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"Alias Caracalla" : Jean Moulin raconté par son secrétaire
C’est un petit homme plein d’entrain et de bonne humeur, habillé de couleurs harmonieuses et printanières, qui virevolte au milieu d’un foisonnement d’objets insolites, dans un appartement lumineux qui domine la Méditerranée. À bientôt 93 ans, Daniel Cordier a l’ardeur d’une jeunesse éternelle. Pourtant, il garde en lui la gravité d’une blessure qui n’a jamais cicatrisé. Celle de la disparition de Jean Moulin, dont il fut, pendant un an, le secrétaire, au service de l’unification des mouvements de la Résistance sous la houlette du général de Gaulle, réalisée le 27 mai 1943 par la première réunion du Conseil national de la Résistance... Un événement dont on célèbre ces jours-ci le 70e anniversaire, par rien moins qu’un livre (De l'Histoire à l'histoire, chez Gallimard), une exposition et surtout un film,Alias Caracalla, au cœur de la Résistance, diffusé samedi 25 mai sur France 3, et fidèlement inspiré de l’autobiographie de Daniel Cordier, parue en 2009, Alias Caracalla (disponible en Folio-Gallimard).
L’aventure commence le 17 juin 1940, lorsque la voix chevrotante du maréchal Pétain annonce la reddition de la France dans le poste de radio familial. Soulevé d’indignation, le patriote de 19 ans s’embarque sur le dernier bateau à Bayonne, en compagnie de 16 compagnons bien décidés à continuer le combat. Débarqués en Angleterre, ils rejoignent les Forces françaises libres du général de Gaulle. « En juillet 1940, nous étions une armée microscopique... J’étais, à 19 ans, parmi les plus âgés. J’ai presque les larmes aux yeux en repensant à cette fête de Noël 1940 où de Gaulle est venu nous rejoindre, où il a compris que ses soldats n’étaient que des enfants. »
Entre 1940 et 1942, si l’ardent Cordier suit avec autant de zèle son entraînement en Angleterre, c’est avec un but précis. « Je voulais partir au plus vite en France, pour tuer du Boche ! » Forçant le destin, il s’engage au sein des services secrets de la France libre, où il reçoit la formation réservée aux agents destinés aux missions dangereuses, voués à la torture et à la mort en cas d’arrestation. Mais il va devoir ravaler sa soif de sang… Jean Moulin l’embauche, non pas pour faire sauter des trains, mais pour organiser son secrétariat. Une tâche extrêmement ingrate, consistant à coordonner les liaisons avec Londres, à assurer toute la logistique, à recruter des agents, tout cela dans une peur permanente. À ce stress s’ajoutent des tensions politiques : les chefs de la Résistance s’opposent à Moulin, refusant de reconnaître l’autorité qu’il tient du général de Gaulle. Les seuls moments d’évasion sont ceux où « Rex », dont il n’apprendra l’identité véritable qu’après la Libération, lui parle de peinture et l’initie à l’art moderne. Car l’ancien préfet se fait passer pour peintre, et anime une galerie à Nice. « À ces moments-là, je croyais vraiment qu’il était artiste. Mais lorsqu’on travaillait ensemble, j’imaginais son passé politique, tant il était exigeant et pointu. »
Infatigable, Daniel Cordier témoigne un dévouement sacrificiel à la cause de son patron, brutalement interrompue par l’arrestation du 21 juin 1943, à Caluire (69). Moulin ne parle pas sous la torture et meurt. Le jeune homme termine la guerre dans l’ombre… Il voudra tout oublier une fois la paix revenue. « J’avais été, pendant mon enfance, interdit de parole par les hommes qui avaient fait 14-18, et qui me disaient : “Tu parleras quand tu auras fait la guerre !” Je me suis donc juré que je n’imiterais jamais les anciens combattants. » Il enfouit au fond de lui, comme un trésor trop pur pour être profané, cet amour de disciple, fait d’un immense respect, d’une pudeur totale conjuguée à une admiration incandescente, presque mystique. « Il avait l’âge d’être mon père. J’étais en très mauvais termes avec le mien, divorcé de ma mère. J’admirais intensément mon beau-père. Moulin a remplacé ces deux hommes. Moulin était à moi. » Daniel se lance dans une carrière de marchand d’art où il excelle pendant une trentaine d’années. Il fait deux fois le tour du monde, et gagne beaucoup d’argent. « Un argent qui m’a servi pour la deuxième partie de ma vie… » La générosité de Daniel Cordier sera à la mesure de son caractère radical : il fera don au Centre Pompidou de centaines d’œuvres.
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En 2009, son livre Alias Caracalla révèle dans cette destinée attachante une autre profondeur de champ. L’aventure de Cordier s’est doublée d’une odyssée identitaire qui fut une véritable conversion, finement décrite par le téléfilm de France 3. En juin 1940, l’ancien Camelot du roi est antirépublicain, maurrassien, et s’honore d’un antisémitisme viscéral, hérité de son milieu. Les péripéties de la guerre vont faire tomber petit à petit toutes ces idoles, à l’image d’une banquise qui se défait. L’homme de gauche qu’était Moulin ne fut pas pour rien dans cette évolution. Il sut voir la droiture et la pureté du jeune homme derrière son idéologie. « Lors de notre première rencontre, il me fit parler longuement de moi. J’étais flatté car c’était la première fois qu’un homme s’intéressait à mon itinéraire. Il aurait pu choisir un autre secrétaire. Mais il m’a fait confiance, acceptant que je tienne sa vie entre mes mains alors que mes opinions étaient aux antipodes des siennes. Et, pour la seule et unique fois, il m’a parlé de sa famille, de son père. »Daniel Cordier et Marc Voinchet © Radio France
Avec :
Daniel Cordier
Ancien résistant et secrétaire de Jean Moulin
Galeriste à Paris
Auteur d’Alias Caracalla (Gallimard, 2009) adapté à la télévision sur France 3 (printemps 2013).
Invité(s) :
Daniel Cordier, résistant et secrétaire de Jean Moulin pendant la Seconde Guerre MondialeALIAS CARACALLA AU COEUR DE LA RÉSISTANCE (FRANCE 3) Publiée le 24/05/2013 à 13h05
Tags : 1940 1945- Résistance- Allias CARACALLA-Histoire
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