• Un nouveau souffle révolutionnaire

    Publié le 27 juillet 2013 à 05h00 | Mis à jour à 05h00    lien

    Un nouveau souffle révolutionnaire

    Des feux d'artifice illuminaient le ciel du Caire... (Photo Amr Nabil, Associated Press)

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    Des feux d'artifice illuminaient le ciel du Caire le 3 juillet dernier, peu après l'annonce par l'armée de la déposition du président Mohamed Morsi.

    Photo Amr Nabil, Associated Press

    Ma Presse

    Rachad Antonius

    L'auteur est professeur titulaire au département de sociologie et directeur adjoint de la chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté à l'UQAM. Il est au Caire depuis deux semaines.

    En entrant en conflit ouvert avec une de ses composantes, l'organisation des Frères musulmans, la société égyptienne a ouvert une nouvelle page dans le processus révolutionnaire enclenché le 25 janvier 2011.

    Ne nous y trompons pas: il s'agit d'une vague de fond qui a reconnu dans les Frères musulmans un aspect de l'ancien régime, mais un aspect encore plus étouffant et plus dangereux que celui du régime Moubarak.

    Il faut se promener dans les rues, écouter les histoires des gens, voir des ménagères jeter des oeufs et de l'eau sur les manifestations des Frères musulmans pour comprendre la profondeur de l'hostilité que ces derniers ont provoquée dans la société égyptienne. Ceux qui avaient appuyé la candidature de Mohamed Morsi à la présidence il y a un an, tantôt de façon enthousiaste et quelquefois en se bouchant le nez, ont demandé son départ et appuyé sa mise à l'écart par l'armée. Seul le noyau dur des Frères musulmans insiste pour son retour immédiat.

    Pour la majorité des gens, surtout les plus pauvres, Morsi n'a résolu aucun de leurs problèmes de survie. Cette majorité lui reprochait l'incompétence de son gouvernement, et ne se reconnaissait pas dans un président dont les discours ressemblaient plus à des prêches qu'aux déclarations d'un homme d'État.

    Pour de larges secteurs de la classe moyenne, pour beaucoup d'employés de l'État, pour l'intelligentsia, ce qu'il a fait est encore plus grave: Mohamed Morsi avait commencé à faire main basse sur les institutions de l'État et d'y placer, dans des positions décisionnelles, des gens incompétents dont la seule qualité était d'être des membres de l'organisation.

    Pour les décisions importantes, Morsi consultait les responsables de l'association des Frères musulmans et, en particulier le Guide suprême, plutôt que ses ministres. La Déclaration constitutionnelle qui devait servir de cadre législatif pendant la période de transition lui donnait plus de pouvoirs que Moubarak ne s'en était arrogés.

    Sa répression des journalistes, plus grave et plus étendue qu'au temps de Moubarak, a mis contre lui l'ensemble de la presse. Sa mise à l'écart de l'appareil judiciaire, dont il avait neutralisé le pouvoir de le critiquer dans sa déclaration constitutionnelle, avait irrité l'ensemble des juges et l'écrasante majorité des avocats.

    Enfin, sa gestion des affaires internationales dans plusieurs dossiers (l'eau du Nil, la Syrie, les relations avec le Hamas) avait suscité la désapprobation de tout le ministère des Affaires étrangères.

    Tous ces facteurs expliquent qu'un nombre record d'Égyptiens sont descendus dans la rue le 30 juin, dans ce qui peut être considéré comme une «révolution annoncée». La mobilisation avait commencé deux mois plus tôt par une pétition intitulée Tamarrod (Rébellion), et été signée par 22 millions de personnes.

    Combien étaient-ils, dans la rue, en ce 30 juin? Au moins 18 ou 20 millions à l'échelle du pays, selon l'estimation la plus conservatrice, soit beaucoup plus que les manifestations qui ont fait tomber le régime de Moubarak. Certains avancent le chiffre de 33 millions, sur la base de photos satellites de Google Earth.

    C'est donc avec un énorme soulagement que l'immense majorité des Égyptiens ont vu l'armée prendre leur côté, et demander à Morsi d'annoncer des mesures d'ouverture politique, puis, devant son refus de reconnaître qu'il y avait un problème, de l'écarter du pouvoir. L'insistance des médias et de certains gouvernements occidentaux à considérer qu'il s'agit d'un coup d'État a été accueillie avec colère par les Égyptiens qui ne comprennent pas très bien pourquoi les gouvernements occidentaux prennent la défense de Morsi plus qu'ils ne l'avaient fait pour Moubarak.

    Depuis l'annonce de sa mise à l'écart, les Frères musulmans ont réagi en organisant des manifestations, mais aussi en initiant des mouvements de violence, et en accusant du même souffle l'armée de les réprimer dans le sang. Ceci les a isolés encore plus dans la société égyptienne.

    Plusieurs analystes croient que les tentatives de réconciliation avec le leadership des Frères sont désormais vaines et qu'il vaut mieux tendre la main à ceux de leurs partisans - de plus en plus nombreux - qui ont été désillusionnés et qui se sont sentis trahis par l'Organisation. Il ne reste plus qu'à expliquer ces subtilités aux journalistes étrangers, qui croient encore qu'il s'agit d'un coup d'État...


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