«J’ai la rage». Au milieu de syndicalistes rassemblés devant le Sénat, Martine Billard ne décolère pas. «Il n’y a plus rien dans le texte: tout ce qui concernait les militants écolo, les faucheurs OGM, les antipub... Tout cela est exclu», se désole la coprésidente du Parti de gauche. Comme elle, 200 à 300 militants politiques et syndicaux sont venus ce mercredi après-midi face au Palais du Luxembourg pour soutenir la proposition de loi des sénateurs communistes visant à «l’amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux». Cinq heures plus tard, le texte sera adopté à 174 voix contre 172. Mais bien encadré par des amendements venus du camp PS et des radicaux de gauche.
«L’amnistie c’est ici, l’amnistie, c’est maintenant... Sénateur choisit ton camp!» clament des militants PG habillés en bagnards devant Billard. A deux pas, Christophe Schimmel serait concerné par cette amnistie. Il a été condamné en 2007 pour avoir bloqué une ligne de train pendant trois jours pour protester contre la suppression de la ligne Brive-Rodez. Il doit 24 000 euros à la SNCF au titre de dommages et intérêts. «Je réponds que je ne paierai jamais, dit-il. Soit ils m’enferment, soit ils abandonnent».
Au micro, des syndicalistes concernés par l’amnistie se succèdent. Puis monte Jean-Luc Mélenchon. «A bas la violence qui continue contre les nôtres!» lance-t-il au micro. Vendredi, il avait prévenu ses anciens camarades du PS qu’il les «pourchasserait jusque dans le dernier village de France» s’ils ne votaient pas le texte. Les socialistes dénoncent une «fatwa»: «Est-ce qu’on me prend pour un groupe terroriste au Mali? Un séquestreur? répond Mélenchon. Qu’est-ce que j’ai fait d’autre que d’aller voir le président de la République et lui demander les yeux dans les yeux de relâcher les nôtres? Qu’est-ce qu’il a fait d’autre que de me mentir à chaque fois?»
«ça va passer, on a trouvé un accord»
Puis l’ancien sénateur de l’Essonne file dans les couloirs du Palais du Luxembourg. Sous les dorures de la salle des conférences, il se balade au bras de Martine Billard, sa coprésidente du Parti de gauche (PG). Après 23 ans comme membre de la Haute Assemblée, il en connaît un rayon sur les peintures, statues et petites histoires du Palais du Luxembourg. «C’est la seule salle de la République avec le goupillon d’un côté et le sabre de l’autre». Ou encore: «ça a toujours été la chambre de la réaction ici», s’amuse-t-il, prenant en exemple la grande statue de «Saint-Louis» dans la salle plénière. «Quand la VIe République sera mise en place, poursuit Mélenchon, vous pouvez être sûr qu’on l’enlèvera».
Un sénateur assis sur son siège le voit. Vient à sa rencontre: «Je suis content de te voir ici Jean-Luc». Le député européen s’enquiert du résultat du vote de la proposition de loi: «ça va passer, on a trouvé un accord», lui répond-t-il. «Mais ils vont pas trop en enlever?», s’inquiète Mélenchon. «Ils passent à 5 ans». A l’origine, les communistes souhaitaient que tombent sous le coup de l’amnistie les délits passibles au maximum de 10 ans de prison. Sur demande des radicaux, ce sera moitié moins.
Mélenchon termine sa visite avec Billard et quelques journalistes. Alors qu’il se moque du portrait de Napoléon II au plafond, Pierre Laurent arrive par une autre porte. «Tu t’es reconverti en guide?» plaisante-t-il. «Allez va bosser toi!» lui renvoie Mélenchon tout sourire.
Dans un hémicycle peu fourni – une cinquantaine de sénateurs, les autres étant en commission – la communiste Annie David attaque les débats: pour la gauche, «empêcher l’adoption de ce texte ne serait pas acceptable». «Quand la colère gronde ou que les luttes convergent sous la pression du Medef, poursuit la sénatrice de l’Isère, les victimes sont alors érigées en coupable par les bourreaux». Condamner les syndicalistes et les militants associatifs vise, selon elle, à «éteindre toute velléité de contestation».
Le texte déposé par les sénateurs communistes a été une première fois repoussé en commission. Mais après discussion entre groupes politiques de gauche, plusieurs amendements ont été apportés pour permettre à cette proposition de loi de passer l'étape Sénat. Des limites «excessives» regrette Eliane Assassi, rapporteure (PCF) du texte. «Le champ est déjà extrêmement limité par rapport à celui des précédentes amnisties», rappelle au plateau la présidente du groupe communiste pour qui cette proposition de loi est une «mesure d’apaisement».
Assassi insiste ensuite sur les «prélèvements ADN» auxquels de nombreux militants ont refusé de se soumettre pour ne pas finir sur le même fichiers que les délinquants sexuels. La ministre de la Justice lui répond: «Le mélange entre délinquants sexuels et représentants syndicaux dans un même fichier est assez difficilement supportable». Pour Christiane Taubira, cette loi fait «œuvre utile», «œuvre de justice». «Un geste d’apaisement, d’ouverture et de dialogue», complète Virginie Klès, sénatrice PS d’Ille-et-Vilaine, prenant tout de même soin de répéter que ces «gestes d’apaisement» doivent être «limités», «pour relancer le dialogue» social. «Amnistier n’est pas grâcier, rappelle l'écologiste Esther Benbassa. C’est un signal de renouveau du dialogue social.»
Des usines «truffées d'explosifs»
Vient le tour des orateurs de droite. Caricatural sur l’action syndicale et les buts de cette amnistie, l’UMP Pierre Charon s’interroge d’abord sur la «vision étrange du militantisme». Il l’illustre par des usines «truffées d’explosifs» par certains syndicalistes lors de conflits sociaux. «Parlez-nous de la violence patronale!» se fait-il interpeller par la gauche. «Notre rôle n’est pas d’excuser ce qui ne doit pas l'être pour des raisons idéologiques et clientélistes», poursuit Charon. La droite avait prévu une question préalable pour faire tomber le texte. Finalement, elle y renonce. A l’UDI, le centriste François Zocchetto embraye sur la ligne de l’UMP: «L’amnistie vient généralement clore une guerre civile, c’est un geste de pardon (...) Notre rôle de législateur n’est pas d’organiser le carnaval pour calmer les fous.»
Jacques Mézard des Radicaux clôt la discussion générale: «Nous devons nous interroger sur ses limites (...) Il n’est pas possible de tout amnistier aveuglément». Le sénateur du Cantal se permet de tancer Mélenchon. «De tels propos populistes sont inacceptables», lance Mézard. En tribune, ça fait sourire l’intéressé...
Au final, par voie d’amendement, ne seront amnistiées que les personnes condamnées entre le 1er janvier 2007 et le 6 mai 2012 – le PS avait à l’origine proposé le 1er novembre 2008, soit le début de la crise, avant que Taubira n'élargisse le périmètre – et seulement pour des «conflits liés au travail et au logement». Exit la santé et l’environnement. En revanche, les sept mineurs encore sous le coup de condamnations après les grandes grèves de mineurs de 1948 et 1952 seront amnistiés.
Selon plusieurs dirigeants socialistes le gouvernement – et particulièrement Matignon – ne voulait pas de ce texte. «Là, ça a été barre de fer, assure la sénatrice de l’Oise Laurence Rossignol. Nous avons décidé que nous la voterions. Nous l’avons votée et c’est l’essentiel». En séance, cette responsable du collectif PS Gauche durable a cité l’exemple des Continental de Clairoix de son département: «Le Sénat a voté l’amnistie de leur légitime violence», a-t-elle défendu.
«C’est un alibi pour soulager votre mauvaise conscience, a riposté le sénateur UMP Hervé Portelli. Vous ne changerez pas une once de la réalité sociale». «C’est un acte qui va être entendu contre la criminalisation de l’action syndicale», lui a répondu Pierre Laurent. Mais pour le patron des communistes, «le débat devra se poursuivre». A l’Assemblée nationale. Sauf que le texte est loin d'être à l’ordre du jour. «Je suggèrerais bien à mes petits camarades de la récupérer dans une niche socialiste, insiste Rossignol. Qu’on collectivise avec les communistes. Il ne faut pas laisser traîner. Ça presse de le faire». Et la sénatrice de faire la leçon à Mélenchon, qu’elle connaît très bien pour avoir été dans le même courant que lui au PS: «L’enjeu, ce sont les syndicalistes qui sont poursuivis. Pas les journalistes. L’enjeu ce n’est pas les médias, c’est la transformation de la société».