stratégie numérique européenne"

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    IT Observateur | 06/07/2012, 11:14 - lien

    "IT observateur" est le pseudonyme d'un manager senior dans le secteur des télécoms français

    Parmi les pistes prioritaires de relance de la croissance française et européenne se trouvent deux piliers : l'un, dont tout le monde parle, concerne la production locale d'énergie pour endiguer la fuite des quelque 480 milliards d'euros de facture énergétique extra communautaire, et l'autre, que tout le monde ignore, concerne le développement de l'IT, alors même que l'appropriation de ses technologies par le plus grand nombre connait une viralité universelle.
    Ce domaine, celui de l'informatique et des télécoms, connaît la croissance économique sectorielle relative la plus rapide ces dernières années. En effet, le poids des valeurs IT dans le classement des premières entreprises du monde a doublé en 5 ans. Dans le Top 50 planétaire, le leader toutes catégories,
    Apple, dépasse désormais les valeurs pétrolières et les banques. De neuf en 2006, les valeurs hight tech sont passées à 12 en 2011 dans ce top 50 et elles pèsent plus de 2000 milliards de dollars alors que sur 5 ans le Dow Jones a stagné et le CAC 40 a nettement perdu.

    Des marchés nationaux trop petits et pas de dynamique
    Et quels sont les géants européens ? Les opérateurs télécoms d'une part et un (seul !) éditeur de logiciel de l'autre. Les premiers sont Vodafone, Telefonica, Deutsche Telekom, France Télécom, TeliaSonera. L'éditeur est l'allemand SAP. Le premier et seul constructeur hardware européen de la liste passe pour une star déchue, Nokia, dont tout le monde prédit le rachat à vil prix par un prédateur américain en recherche de brevets.
    Google n'a-t-il pas justifié son rachat de Motorola l'an dernier pour une liste de brevets ? Ces fameux brevets nécessaires pour alimenter la guerre économique mondiale en cours, une guerre de l'innovation, de l'utilisateur, de la part de marché et, au final, une guerre financière totale. Cette guerre économique, il est aisé de constater que la France et l'Europe ne la mènent pas au même rythme. La mènent-elles seulement ? On peut en douter. Il n'est qu'à voir le morcellement des opérateurs en Europe - plus de 120 - contre 3 ou 4 acteurs majeurs aux USA ou en Chine.

    Récapitulons : un acteur de la construction hardware en perdition, un éditeur de logiciels majeur et un marché télécom atomisé sur des marché nationaux trop petits qui lamine la rentabilité des champions du secteur. Plus grave encore, la dynamique n'est pas là. Sur les cinq dernières années, aucun nouveau géant n'est apparu sur la scène européenne, quand ils éclosent partout ailleurs : Amériques, Asie, Inde.. Quant à la croissance externe, les tarifs des licences télécom à l'étranger, y compris dans les pays dits émergents s'envolent. Les fonds souverains moyen-orientaux et asiatiques ont les poches profondes et un plan de bataille à long terme...

    Les opérateurs télécoms européens, proies fiscales faciles car captives
    Faut-il ajouter que les opérateurs télécom européens, proies fiscales faciles car captives des infrastructures locales, ont été assaillis de prélèvements successifs en tous genres ? Le résultat : accélération de la délocalisation des plateaux d'appels, des fonctions de back office, d'équipes informatiques, enfin, défiscalisation, dès que c'est possible, sur des véhicules internationaux avantageux. Au final, peu d'investissements dans l'écosystème de l'innovation IT français ou européen, au détriment donc des startups et autres PME innovantes qui ne manquent pourtant pas de talents et d'écoles de classe internationale. Si nous sommes bien pourvus en France aux niveaux de l'amorçage, de l'accélération et du premier niveau de croissance, il est quasiment impossible de "faire le break", une grosse levée de fonds à la clef. Calées sous leur plafond de verre, les PME innovantes devenues visibles sont mûres pour le le rachat .. ou la stagnation.


    Tout ceci pour le dire haut et fort : la France et l'Europe doivent légitimement définir une stratégie en matière de télécoms et d'IT. Et le moment est venu, celui du politique, qui décide de prendre les sujets à bras le corps, pour ne pas abdiquer face à un tropisme fataliste. Les politiques industrielles semblent passées de mode ces dernières années en Europe, tant à Bruxelles que dans la plupart des Etats. La montée en puissance des directeurs financiers à la tête de quasi tous les grands groupes français pose question. La vision stratégique industrielle perd en lisibilité tant en interne que vis-à-vis de l'écosystème et l'on traie - bien - les vaches tant qu'elles produisent. Dans le même temps, la perte de sens dans les organisations progresse. Enfin, l'approche Européenne, figée dans les phares de la consommation, cherche légitimité dans l'antitrust et non plus dans l'investissement, l'emploi et la compétitivité.

    La consolidation des géants de l'IT se fera-t-elle sans l'Europe ? 
    Comment sinon comprendre que le mexicain Carlos Slim, certes l'homme le plus riche du monde, se lance, sans remarque de l'Europe, à l'assaut des opérateurs historiques du vieux continent. OPA sur une bonne partie de KPN, le France Télécom néerlandais, et prise de 23% dans la foulée du capital de Telekom Austria, le France Télécom autrichien. A chaque fois, l'Etat est au capital et ne bronche pas. L'Europe est plus encline à faire rentrer sur des marchés, déjà dévastés par les baisses de tarifs, des acteurs "low cost" avides de parts de marché à court terme. Mais l'on peut se demander à qui profitent ces mouvements sur la durée. Et surtout si la consolidation de nos géants de l'IT se fera sans l'Europe.


    Les opérateurs aux marges laminées par les fameux modèles "low cost" - dont les initiateurs sont comparés béatement à des petits Steve Jobs sur l'autel du pouvoir d'achat à tout prix - construiront-ils les réseaux très haut débit dont nos jeunes entrepreneurs et finalement toute l'économie a besoin ? L'irruption de Free Mobile, de l'aveu même du régulateur, va faire fondre les investissements d'infrastructure. On peut raisonnablement penser que nous aurons, en fait, droit à la double peine : 30 à 65.000 emplois détruits dans le secteur en France et le ralentissement durable des investissements.
    Pourtant, les futurs Google européens viendront bien de ces champions européens potentiels ou y seront adossés. Je pense par exemple à ceux du cloud, et pas seulement en terme de commodités d'infrastructures mais de PaaS (platform as a service) et de SaaS (software as a service). La recherche française a ainsi tout pour rivaliser avec les grands langages et "frameworks" mondiaux. Mais nous paraissons enfermés dans le piège de la poule et l'œuf : pas de stratégie industrielle, pas de soutien financier suffisant, pas de "one billion dollar company".

    Pour un plan volontariste de déploiement 4G et fibre

    Appelons donc le politique à soutenir une véritable stratégie de consolidation télécom en Europe coordonnée à un plan volontariste de déploiement d'infrastructures fibre et 4G sur cinq ans avec des accords public-privé permettant la rentabilité dans la durée et la compétitivité de nos territoires. Si la France s'équipait en cinq ans, elle pourrait devenir un des pivots de l'organisation et de l'innovation numériques européennes et mondiales. L'Etat français pourrait alors appeler « les entreprises, entrepreneurs du monde à venir s'installer en France ».

    Voilà un vrai projet industriel pour faire face à notre crise sociale. Si nous ne le faisons pas, nos géants télécoms seront fusionnés dans des groupes extra-communautaires qui réinvestiront dans une innovation... extra-communautaire..
    Nos grands « telcos » sont notre barrière de corail et ces écosystèmes demandent de longues années de croissance. Sortons donc de notre naïveté académique et jouons face aux autres blocs économiques avec la puissance d'un bloc européen affirmé. Appelons dans le même sens à une politique fiscale qui incite les Européens (grands groupes et patrimoines) à investir plus fortement dans les startups et autres PME innovantes IT. Cette orientation ne demande pas de délais pour être efficace.

    Pour une stratégie d'écosystème européen du logiciel et du cloud
    Lançons enfin sans attendre une véritable stratégie d'écosystème européen du logiciel et du cloud, basée sur notre recherche mathématique et informatique. Nous pourrions par exemple sélectionner un couple langage/PaaS européen pour en faire une base de développement des environnements publics et gouvernementaux à venir en Europe. Les entreprises qui l'adopteraient profiteraient ainsi notamment des "connecteurs" publics nécessaires à la gestion courante des relations avec l'administration. Tout existe : les langages, le besoin d'environnement « as a service » européen et la nécessaire automatisation des relations avec les administrations.

    Donnons donc sa chance à la France et à l'Europe de l'IT face aux USA et à l'Asie en :
    1) favorisant la consolidation autour de nos géants télécoms communautaires,
    2) lançant un grand plan d'infrastructures fibre et 4G à 5 ans,
    3) réorientant notre fiscalité de l'innovation vers les startups et PME
    4) faisant émerger un environnement de développement « Platform as a Service » Européen ultra-performant.
    Une feuille de route politique, stratégique pour cinq ans.


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