• Au Sénégal,

    Au Sénégal, "Y’en a marre", et pas seulement du "ticket présidentiel"

     
    À l’appel de l’opposition, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale sénégalaise pour dire non au projet de réforme du code électoral dit du "ticket présidentiel", voulu par le président Abdoulaye Wade. Ses détracteurs reprochent à ce dernier, entre autres, de vouloir installer son fils au pouvoir. Nos Observateurs, qui ont assisté à la manifestation, expliquent pourquoi "y’en a marre".
     
    Le texte du "ticket présidentiel" enflamme la rue sénégalaise depuis qu’il a été adopté, il y a une semaine, par le Conseil des ministres.
     
    Aujourd'hui, c’est aux cris de "Wade go", "Wade dégage" et "Touche pas à ma Constitution" que les manifestants s’étaient donnés rendez-vous sur la place de l’Indépendance et devant l’Assemblée nationale, où les députés devaient examiner en séance plénière le texte de la réforme électorale.
     
    Photo envoyée par notre Observateur Guejopaal Gnane. 
     
     
     
    Face aux protestations, le gouvernement a décidé en fin de journée de revenir sur la mesure à l’origine du soulèvement et la séance parlementaire qui examinait ce texte a été ajournée.
     
    La réforme d’origine prévoyait qu’en 2012, date de la prochaine élection présidentielle, les électeurs voteraient pour un "ticket présidentiel", c'est-à-dire un seul vote pour élire à la fois un président et un vice-président, sur le modèle américain. Le seuil minimum des voix nécessaires pour élire dès le premier tour ce ticket présidentiel était abaissé à 25%, au lieu de la majorité qualifiée (50% plus une voix) requise aujourd’hui. Pour ses opposants, cette réforme électorale était un moyen pour le président Wade de transmettre le pouvoir à son fils Karim, actuellement ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l'Énergie. Chargé du quart du budget de l’Etat, ce dernier est déjà surnommé le "super ministre". Le président a annoncé jeudi qu’il renonçait au seuil de 25% pour que le ticket soit élu dès le premier tour, tout en maintenant semble-t-il sa volonté de créer un poste de vice-président.
     
     
    Les manifestants ont protesté devant l'Assemblée nationale lors de l'examen par les députés du texte contesté. . 
     
    Depuis qu’il est au pouvoir, Abdoulaye Wade a soumis dix-sept projets de loi visant à modifier la Constitution sénégalaise. Candidat à sa propre succession en 2012, le chef d’Etat de 85 ans semble avoir déçu ses électeurs, et notamment la jeunesse qui avait en partie contribué à sa première victoire en 2000. Plusieurs facteurs expliquent l’impopularité du vieux président, comme la crise énergétique qui conduit à de nombreuses coupures de courant, la hausse du prix des denrées alimentaires et le chômage qui frappe de plus en plus de jeunes.
     
     
     

    "Le cri de guerre, c’est Y’en a marre"

    Lamine Mbengue a assisté aux manifestations à Dakar.
     
    J’ai vu des scènes de guérilla urbaines aujourd’hui à Dakar. Les jeunes jetaient des pierres sur les forces de l’ordre, ils brûlaient des pneus, des voitures, des immeubles. Même si Wade a fait une concession, ils sont déterminés à en découdre. Je me suis retrouvé dans une foule qui répondait aux ordres de quelques leaders. J’ai même entendu l’un d’entre eux crier "On se retire !", comme dans un vrai combat.
     
    Photo envoyée par notre Observateur Guejopaal Gnane
     
    La police a répliqué à l’aide de gaz lacrymogènes et j’ai personnellement été visé ! J’ai entendu des coups de feu aussi, mais je crois que c’était des tirs en l’air. Le cri de guerre, c’était "Y’en a marre", du nom du mouvement citoyen créé par un groupe de rappeurs du pays. Depuis le 19 mars dernier, ces rappeurs sont devenus très populaires, parce qu’ils symbolisent la jeunesse sénégalaise et ses revendications. [Le 19 juin dernier, entre 4000 et 5000 personne se sont rassemblées place de l’Indépendance à Dakar pour manifester leur colère, à l’occasion du 11ème anniversaire de l’accession au pouvoir d’Abdoulaye Wade]. 
     
     
    Le Sénégal vit un moment historique. Wade a beaucoup déçu et l’exaspération des Sénégalais a atteint son pic. Les problèmes sont multiples, à commencer par les coupures de courant incessantes qui paralysent les affaires de nombreux commerçants et d’artisans. Les jeunes ne trouvent pas de travail [selon les dernières statiques officielles de l’ANDS, l’Agence nationale des statistiques et de la démographie, 48% de la population est au chômage, la grande majorité sont des jeunes ; selon le ministère de la Fonction publique et de l’Emploi, 400 000 jeunes diplômés sont sans emploi aujourd’hui]. Le Sénégal aussi veut sa révolution."
     
     
    Un de nos Observateurs a interrogé un manifestant sur la place Soweto, non loin de l'Assemblée nationale.

    "Nous voulons bien supporter la faim, la soif, mais pas l’esclavage"

    Guejopaal Gnane est professeur de philosophie dans la capitale sénégalaise
     
    Ce projet de loi aurait été un retour en arrière, une négation de la conscience populaire et de la démocratie. Il aurait suffi à Abdoulaye Wade d’empocher un quart des suffrages pour être élu président. Qu’auraient représenté les 75% de la population restante ? C’était un devoir pour le peuple de se lever.
     
    Il est vrai, Abdoulaye Wade a beaucoup œuvré pour la démocratie au Sénégal. Mais les Sénégalais ne sont pas dupes. Depuis son arrivée à la tête du pays, en 2000, on sait qu’il veut mettre son fils au pouvoir. Ce n’est pas acceptable, nous ne voulons pas de son fils ! 
     
     
    Parking d'une annexe du ministère de la Justice, rue Carnot, à Dakar. Vidéo envoyée par un Observateur. 
     
    Le Sénégal traverse une période très sombre. Au début, on se cachait derrière la crise économique mondiale. Mais aujourd’hui, les Sénégalais sont mûrs. Ils savent que si les disfonctionnements touchent tous les secteurs, économiques et sociaux, c’est à cause de la mauvaise gouvernance de notre pays. Les jeunes ne trouvent pas d’emploi, les paysans n’ont plus les moyens d’acheter des semences pour leur culture.
     
    Photo envoyée par un Observateur. 
     
    Le plus grave encore est l’achat de terres par le président Wade avec des deniers publics [en 2010, Abdoulaye Wade a acheté, en liquide, un terrain à 1.3 milliards de francs CFA (2 millions d’euros). La presse d’opposition du pays parle d’une "opération suspecte et douteuse". Le porte-parole de la présidence a confirmé l’utilisation de fonds publics pour l’achat du terrain, provoquant l’indignation de l’opinion publique sénégalaise].
     
    Le projet de réforme électorale est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Nous voulons bien supporter la faim, la soif, mais pas l’esclavage. Je ne suis pas devin, mais il y une véritable menace que le pays bascule dans l’insurrection générale. Même certains marabouts, en général proches du pouvoir, ont appelé à se rendre à la marche."
     
     
     
     
     
    Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Peggy Bruguière, journaliste à FRANCE 24. 

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  • Commentaires

    1
    Guejopaalgnane
    Dimanche 3 Juillet 2011 à 16:29
    merci pour cette propagation de l'information.Nous en avons besoin pour que tous les autres qui sont à des milliers et des milliers de kilomètres mais qui luttent pour la même cause-celle du droit à la liberté, à la démocratie, à la justice pour tous,sachent à quelle distance sommes nous au Sénégal de ces valeurs universelles qui structurent la vie des individus et celle des peuples et des Etats et des nations modernes.
    2
    marialis2.2 Profil de marialis2.2
    Dimanche 3 Juillet 2011 à 16:33
    Je suis sensible à tes préoccupations, elles sont des priorités pour ce nouveau siècle : qu'enfin, justice, liberté et égalité prennent tout leur sens! Dire est %u0153uvrer aussi pour soi -même : être enfin un homme debout...A
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