La Scientologie développe sa stratégie de communication, notamment en achetant des mots-clés sur le Web. Une recherche Google peut ainsi vous amener loin...
Sur le moteur de recherche Google, l’ « Oxford Capacity Analysis » truste les premières places quand on tape « test de personnalité ». Rien à voir avec la prestigieuse université britannique. Je me suis lancée : 200 questions où j’ai du répondre par « oui », « non » ou « je ne sais pas ».
L’église de Scientologie, puisque c’est elle qui se cache derrière le ronflant intitulé en anglais, promet de « déterminer de façon précise les traits de votre personnalité ». Super. Certaines questions sont vraiment étranges, comme : « Prenez-vous plaisir à regarder un chemin de fer ? ». D’autres vont droit au but : « Cela vous demanderait-il un effort certain que d’envisager l’idée du suicide ? ».
Les entrées tournent autour de trois thèmes principaux : l’opinion sur soi-même, la perception par l’entourage du sujet et la vision de la société. A la fin du test, on me demande mes coordonnées. Le lendemain, je reçois un e-mail d’une certaine Cindy B., scientologue, qui souhaite que je lui transmette mon numéro de téléphone pour discuter avec moi des résultats de mon test.
Le jour-même, je reçois dix-sept appels en absence en l’espace de quelques heures, mais sans aucun message vocal. Lorsque je décroche enfin, une jeune femme à la voix douce mais ferme m’explique qu’elle a bien les résultats de mon test de personnalité, mais qu’il est trop compliqué de me les transmettre par téléphone et qu’il faut donc que je me rende au « Celebrity Center », au 69, rue Legendre, dans le XVIIe arrondissement de Paris, afin de recevoir le graphique correspondant à mon test, et son explication.
« Créer un malaise, et l’exploiter »
Elle ajoute également qu’il faut absolument que je prenne rendez-vous, car leur « organisation » reçoit beaucoup de personnes en ce moment. Mon interlocutrice est convaincante et me propose différentes plages horaires, y compris le dimanche à 20h30. Après de multiples hésitations sur les horaires, nous convenons du dimanche à 16h30.
Avant de me rendre à cet entretien, j’ai montré le test à l’expert psychiatre Patrick Barillot, qui considère que « ce test est bidon. Ils ont raison quelle que soit la réponse que vous donnez. Les questions sont tournées de manière à créer un malaise et à l’exploiter. »
Selon lui, ce test n’est pas exploitable car fondé sur rien, sachant qu’on ne répond jamais vraiment sincèrement à ce genre de test : « Les gens sont friands des tests du style “qui suis-je ?”, et la Scientologie exploite cette faille ».
Des personnes jeunes, élégantes, souriantes
Quelques jours après, je pénètre donc dans le Celebrity Center, qui ressemble à un laboratoire médical croisé d’une bibliothèque : un lieu aseptisé, aux murs entièrement blancs, calme, propre et très moderne. Les personnes à l’intérieur semblent toutes jeunes, élégantes et souriantes.
Certains murs sont équipés d’écrans lumineux, sur lesquels on peut lire les différentes activités proposées par le Centre. On peut aussi voir : « La scientologie aide à devenir soi et à devenir célèbre ».
Un jeune homme à l’accueil me propose son aide : je lui réponds que j’ai rendez-vous avec Cindy. Il m’invite m’asseoir, me tend une feuille à remplir, et m’offre de la documentation pour patienter. On me demande à nouveau mon nom et mes coordonnées, ainsi que ma situation professionnelle.
Il est également demandé si je connais la Scientologie, si oui comment, et quels aspects je souhaite améliorer dans ma vie. Je réponds que je ne connais pas la Scientologie, et que je viens cherche la réponse au test de personnalité effectué sur Internet.
« La Scientologie est une école de la connaissance »
Une jeune femme arrive dans mon dos et m’appelle. Elle se présente ; il ne s’agit pas de Cindy que j’ai eu au téléphone, mais de Marion, personne aimable qui doit avoir une trentaine d’années. Après m’avoir serré la main, elle m’emmène à l’étage dans une petite pièce, où elle ferme la porte.
Il ne faut pas être claustrophobe : la pièce doit faire 5 m² et il y fait très chaud. Sur le bureau, un ordinateur, et des livres de Ron Hubbard sur l’étagère. Sur le mur, un poster avec les étapes de la Scientologie. Elle veut savoir si je connais la Scientologie – c’est décidément une manie –, et si j’en ai entendu parler dans les médias ; je dis « pas spécialement ».
Je lui demande si il s’agit d’une association, elle me répond que oui. Je lui demande alors si il s’agit également d’une religion, puisqu’il y a écrit « Eglise de Scientologie » à l’entrée du centre. Sa réponse est alors assez floue : elle me dit que la Scientologie est une école de la connaissance proposant de s’améliorer.
8 points de ma « personnalité » sur 10 dans la zone négative
A ce moment-là, et toujours avec un immense sourire sympathique, elle sort le graphique de mon test, où 8 points de ma « personnalité » sur 10 sont dans la zone négative. Sur les 2 traits positifs que j’ai, figure « l’agressivité », qui est considérée comme une qualité en Scientologie.
Quand je lui demande pourquoi mon graphique est assez négatif, elle m’explique le test ne retranscrit pas ma personnalité propre, mais la vision que j’ai de moi-même, uniquement au moment où je remplis le texte.
Elle ajoute aussi qu’il s’agit d’un test de personnalité général pour faire ressortir mes points faibles et mes points forts, ce qui ne va pas forcément m’apporter une réponse sur mon orientation universitaire, mais peut m’aider à trouver le sens que je veux donner à ma vie.
Elle me questionne alors :
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Est-ce que je suis dans une période de « ras-le-bol » ?
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Suis-je déprimée ou fatiguée en ce moment ?
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Est-ce que j’ai l’impression qu’une personne me veut du mal ou me manipule ?
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Ais-je du mal à communiquer avec les autres ?
Les résultats du test sont toujours négatifs
La scientologue sépare le graphique de personnalité en trois parties : « être », « faire », et « avoir » : si visiblement je fais beaucoup de choses, la sentence du graphique est sévère : je suis dans le négatif pour « être » et « avoir ». Mon interlocutrice dévaloriser mes « points forts » : certes, le test annonce que je suis très active, mais Marion me demande si justement je ne souffrirais pas de cette « suractivité ».
Je me souviens alors des mises en garde de Roger Gonnet, ancien adepte et dirigeant de la branche lyonnaise de la Scientologie de 1974 à 1982, que j’ai eu au téléphone :
« Les résultats du test sont toujours négatifs, à part un ou deux points. Parmi les milliers de personnes que j’ai reçues en entretien lorsque j’étais scientologue, je n’ai rencontré qu’une seule personne avec un test positif, et je soupçonne qu’on lui ai soufflé les réponses. »
La jeune « auditrice » me tend alors un livre de Ron Hubbard, en m’expliquant qu’il traire de tous les aspects de la vie, et qu’il peut certainement m’aider dans ma vie professionnelle.
Je feuillète ce gros livre rouge, intitulé « Nouvelle optique sur la vie », et demande qui est l’auteur. Question à laquelle elle répond sobrement « le fondateur de la Scientologie » ; je n’insiste pas, sentant qu’elle ne souhaite pas développer.
Pas l’impression de me faire forcer la main
Elle me dit que le livre coûte 12 euros (ce qui n’est pas excessif vu sa taille), et que je peux me le procurer à l’accueil aujourd’hui, ou même un autre jour. Je demande si je peux me le procurer ailleurs ; elle répond que non, ou alors à l’étranger mais avec des frais de port importants.
Elle m’interroge sur ce que je veux apporter aux autres et à la société, question que j’esquive un peu. « Est-ce que la société me rejette, me semble-t-elle injuste ? ». Je dis qu’effectivement la société peut être injuste, et que parfois certaines situations me choquent, mais que je suis une personne chanceuse qui n’a pas rencontré de grands malheurs. Elle marque une pause, qui semble mettre fin à la conversation.
Je me lève donc, la remercie de son accueil, et attend qu’elle ouvre la porte : elle ne le fait pas, j’actionne donc moi-même la poignée. Marion me raccompagne en bas, me serre chaleureusement la main et prend congé.
M’étant renseignée sur ce type d’entretien avec les scientologues, je m’attendais à me sentir plus oppressée. Au contraire, j’ai vite été à l’aise, et je n’ai pas sentie qu’on me forçait la main pour acheter un livre ou revenir rapidement pour prendre des cours.
Achats de mots-clés pour occuper le terrain
La force de la Scientologie est d’être très présente sur le Web. Selon la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) :
« Internet fait partie de la stratégie interne de la Scientologie, ils ont des informaticiens de très bon niveau. Il est impossible que ce soit l’algorithme Google qui ait placé le test de personnalité de la Scientologie à la première place. »
Dans son rapport 2007, la mission interministérielle soulignait cette stratégie numérique de la Scientologie, ayant investit l’espace virtuel comme nouveau terrain de propagande.
Géraud de Veyrac, consultant webmarketing chez la société 1e Position, explique que « la Scientologie a acheté les mots-clés “ test de personnalité ” et même “ test de personnalité gratuit ” pour les résultats en surbrillance ».
Tests truqués
« Ces ventes se font aux enchères entre sociétés en général ». Le consultant estime le prix de cette enchère à 0,4 euro le clic, sachant que la requête « test de personnalité » a été lancée près de 100 400 fois en moyenne par mois. Une somme importante donc, mais pas excessive comparée aux dépenses que la Scientologie consacre à sa publicité aux Etats-Unis, pays où elle est officiellement considérée comme religion depuis 1993 :
« Le mois dernier durant le Super Bowl, la Scientologie a dépensé plus 8,5 millions de dollars pour une minute de publicité télévisée. »
Roger Gonnet, figure de proue de la lutte antisecte, raconte que « le test OCA est truqué » :
« Les réponses ne correspondent pas aux lignes du graphique. De plus, certaines questions valent plus de points que d’autres, comme celle relative au suicide, qui vaut 6 points. »
Selon lui, « ce test a été élaboré par Ron Hubbard probablement selon sa propre analyse de lui-même et ses idées préconçues. Il partait du principe que tout se mesure. »