• « C'est pas du plagiat, c'est… »

    « C'est pas du plagiat, c'est… » : huit défenses de mauvaise foi

    « Une connerie », « un clin d'œil »… PPDA, Houellebecq et aujourd'hui Macé-Scaron reproduisent les mêmes mauvaises explications.

    Le plagiat est « un vol de mots ». Hélène Maurel-Indart, auteure « Du Plagiat », est une spécialiste de la question en littérature. Elle rappelle qu'aux yeux du code de la propriété intellectuelle, « les idées sont de libres parcours ». Les questions de plagiat ne portent donc que sur l'expression et la composition d'une œuvre.

    Agnès Tricoire, avocate spécialisée dans la propriété intellectuelle et auteure d'un « Petit traité de la liberté de création », rappelle qu'on peut emprunter sans plagier :

    « Il faut que la citation soit courte, qu'il y ait le nom de l'auteur et que la source soit citée. Si ce n'est pas de la citation, c'est de la reproduction. »

    Le plus souvent, explique l'avocate, la peine encourue a un rapport direct entre la notoriété du plagiaire. En 1993, Thierry Ardisson en fit les frais avec « Pondichéry ». Le roman fut envoyé au pilon pour avoir plagié deux ouvrages.

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    « C'est pas du plagiat, c'était pas de l'art »

    Me Tricoire :

    « D'abord, la plupart des plagiaires essaient de montrer que l'emprunt n'a pas été fait sur une œuvre d'art.

    Mais les juges n'aiment pas ça. Le plus souvent, le fait d'essayer de dévaloriser l'œuvre originale montre leur mauvaise foi. »

    2« C'est une connerie »

    Joseph Macé-Scaron (RTL.fr).

    La « connerie » a été la première explication de Joseph Macé-Scaron, lorsque Acrimed et Arrêt sur images ont fait savoir que son roman « Ticket d'entrée » reprenait plusieurs extraits d'« American rigolos » de Bill Bryson. Des étapes de travail de son roman se seraient retrouvées « par inadvertance » dans la version publiée.

    PPDA en mai 2008 (François Lenoir/Reuters).Le mot « connerie », fait écho à « l'erreur » alléguée l'année dernière par les Editions Arthaud après la parution de la biographie de PPDA, « Hemingway, la vie jusqu'à l'excès ».

    A l'époque, l'éditeur avait présenté ses excuses à l'auteur et aux journalistes destinataires de l'ouvrage :

    « Les Editions Arthaud tiennent à préciser que le texte imprimé, qui a été diffusé par erreur à la presse en décembre, était une version de travail provisoire. Elle ne correspond pas à la version définitive validée par l'auteur. »

    Me Tricoire « n'imagine pas une seconde qu'un éditeur puisse se tromper dans la version qu'il publie ». Pour l'avocate, la première réponse de Joseph Macé-Scaron sonne comme un aveu :

    « Dire que c'est une connerie, c'est reconnaître sa faute ; »

    3« C'est de l'intertextualité »

    Joseph Macé-Scaron n'a pas été le premier à évoquer l'intertexualité, selon lui « un classique de la littérature ». On doit cette notion à Gérard Genette. Or, chez lui, elle désigne justement toutes les formes d'emprunts, allant de la citation au plagiat.

    « Et puis attention », poursuit Me Tricoire, « l'intertextualité est une théorie littéraire. Ça n'est certainement pas dans la bouche de Genette qu'on trouvera une autorisation de plagier. »

    4« Montaigne l'a fait »

    « Même si je n'ai pas la prétention de me mettre à la hauteur des grands auteurs. Il y a par exemple chez Montaigne 400 passages empruntés à Plutarque… », déclarait Joseph Macé-Scaron. Mais Montaigne cite Plutarque à 88 reprises dans les « Essais », rappelle l'Express. Hélène Maurel-Indart :

    « Primo, Montaigne écrit pour un nombre de lecteurs extrêmement restreint, pétris de culture et baignés par l'univers de Plutarque.

    Deuxio, jusqu'au XVIIIe siècle, il y a une tradition de la création littéraire par l'imitation. L'écrivain n'a de légitimité que sous l'autorité des emprunts aux Anciens. »

    Pour Me Tricoire, « citer Montaigne aujourd'hui, c'est oublier qu'il y a eu entre temps la révolution et l'invention du droit d'auteur. C'est régressif et malhonnête ».

    5« Tout le monde le fait ! »

    Joseph Macé-Scaron dans Libération :

    « J'utilise et réutilise des textes d'écrivains pour lesquels je nourris une grande admiration, c'est un procédé littéraire classique. »

    « Absolument faux », s'agace Me Tricoire.

    « Il y a peut-être une recrudescence mais tout le monde ne fait pas ça. La plupart des écrivains ne font pas de plagiat. Ça tend à essayer de jeter opprobre sur toute une profession. »

    6« C'est un clin d'œil »

    « Avant, en littérature, quand il y avait un clin d'œil, on applaudissait, aujourd'hui on tombe à bras raccourcis sur l'auteur […]. Et les emprunts, cela devient un crime, un blasphème », regrettait Joseph Macé-Scaron auprès de l'AFP.

    Pour Me Tricoire, « un clin d'œil n'a jamais été la reprise de paragraphe entier. C'est un signe d'amitié entre deux œuvres ». Quand un auteur ne donne aucun accès à l'œuvre empruntée en la citant, son texte retombe dans la contrefaçon.

    7« Je ne plagie pas, je copie-colle »

    Michel Houellebecq à Varsovie (Pologne) en juin 2008 (Mariusz Kubik/Wikimedia Commons/CC).

    Michel Houellebecq, pour « La Carte et le territoire » avait été accusé d'avoir recopié une page de Wikipedia, et une autre du ministère de l'Intérieur. Sur le coup, Flammarion avait formulé une réponse légaliste :

    « Michel Houellebecq utilise effectivement les notices et sites officiels comme matériau littéraire brut pour parfois les intégrer dans ces romans après les avoir retravaillés. Si certaines reprises peuvent apparaître telles quelles “mot pour mot”, il ne peut s'agir que de très courtes citations qui sont en tout état de cause totalement insusceptibles de constituer un quelconque plagiat, ce qui constituerait une accusation très grave. »

    Pour Hélène Maurel-Indart, « l'emprunt créatif » est très différent de « l'emprunt servile », qui multiplie les reprises littérales. « Toute écriture est toujours un travail de réécriture », admet-elle.

    « Par exemple, un auteur comme Perec est dans un jeu avec le lecteur. Il faut toujours voir si l'emprunt correspond à une esthétique. »

    8« J'assume (et je vous emmerde) »

    L'année dernière, le phénomène adolescent allemand, Hélène Hegermann, auteur de « Axolotl Roadkill » répondait aux accusations de plagiat par le droit à l'emprunt :

    « Je me sers partout où je peux trouver de l'inspiration et des choses qui me stimulent : films, musique, livres, peintures, photos, conversations, rêves. Peu importe où je prends les choses. Ce qui importe, c'est où je les porte. »

    Dire « c'est ma liberté d'artiste » ne tient pas la route aux yeux de Me Tricoire :

    « Il y a toute une nouvelle mythologie d'Internet qui laisse penser que les contenus sont libres. Ça devient un problème de société qui dépasse d'ailleurs le champ littéraire.

    L'accès au contenu n'autorise pas les emprunts. Devant un tribunal, un auteur plagié aura gain de cause. »

    Au final, peu importe la ligne de défense, la contrefaçon n'a jamais tué le contrefacteur. Reconnu coupable ou non, il est peu probable que « Ticket d'entrée » entache la carrière de Joseph Macé-Scaron. Il reste directeur adjoint de Marianne, directeur du Magazine littéraire, grand débatteur du PAF. Et – cerise sur le CV –, c'est aussi à lui que l'on doit la création du prix du Pastiche.

    Photos : Joseph Macé-Scaron (RTL.fr) ; PPDA en mai 2008 (François Lenoir/Reuters) ; Michel Houellebecq à Varsovie (Pologne) en juin 2008 (Mariusz Kubik/Wikimedia Commons/CC).


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