• 29 septembre 1902. Zola, son épouse et les chiens sont retrouvés asphyxiés. Accident ou meurtre ?

    Le Point.fr - Publié le 29/09/2012 à 00:00

    Officiellement, le feu qui couvait dans l'âtre aurait émis l'oxyde de carbone mortel. Mais un fumiste a été vu sur le toit...

    29 septembre 1902. Zola, son épouse et les chiens sont retrouvés asphyxiés. Accident ou meurtre ?

     


     

    Lundi 29 septembre 1902. Le valet de chambre d'Émile Zola fait les cent pas dans le salon. L'heure défile, 8 heures , 8 h 15, 8 h 30... et toujours pas de mouvement dans la chambre des patrons. Mais que font-ils ? Joueraient-ils à touche-pipi à leur âge ? D'ordinaire, monsieur et madame Zola se lèvent tôt. Ce n'est pas de chance, voilà qu'ils choisissent de faire la grasse matinée justement le jour où des fumistes doivent venir vérifier la cheminée de leur piaule.

    Hier soir, ils sont rentrés de leur maison de campagne à Médan, où ils ont passé l'été, mais ce n'est quand même pas le voyage en train qui les a épuisés. Médan, c'est la porte à côté, dans les Yvelines. Neuf heures sonnent et toujours pas âme qui vive, Jules Delahalle commence à s'inquiéter. Il frappe à la porte de la chambre avec insistance, pas de réponse. On se croirait à la permanence paloise de François Bayrou. Ni une ni deux, avec deux autres domestiques, Jules défonce la porte pour découvrir deux corps inanimés. Elle gisant sur le lit ; lui, par terre sur le tapis, au milieu de déjections. Sapristi !

    Les domestiques alertent immédiatement des médecins. Le docteur Lenormand est le premier à débarquer dare-dare. Il se penche sur Alexandrine. Elle est encore vivante, mais dans un piteux état. Elle respire difficilement. Avec l'aide de son confrère Bermann, arrivé à son tour, il réussit à la ranimer. Les voilà maintenant en train de s'affairer autour de Zola allongé dans son vomi. Ils s'acharnent, en vain. À 10 heures, il n'y a plus rien à faire. L'immense Émile Zola est mort, à 62 ans. Alexandrine est transférée encore inconsciente à la maison de santé de Neuilly. La nouvelle de la mort de Zola fait le tour du monde en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Les supporteurs du club de foot de Watford portent le deuil.

    Fantasmes

    Il faut avouer que l'écrivain est fichtrement célèbre. Il est l'un des hommes les plus admirés de France après la publication des Rougon-Macquart. Mais c'est, également, un polémiste détesté. Son J'accuse à la une de L'Aurore pour défendre Dreyfus en janvier 1898 déclenche la haine contre lui, le premier écrivain non juif à se battre avec ténacité contre l'antisémitisme ! Cette une lui vaut une condamnation par le tribunal, des tentatives d'attentat contre lui, des menaces de mort, des lettres haineuses par centaines. Il devient le "métèque apatride", le "sale cochon", le "vendu aux juifs", en quelque sorte, l'homme à abattre pour les anti-dreyfusards... Bref, sa mort ne laisse surtout pas indifférent. Soit on verse des larmes, soit on verse du champagne, mais dans les deux cas, on ne peut pas s'empêcher de fantasmer sur sa disparition. On ne peut pas croire qu'il est mort asphyxié. Forcément, c'est un attentat.

    Reprenons les faits. Le 28 septembre, Émile et Alexandrine Zola rentrent à Paris après leur séjour habituel à Médan, dans leur "cage à lapins" en bord de Seine. Jules Delahalle, leur fidèle valet, les a précédés de quelques heures pour remettre en route leur appartement parisien. Pas de bol, le temps est plutôt mauvais, il fait frisquet et humide. Qu'à cela ne tienne, Jules allume un petit feu dans la chambre des maîtres en utilisant des boulets Bernot (du charbon). C'est moins efficace que des bûches, mais les Zola sont un peu radins, surtout madame. En quelques secondes, la pièce est envahie d'une épaisse fumée. Flûte. Voilà que cette cheminée, qui tirait à merveille avant l'été, fait des siennes. Tant pis pour le feu. Jules referme la trappe de la cheminée pour l'éteindre, ouvre la fenêtre pour aérer. Lorsque le couple rentre à pied de la gare Saint-Lazare, le valet raconte ses déboires fumants à Alexandrine, qui lui demande de ne surtout pas rallumer la cheminée et de prévenir les fumistes de passer dès le lendemain.

    Pendant la nuit, Alexandrine se trouve incommodée. Un violent mal de tête la réveille, elle se plaint également de vives douleurs abdominales. Elle se lève, va jusqu'au cabinet de toilette, manque de s'évanouir en regagnant son lit. Réveillé par les gémissements de son épouse, Émile Zola est, lui aussi, patraque, mais il estime que ce n'est pas la peine d'en faire tout un plat. Jusqu'aux chiens qui sont malades ! Sans doute ont-ils dû tous manger quelque chose de pas frais. "Demain, nous serons guéris", lance-t-il à sa femme. Il ne va tout de même pas déranger les domestiques pour si peu, en pleine nuit. Ah, ces bonnes femmes, toujours à s'inquiéter pour rien ! Pour rien ? Quelques minutes plus tard, Émile se lève à son tour, il manque d'air. Il s'écroule avant de parvenir à ouvrir la fenêtre. Ronaldo applaudit le plongeon. Mais ce n'est pas du chiqué, l'écrivain gît sans connaissance sur le sol. Les Zola ne seront découverts qu'à 9 heures du matin par les domestiques.

    Enquête expédiée

    Quand le commissaire Cornette se pointe sur les lieux, à 10 h 20, une flopée de journalistes sont déjà sur place en train de harceler madame Monnier, la concierge. Il prend l'affaire très au sérieux, car la victime est bien connue des services de police, qui ont l'écrivain à l'oeil depuis l'époque où il fréquentait les lupanars pour écrire son roman Nana, mais surtout depuis sa croisade dreyfusarde. Le commissaire Maigret montre à son collègue une bouteille d'eau chloroformée à moitié vide sur la table de nuit. Tiens, tiens. Cornette conclut de prime abord à un "empoisonnement accidentel par médicaments". Quelle perspicacité ! Aussitôt, la presse s'empare de l'information pour suggérer un empoisonnement de Zola par sa femme ou encore un suicide. Le magazine Closer cherche désespérément dans ses archives une photo d'Alexandrine topless à Médan. En milieu de journée, le commissaire Cornette revient sur sa thèse en constatant que la cheminée est encore chaude. Une intoxication au gaz carbonique ou à l'oxyde de carbone ? Le docteur House arbore un grand sourire.

    Effectivement, derrière le rideau métallique baissé par le valet la veille, les boulets ont continué à se consumer lentement. Il est fort possible que des fumées nocives, inodores, invisibles se soient propagées dans la pièce. L'enquête est menée tambour battant. Le sang des victimes, chiens compris, est analysé au plus vite. Tous les échantillons présentent des quantités massives de monoxyde de carbone. Voilà donc le tueur ! Si Alexandrine et ses chiens ont survécu, c'est parce qu'ils étaient couchés sur le lit, à une hauteur où la concentration en gaz mortel était moindre. Autopsies, analyses, reconstitutions, enquêtes de voisinage, tout confirme, aux yeux de l'autorité, la thèse de l'accident. Pourtant, il y a de quoi se poser des questions.

    Lorsqu'une reconstitution à l'identique est réalisée avec des canaris et des cobayes, ces derniers restent en vie. Curieux. Manque-t-il un paramètre ? Et puis pourquoi cette cheminée qui tirait visiblement si bien avant l'été s'est-elle mise brutalement à fumer ? Les experts, encore une fois, évoquent la présence d'un bouchon de suif stoppant l'échappement des fumées. Il se serait formé à cause des trépidations de la rue durant l'été. Toutes les cheminées voisines sont-elles bouchées de même ? Non. Lors de l'interrogatoire du voisinage, un inspecteur apprend que des couvreurs travaillaient sur les toits la veille du décès. L'un d'eux aurait-il obstrué la cheminée par mégarde ? Curieusement, la police coupe court à son enquête. Même si lettre postée à Zola le jour du drame semble revendiquer sa mort, l'enquête se borne à conclure à une mort accidentelle. Visiblement, le gouvernement a voulu expédier l'affaire au plus vite pour ne pas raviver les braises de l'affaire Dreyfus.

    Crime parfait

    Il faut attendre 1953 pour que Jean Bedel, journaliste à Libération, souffle de nouveau sur les braises en publiant une série d'articles intitulée "Zola a-t-il été assassiné ?". Il a rencontré Pierre Hacquin, un pharmacien, qui lui affirme avoir connu l'assassin de Zola. Il s'agirait d'Henri Buronfosse, un entrepreneur fumiste qui lui aurait confié juste avant de mourir, en 1928, avoir bouché la cheminée de Zola le 28 septembre 1902 alors qu'il travaillait sur une cheminée voisine. Puis l'avoir débouchée le lendemain matin. Ni vu ni connu. Pourquoi l'aurait-il fait ? Parce qu'il appartenait à la Ligue des patriotes, créée par Déroulède, donc fervent nationaliste et anti-dreyfusard à mort. Buronfosse aurait voulu "enfumer le cochon". Celui-ci aurait déménagé en 1903 et ajouté le prénom Émile à son état civil : Henri-Émile Buronfosse. Provocation ? Remords ? Trophée de chasse ?

    Avant de mourir, le commissaire Cornette aurait confessé à un de ses proches : "Oui, Zola est mort dans des conditions très suspectes... Je crois que si on avait cherché davantage, on aurait découvert qu'il ne s'agissait peut-être pas tellement d'un accident ; mais à ce moment, la France sortait à peine de l'affaire Dreyfus. L'autorité supérieure ne tenait pas à avoir un autre sujet d'agitation." Nul ne sait si tout ça est vrai. En attendant, si Zola a réellement été assassiné, c'est un crime parfait.


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