Autour de la centrale sinistrée de Fukushima, il existe, même en dehors de la zone interdite, des endroits où les débits de dose annuels dépassent parfois la limite de 20 millisieverts (mSv) fixée par les autorités japonaises. Cela en raison du lessivage des terres par les pluies, qui transportent vers les rivières, puis l'océan Pacifique, des particules de sol contaminées. Un processus dans lequel les typhons jouent un rôle déterminant.
C'est ce que montrent les travaux menés conjointement par des chercheurs français du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE, CEA-CNRS-Université de Versailles Saint-Quentin) et une équipe japonaise de l'Université de Tsukuba. Entre novembre 2011 et mai 2013, ils ont réalisé quatre campagnes de mesures, dans un périmètre de 3000 km2 situé au nord de Fukushima et affecté par les retombées radioactives de la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011. Ce qui leur a permis de connaître l'évolution, dans l'espace et dans le temps, de la dispersion des polluants radioactifs.
CÉSIUM 134 ET 137
« Lors de l'accident de Fukushima, des radionucléides se sont échappés du combustible nucléaire et ont été relâchés dans l'atmosphère », explique Olivier Evrard, du LSCE. Parmi eux, du césium 134 et du césium 137, particulièrement tenaces puisque leur radioactivité diminue de moitié au bout de respectivement deux et trente ans. « Ces radio-isotopes ont la particularité de se fixer fortement et quasi irréversiblement aux particules du sol et aux sédiments, poursuit le chercheur. Sous l'effet de l'érosion, les particules du sol et les radionucléides qu'elles transportent peuvent être transférés dans les rivières, puis exportée progressivement vers l'océan Pacifique en traversant des plaines côtières. »
Dans les sédiments des principales rivières – l'Ota, la Mano et la Nitta – irrigant cette zone, « les débits de dose ont pu dépasser localement 20 mSv par an », indique Olivier Evrard. Et atteindre par moments jusqu'à 75 mSv. Ce n'est pas tout. D'une campagne à l'autre, les débits de dose ont fluctué. Le niveau de contamination des rivières, plus élevé à l'automne 2011, a baissé en 2012 et au printemps 2013.
Explication principale de cette décrue : les violents typhons, accompagnés de pluies, qui ont balayé ce secteur durant l'été 2011, entraînant un transfert des polluants radioactifs vers l'aval. A l'inverse, des typhons moins nombreux et moins intenses ont été enregistrés pendant l'été 2012, d'où une moindre migration des radioéléments vers les plaines côtières. C'est la preuve que « les typhons contribuent très fortement à redistribuer la contamination sur le territoire ». Les chercheurs, qui viennent de réaliser une cinquième campagne de mesures, dont les résultats ne sont pas encore publiés, s'attendent, du fait de typhons plus nombreux et plus violents en 2013 qu'en 2012, à une nouvelle hausse de la contamination des sédiments dans les cours d'eau.
BARRAGES ET VÉGÉTATION
D'autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. D'abord, la présence ou non de barrages. Ceux-ci forment « des zones de stockage temporaire de la contamination », mais, après des pluies abondantes, des lâchers d'eau sont nécessaires, ce qui provoque un surcroît de pollution radioactive. Ensuite, le changement d'occupation des sols. L'interdiction de cultiver les terres marquées par les panaches radioactifs a en effet favorisé le développement d'une végétation plus dense, qui protège les terres contre l'érosion. Mais cette protection, mettent en garde les chercheurs, serait compromise par une reprise de l'activité rizicole.
Si ces travaux permettent de mieux comprendre les mécanismes de transfert de polluants dans la région de Fukushima, ils ne conduisent pas à remettre en cause le périmètre de la zone d'exclusion autour de la centrale. « De manière générale, les zones à accès interdit ou restreint définies par les autorités correspondent bien à celles où les débits de dose annuels dans les sols et les sédiments des rivières dépassent 20 mSv », notent les chercheurs.
PLUSIEURS DÉCENNIES
Mais, alors que l'attention s'est focalisée ces derniers mois sur les rejets d'eau contaminée de la centrale vers l'océan, l'étude franco-japonaise met l'accent sur la persistance de la pollution océanique d'origine terrestre. En juillet, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) rappelait que « les rejets dans l'atmosphère et l'océan dus à l'accident de mars 2011 ont été estimés respectivement à environ 60 et 27 pétabecquerels (millions de milliards de becquerels) ». Et que, du fait du lessivage des dépôts dans l'environnement qui ont suivi l'accident, « l'océan reçoit encore actuellement une radioactivité importante, estimée à plusieurs térabecquerels (millions de millions de becquerels) par an ».
Or, souligne Olivier Evrard, si le niveau de contamination « décroît globalement », la source de pollution des rivières et de l'océan va perdurer pendant « plusieurs décennies ».