Toutes les nuits, depuis des mois, des canots pneumatiques chargés de familles qui ont payé plusieurs milliers d’euros la courte traversée à partir des côtes turques accostent sur les plages de Kos, une petite île grecque. Porte d’entrée de l’Europe en mer Egée, ce confetti de terre de 287 kilomètres carrés est désormais moins connu pour ses paysages de carte postale que pour ses difficultés à gérer l’afflux de migrants, venant pour la plupart de l’Afghanistan et de la Syrie en guerre, par la Turquie voisine.
Sur l’île de quelque 33 000 habitants, la situation, très tendue depuis plusieurs mois, est au bord de l’explosion. Faute de structure d’accueil, les réfugiés dorment dans des tentes ou des hébergements de fortune dans les parcs, les rues, sur les quais et les plages de ce port très prisé des touristes. Plusieurs jours, voire parfois plusieurs semaines, sont nécessaires pour qu’ils puissent s’enregistrer auprès de la police grecque afin d’obtenir le laissez-passer leur permettant de poursuivre leur voyage vers Athènes et d’autres pays européens.
Parqués dans un stade
Lundi 10 août, un premier débordement a embrasé l’île. Un policier local a été suspendu pour avoir été filmé giflant un migrant qui s’approchait plus près que toléré du poste de police local.
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Le lendemain, la municipalité a tenté d’organiser le transfert d’une partie des 7 000 migrants en attente d’un enregistrement vers un stade et un gymnase, afin de faciliter les démarches administratives. Or, selon l’Agence France-Presse (AFP), plusieurs centaines de migrants ont tenté au cours de cette opération d’entrer en même temps dans le bureau prévu pour les enregistrements. Les policiers , débordés, ont alors frappé les migrants avec des matraques et vidé des extincteurs sur la foule. Le maire de Kos en a appelé à l’Etat, affirmant que « le sang risquait de couler et la situation de dégénérer » face au nombre croissant d’arrivées de migrants sur l’île – plus de 500 personnes chaque jour, selon l’édile.
Voir aussi notre reportage : Sur la route de l’Europe
Après cet appel à l’aide, quarante policiers des forces antiémeute grecques sont arrivés sur l’île. « Des renforts vont également être envoyés sur les autres îles de l’est de la mer Egée », a fait savoir à l’AFP un porte-parole de police. La presse grecque évoque un total de 250 hommes supplémentaires pour assister les forces locales sur les îles en première ligne des flux croissants de migrants arrivant de la Turquie voisine, comme Lesbos, Chios, Leros, Kalymnos ou Samos.
« Escalader des grillages pour acheter de l’eau »
« Nous espérons que d’ici à vendredi la plupart des migrants en attente auront pu être enregistrés et pourront quitter l’île », a expliqué mercredi le maire de Kos. Mais la situation reste encore très précaire dans le stade de Kos, où environ 2 000 personnes demeurent dans des conditions extrêmement précaires, selon l’ONG Médecins sans frontières (MSF), la seule présente sur l’île. Parmi elles, « de nombreuses familles avec des bébés et de jeunes enfants, faisant la queue sous un soleil de plomb, par 32 degrés (…) sans aucune installation sanitaire, sans ombre et sans abri », contraintes « d’escalader des grillages pour acheter de l’eau ».
Le quotidien britannique The Guardian fait part de « malaises » et d’un migrant qui a fait une « crise d’épilepsie ». Julia Kourafa, porte-parole de MSF citée par le quotidien britannique, témoigne :
« C’est la première fois qu’on voit, en Grèce, des gens enfermés dans un stade et contrôlés par les forces de police antiémeute. Il y a des mères avec de jeunes enfants et des personnes âgées. Ils ont été enfermés là pendant des heures sous le soleil. »
Plus généralement, les équipes de MSF ont été témoins du harcèlement des réfugiés dans les espaces publics. Selon Brice de La Vigne, le directeur des opérations de l’ONG, « auparavant, on assistait à l’inaction de l’Etat. Désormais, ce sont les abus de l’Etat, avec la police usant de plus en plus de la force contre ces personnes vulnérables ».
« C’est l’Union européenne et c’est absolument honteux »
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Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), sur 224 000 réfugiés arrivés par la Méditerranée depuis janvier, près de 124 000 sont entrés par la Grèce, un chiffre multiplié par sept par rapport à 2014. « En trente ans d’expérience humanitaire, je n’ai jamais vu une situation pareille (…). C’est l’Union européenne et c’est absolument honteux », a déclaré Vincent Cochetel le directeur pour l’Europe du HCR, de retour d’un déplacement dans plusieurs îles grecques, dont Kos, la semaine dernière.
En juillet déjà, le HCR avait déploré le manque d’organisation et de coordination des pouvoirs publics grecs pour gérer l’arrivée des migrants. Il a notamment demandé au gouvernement de « désigner d’urgence une seule autorité pour coordonner » ses actions. Au début d’août, Alexis Tsipras, le premier ministre de la Grèce, a promis des mesures pour améliorer les structures et les procédures d’accueil. « Ce problème nous dépasse. La Grèce est un pays qui subit une crise économique et fait face à une crise humanitaire dans la crise », a-t-il aussi affirmé, demandant la « solidarité européenne ».