Chokri Belaïd, qui dirigeait le parti des Patriotes démocrates et était une des figures de l'alliance de mouvements de gauche appelée le Front populaire, a été tué de plusieurs balles en sortant de chez lui à Tunis mercredi 6 février dans la matinée. C'est le premier assassinat du genre depuis la révolution qui a provoqué des protestations dans plusieurs villes du pays et des attaques contre des locaux du parti islamiste au pouvoir Ennahda.
La rédactrice en chef tunisienne du site d'information indépendant"Kapitalis", Zohra Abid, était une amie proche de Chokri Belaïd. Sous le choc, en sanglots, elle accuse le parti au pouvoir Ennahda, d'être derrière cet assassinat.
Vous étiez une proche de Chokri Belaïd. Que pouvez-vous me dire de lui ?
- C'était mon ami, c'était un grand homme, c'était un vrai militant. C'était l'une des rares personnes qui tenait bon contre le pouvoir et qui disait la vérité. Aujourd'hui, il a laissé les pauvres, les travailleurs et ses deux petites filles en bas-âge orphelins. Toute la Tunisie le pleure. A l'heure où je vous parle, les gens ont quitté leurs bureaux pour gonfler la foule des manifestants. Il y en a devant le siège du ministère de l'Intérieur, devant l'hôpital où sa dépouille a été transportée pour l'autopsie. Dans son quartier, devant sa demeure, à el-Nasr. Devant le théâtre musical de Tunis...
Pour nous, pour toute la Tunisie, c'est un symbole pour les gens pauvres, pour les gens qui ont fait la révolution de la dignité, de la liberté d'expression. Hier encore, il a donné une conférence de presse au siège du syndicat des journalistes où comme toujours il a défendu les pauvres, la cause des femmes, des journalistes, des artistes, des gens libres.
Son frère a accusé les islamistes au pouvoir du parti Ennahda d'être responsables de ce meurtre. On parle de la milice pro-islamiste de la Ligue de protection de la révolution (LPR)...
- Chockri Belaïd a toujours été menacé par les salafistes, par la LPR, l'aile terroriste et armée d'Ennahda. On voulait le faire taire. Le week-end dernier, il a été passé à tabac dans la région de Kef, lors d'une réunion du parti des patriotes démocrates. Il y a eu 11 blessés. C'était le jour même de l'attaque à Kairouan par des salafistes, lors du meeting du parti Al-Jomhouri, de Maya Jribi. Depuis, il y avait des salafistes et des gens armés du LPR. Hier soir encore sur Nessma TV, il a dénoncé les menaces qui pesaient sur lui.
Pourquoi impliquer Ennahda ?
- Tout le monde le sait. La LPR est la milice d'Ennahda. Il ne faut plus le cacher. Elles se sont constituées pendant la révolution. Après les élections, ces milices ont été rejointes par des gens qui sont aujourd'hui au pouvoir. Et elles sont impunies.
Il y a trois jours, Ennahda a, dans un communiqué, souhaité la libération des personnes impliquées dans le meurtre du coordinateur de Nidaa Tounès. Aujourd'hui, Ennahda essaie de faire profil bas, en déclarant que c'est un assassinat politique.
J'enlève ma casquette de journaliste et en tant que citoyenne tunisienne, je dis que nous en avons marre de ces gens qui ont un double discours. Aujourd'hui, ils sont démasqués.
Que demandez-vous aujourd'hui ?
- Que ceux qui sont à la tête des ministères régaliens soient dégagés. Parce qu'ils sont incapables d'assurer la sécurité dans le pays. Je souhaite qu'ils passent la main à d'autres personnes, des technocrates qui ne dépendraient d'aucun parti en attendant les prochaines élections.
Avez-vous personnellement peur ?
- J'ai été menacé plusieurs fois. On a cassé ma voiture. J'ai été battue à plusieurs reprises. J'ai dépassé la peur. S'ils veulent nous tuer, qu'ils le fassent. Ce n'est pas le premier assassinat, ce ne sera pas le dernier. Mais, on ne doit pas baisser les bras. Tous ensemble, la colère nous tient. La honte aussi. La Tunisie, ce n'est pas la Somalie. La Tunisie n'a rien à voir avec le wahhabisme des salafistes. C'est un pays moderne et intellectuel. Elle ne doit pas être gouvernée par des criminels.