• BAHREÏN • Une main de fer dans un gant de velours ?

    BAHREÏNUne main de fer dans un gant de velours ?

    Au lieu de répondre aux aspirations de la population pour les réformes, le régime soigne son image médiatique, tout en réprimant ses opposants, s'indigne une militante locale.

    16.03.2011 | Tahiyya Lulu | The Guardian


    à la une

    Les forces de sécurité bahreïnies appuyées par des hélicoptères ont lancé le 16 mars une violente attaque contre les manifestants antigouvernementaux qui ont été chassés de la place de la Perle à Manama, lieu symbolique du mouvement de protestation qui dure depuis un mois. Les affrontements ont fait au moins six morts, trois policiers et trois civils. Il ne semble pas que les forces étrangères appelées en renfort par Manama aient été impliquées dans ces opérations. Comme le montre le quotidien de Dubai en première page, des véhicules blindés sont arrivés d'Arabie saoudite pour prêter main forte aux forces de sécurité du Bahreïn.
    Emirats arabes unis
    Gulf News

    Un mois après le début du mouvement d'opposition, des groupes de jeunes ont cherché à bloquer ce week-end l'accès au centre financier de la capitale, mais ont été dispersés à coup de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. Plusieurs dizaines d'entre eux ont été blessés. Par ailleurs, des inconnus ont attaqué des étudiants sympathisants de l'opposition à l'intérieur de l'université avec des bâtons et des épées. Des attaques de ce type se multiplient depuis plus d'une

semaine. L'opposition les impute à des voyous à la solde du gouvernement et accuse les autorités de favoriser une dégradation des relations les communautés sunnite et chiite.  C'est dans ce contexte tendu que le prince héritier a enfin admis le 13 mars que le dialogue national qu'il propose à l'opposition devrait englober un "gouvernement représentatif de la volonté du peuple" et un "parlement de plein exercice".
    Bahreïn
    Al Wasat
     

     Capture d'images de la chaîne Bahrain

TV montrant l'arrivée de troupes de la Force commune des pays du

Golfe, le 14 mars 2011.

     Capture d'images de la chaîne Bahrain TV montrant l'arrivée de troupes de la Force commune des pays du Golfe, le 14 mars 2011.

    Depuis des semaines, la communauté internationale se demande s’il faut imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Pendant ce temps, dans l’étrange quiétude d’une après-midi bahreïnie [le 13 mars], mille soldats saoudiens se sont déployés en direction de Manama, [la capitale de Bahreïn].

    La télévision bahreïnie a fièrement diffusé des images de militaires saoudiens enthousiastes, avançant dans leurs chars et leurs transports de troupes sur la route de 25 kilomètres qui relie Bahreïn à l’Arabie Saoudite. De façon révélatrice, un homme juché à la tourelle d’un char derrière sa mitrailleuse adresse le “V” de la victoire à la caméra. Un cliché qui traduit parfaitement la stratégie actuelle du régime : sourires et signes de paix pour le grand public, tout en faisant intervenir l’artillerie lourde.

    Si les commentateurs pro-gouvernementaux accusent l’Iran de soutenir le soulèvement en cours, Robert Gates, le secrétaire américain à la Défense, en visite à Bahreïn le 12 mars, a déclaré qu’il n’existait aucune preuve d’une ingérence de Téhéran. Toutefois, sans surprise, la Maison-Blanche a émis un communiqué lundi dernier affirmant qu’elle ne considérait pas l’entrée des troupes saoudiennes sur le territoire bahreïni comme une invasion.

    Depuis le début de ce soulèvement — qui réclame entre autres choses des réformes constitutionnelles, une enquête sur le détournement de terrains publics pour un montant de plusieurs milliards de dollars, et la fin de la discrimination systématique —, le régime a appliqué une stratégie qui associe un discours conciliant à une répression violente. Les forces de sécurité ont tué deux manifestants, puis le roi est apparu à la télévision nationale pour exprimer ses regrets et promettre une enquête indépendante pour que les coupables soient jugés. Deux jours plus tard, les hommes de la sécurité prenaient d’assaut le camp des manifestants sur la désormais célèbre place des Perles, en tuant quatre de plus. Quelques heures plus tard, le prince héritier prenait la parole sur les écrans pour appeler au calme, tandis que l’armée bahreïnie ouvrait le feu sur des contestataires désarmés, en abattant deux autres.

    Le gouvernement a alors affirmé qu’il était ouvert au dialogue avec les manifestants (qui font preuve d’un scepticisme que l’on peut comprendre). La méfiance qu’inspire le pouvoir s’explique par une histoire constituée d’oppression et de promesses trahies, qui dure depuis bien plus longtemps que le mois de contestation à Bahreïn. Le gouvernement et ses partisans incitent par ailleurs aux violences sectaires et ont recours à des baltajiyya, des bandes armées déjà responsables d’agressions brutales contre des civils, un phénomène presque aussi inquiétant que l’intervention militaire. Depuis le 11 mars, quand la foule a marché sur la Cour royale à Riffa (un quartier chic principalement occupé par des membres de la famille régnante), le régime a abandonné la rue à la loi du plus fort. Beaucoup de partisans du gouvernement et de baltajiyya ont été photographiés pendant la manifestation et lors d’affrontements entre civils. Au grand jour, avec l’approbation tacite des forces de l’ordre qui grouillent autour d’eux, ces bandits masqués se déplacent équipés d’armes improvisées, dont des sabres.

    Pour mobiliser la population en faveur du déploiement de troupes du Conseil de Coopération du Golfe (GCC) — et préserver sa réputation internationale, qui compte tellement plus à ses yeux que son propre peuple —, le gouvernement bahreïni semble avoir déclenché une campagne médiatique qui louvoie dangereusement entre le désir de présenter le pouvoir comme un défenseur de la paix aux abois et l’incitation à la haine sectaire. Le 13 mars, à l’issue d’une journée d’affrontements, alors que le recours excessif à la force par la police antiémeutes avait causé de lourdes pertes, le prince héritier Cheikh Salman ben Hamad Al Khalifa a prononcé un discours qui parlait une fois encore d’ouvrir le dialogue, mais qui s’est conclu par une mise en garde, rappelant que “le droit à la sécurité et à la protection passe avant toute considération”.

    Bahrain TV, l’organe du régime, a diffusé en boucle des reportages incendiaires, tendancieux et biaisés sur les événements, dépeignant les manifestants comme des brutes assoiffées de violence, un téléspectateur appelant même à l’intervention du GCC pour “protéger” les Bahreïnis des contestataires. Sans doute pour impressionner un public international, les manifestants sont désormais présentés comme des “terroristes”, des “gangsters” et des “éléments étrangers” par les responsables du gouvernement et les loyalistes sur les forums en ligne. La chaîne sert également de tribune aux extrémistes parmi les fidèles du pouvoir, un téléspectateur ayant proposé aux manifestants un “retour à l’époque de Saddam Hussein, et comment il [Saddam] avait traité sa population chiite”. Rappelons que si les chi’ites constituent la majorité des contestataires, parce qu’ils représentent la majorité de la population et des démunis, il ne s’agit pas d’un “soulèvement chiite”. Dans cette hystérie médiatique, le gouvernement donne l’impression d’être le parti de la modération, ce qui lui permet de continuer à réprimer toute dissension avec une violence qui n’a rien de modéré.

    Les Bahreïnis n’ont que faire de belles paroles, ils ne veulent pas d’intervention étrangère, ni d’un système de privilèges. Ce qu’ils veulent, c’est ce qu’ils savent mériter intrinsèquement : des droits. Et le régime a tout intérêt à repenser sa stratégie qui mêle relations publiques et mauvaise politique. Car pour l’instant, la voix de la jeunesse qui s’oppose à lui est plus forte que le grondement de blindés étrangers qui écrasent la souveraineté du pays et menacent la vie de manifestants bahreïnis. Une jeunesse qui, elle aussi, semble s’écrier : “kefaya”, ça suffit.

     

     

     

     

     


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