C’est une nouvelle expression, lancée récemment par la Haute Autorité de santé (HAS) : la conciliation médicamenteuse. Il s’agit de «concilier» les médicaments pris par le patient avant d’entrer à l’hôpital avec ceux qu’il va recevoir lors de son séjour. Et éviter ainsi des erreurs, des doublons, voire des arrêts intempestifs, etc.

Elémentaire, mon cher Watson… Et pourtant, c’est loin d’être le cas. Faut-il le rappeler, les médicaments ne sont pas toujours d’usage très simple. Et l’erreur médicamenteuse – omission ou réalisation non intentionnelle d’un acte relatif à un médicament, selon la définition officielle –, peut être lourde de conséquences. Les études montrent que 40 % des événements indésirables graves survenant dans les établissements de santé sont liés au médicament, et plus de la moitié sont évitables. Il y a quelques années, au Canada, – pays pourtant modèle en termes d'organisation –, une étude avait souligné que «jusqu’à 60% des patients admis à l’hôpital présentaient au moins une divergence dans leur historique médicamenteux à l’admission» et «6% des patients subiront par inadvertance l’arrêt préjudiciable d’un médicament». L’erreur la plus fréquente étant alors l’omission d’un médicament (46%), suivie par les erreurs de dose (25%), de fréquence de prise (17%), ou de médicament (11%). La dégradation de l’état clinique liée à ces erreurs a été jugée modérée dans un tiers des cas, mais sévères dans 6% environ.

 Résultat sidérant

«La gestion des erreurs liées au médicament fait partie de nos priorités, a insisté la HAS, et c’est pourquoi nous nous sommes mobilisés pour promouvoir la conciliation des traitements médicamenteux.»

Pour cela, a été lancée, il y a cinq ans, une expérience dans neuf établissements de santé : il s’agissait «de prévenir ou de corriger des erreurs médicamenteuses par l’obtention, lors de l’admission, de la liste exhaustive et complète de tous les médicaments pris ou à prendre en routine par le patient avant son hospitalisation, qu’ils soient prescrits par le médecin, ou pris en automédication». L’expérimentation a ciblé des patients âgés de plus de 65 ans admis aux urgences, puis hospitalisés en court séjour, et une personne référent suivait le dossier médicamenteux.

Résultat sidérant : ce travail de conciliation a permis d’établir «46 188 divergences médicamenteuses», c’est-à-dire un écart entre le bilan médicamenteux établi à l’admission et la prescription en cours, et cela sur 27 447 patients «conciliés». 21 320 erreurs médicamenteuses ont été repérées, soit quasiment une par patient. A cela, s’ajoutaient 23 381 changements de traitement voulus mais non expliqués par le médecin. «Sans cette conciliation, 5% de ces erreurs auraient pu avoir des conséquences cliniques graves pour le patient», a noté la HAS, en présentant récemment les résultats de cette expérience pilote.

 Activité chronophage

Dans ce travail, la HAS s’est également penchée sur la question de l’interruption de tâches lors de l’administration des médicaments. Bien souvent, en effet, les acteurs de santé, en particulier les infirmières, sont dérangés dans leur travail, et c'est source d'erreurs. De fait, en moyenne, une infirmière est interrompue six à sept fois par heure. «Chaque interruption augmente le risque d’erreurs de 13%, notent les chercheurs. Ce dérangement peut être dû à des conversations déclenchées par les infirmiers eux-mêmes (dans 22% à 36,5% des cas), aux sollicitations des patients (4,7% à 26,4% des cas) ou à l’environnement de travail (dans 4,5 à 13% des situations).»

«On ne peut pas continuer à avoir des malades qui meurent parce que l’on ne connaît pas leur traitement médicamenteux», s’est insurgée Claude Rambaud, vice-présidente du Collectif interassociatif sur la Santé (CISS), représentant les patients. «Il faut dire et redire aux patients de venir à l’hôpital avec leurs ordonnances.» Que faire néanmoins pour généraliser ces processus de conciliation ? Qui doit les mener ? Le pharmacien ou le médecin en charge du patient ? L’étude pointe que la dite conciliation médicamenteuse est une activité chronophage : elle prendrait entre vingt-six et soixante-six minutes en moyenne par patient. «C’est beaucoup trop long et cela explique en partie pourquoi aussi peu de patients peuvent aujourd’hui en bénéficier à leur entrée à l’hôpital», note François Pesty, un expert en médicaments.

La Haute Autorité de santé s’est engagée à proposer de généraliser cette conciliation, et plus précisément, «des fiches et des outils d’aide à la gestion de l’interruption de tâches lors de l’administration des médicaments» vont être présentés en 2016. Cela sera-t-il suffisant ?

Eric Favereau