• Thé, petits biscuits et causerie politique à la maison de retraite

    Thé, petits biscuits et causerie politique à la maison de retraite

    Elles se prénomment Liliane, Paulette, Armande, Lucie, Rolande et Simonne – "Simonne avec deux N", précise-t-elle – et c’est l’heure du thé, cet après-midi là, dans l’appartement de la première nommée, au troisième étage de la Résidence pour personnes âgées de Saint-Pierre-des-Corps. Quand nous avons appelé la directrice de cet établissement municipal pour lui demander de nous trouver des résidents qui accepteraient de parler politique à quelques jours du premier tour de la présidentielle, celle-ci savait qu’elle n’aurait aucun mal à convaincre des candidats, en l’occurrence des candidates.

    Le "casting" s’est constitué au gré des connaissances. Des connivences politiques aussi : deux d’entre elles sont d’anciennes militantes communistes (et revendiquent de l’être restées), une autre a été élue municipale sous l’étiquette PS, les autres se disent plutôt de gauche. A Saint-Pierre-des-Corps, ville administrée par le PC depuis 1920 (année de naissance de deux d’entre elles), trouver des électeurs de droite – en tout cas qui assument de l’être - est difficile. Même dans une maison de retraite.

    Rolande (89 ans), Simonne (84 ans), Lilianne (90 ans), Paulette (91 ans), Armande (92 ans) et Lucie (92 ans).©Helene Jayet

    Rolande (89 ans), Simonne (84 ans), Liliane (90 ans), Paulette (91 ans), Armande (92 ans) et Lucie (92 ans).©Helene Jayet

    Agées de 84 à 92 ans, Liliane, Paulette, Armande, Lucie, Rolande et Simonne (avec deux N, donc) ont en commun, évidemment, de ne pas apprécier Nicolas Sarkozy. Que lui reprochent-elles ? Comme partout ailleurs : de ne pas avoir "tenu ses promesses", clament-elles à l’unisson. Quelles promesses en particulier, quelle proposition relative au troisième-âge le chef de l’Etat n’a-t-il pas réalisé, leur demande-t-on. Aucune n’est en mesure de donner un exemple, sans même se réfugier derrière une mémoire défaillante. Qu'importe, toutes sont bien d’accord : leurs conditions de vie se sont irrémédiablement dégradées sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. "On vit plus mal qu’il y a cinq ans", affirment-elles d'une même voix.

    C’est surtout le coût de la santé qui préoccupe ces octogénaires et nonagénaires encore alertes. Les médicaments qu’on ne rembourse plus, l’augmentation du prix des mutuelles, les dépassements d’honoraires des spécialistes… Et l’impression de "payer tout le temps" pour avoir simplement le droit d’être en bonne santé. Si l’antienne n’est pas nouvelle dans ce type de structure, elle a tendance à s’amplifier à mesure que se rallonge l’espérance de vie. "Ils nous font vivre de plus en plus vieux, mais on n’a pas les moyens de se soigner. C’est un paradoxe. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour le comprendre", fulmine Simonne.

    Toutes, à l’exception d’Armande, ont travaillé pendant leur vie. Rolande a été infirmière, Simonne assistante de direction, Liliane secrétaire, Lucie employée de bureau et Paulette a enchaîné les activités de vigneronne, épicière, "fille de salle" à l’hôpital et vendeuse de pain… Ici, les résidents touchent des pensions plutôt modestes, allant de 600 à 1 400 euros par mois. La location d’un appartement est l’un des plus bas de l’agglomération : 459 euros. "La vie n’arrête pas d’augmenter, mais pas nos retraites qui progressent de cinq euros tous les trois mois", se désole Liliane. Et toutes d’évoquer ce qu’elles considèrent désormais comme du "luxe" : l’emploi d’aides à domicile ou d’aides ménagères. Sans oublier l’alimentation : "Moi, c’est mon fils qui me fait les courses, raconte Armande. Il y a six ans, quand je lui donnais un billet de 100 euros, il me ramenait de quoi tenir presque un mois. Aujourd’hui, pour le même prix, j’en ai beaucoup moins. Résultat, il faut se priver. Pas question de manger des barquettes de fraises à quatre euros."

    A la Résidence pour personnes âgées de Saint-Pierre-des-Corps, la proposition de Nicolas Sarkozy d’avancer au premier du mois le versement des pensions (au lieu du 8 actuellement) n’a pas convaincu nos interlocutrices du jour à qui il n’a pas échappé que les caisses de retraites devront emprunter pour financer ce paiement anticipé. "Je touche une pension de réversion de la SNCF où travaillait mon mari, indique Liliane. Auparavant, je touchais l’entièreté d’un trimestre avant qu’il ne commence. Depuis que ma caisse a fait un emprunt, je touche l’équivalent du premier mois à la même date, puis les deuxième et troisième mois une semaine plus tard. Cela risque de faire pareil." 

    ©Helene Jayet

    ©Helene Jayet

    Ajoutez enfin l’inquiétude du lendemain, non pas pour elles, ni pour leurs enfants déjà d’âge mûr, mais pour leurs petits-enfants et leurs arrière-petits-enfants. "Pour nous, c’est foutu, on ne sera bientôt plus là. Mais les jeunes : de quel monde vont-ils hériter ? C’est pour eux que nous devons voter", confie Rolande. Ces derniers jours, l’ancienne infirmière a puisé dans ses forces pour convaincre plusieurs résidents tentés par l’abstention, car n’ayant souvent personne pour les transporter, d’aller accomplir leur acte citoyen dimanche.

    Le thé se terminait et ces dames parlaient covoiturage.


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