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    Camus à l'appareil…

     

    <time datetime="2013-09-25T18:51:08" itemprop="datePublished">Publié le 25-09-2013 à 18h51</time>

    Comment le sauvetage de la petite revue "Caliban" par Albert

    Camus, déjà célèbre à l’époque, a marqué, en 1950, la naissance

    d’une amitié.

     

     

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    Albert Camus (SIPA)

    Albert Camus (SIPA)

    Pauvres et ambitieux

    Au mois de février 1950, je n’ai plus de quoi payer mes collaborateurs. Tout jeune, je suis arrivé à la

    direction d’une revue à la fois très modeste et très originale. Elle s’appelle "Caliban" pour bien illustrer l’idée

    que le peuple peut être créateur d’une littérature forte et simple. Elle entend publier d’un côté des séries

    d’articles et, de l’autre, sur une surface égale, des nouvelles, genre littéraire - "la plus mince des œuvres des

    grands écrivains" - pour lequel nous avions une dévotion particulière. C’est l’époque où les Américains

    installaient en Europe ce "Reader’s Digest" qui publiait en les coupant sans vergogne les œuvres les plus

    classiques ou les plus connues. Nous prétendions ne jamais, au grand jamais, nous permettre la modification

    de la moindre virgule dans ce qui était considéré comme un chef-d’œuvre. Nous étions pauvres et ambitieux. 

    Nous recherchions un financement. Je n’imaginais pas que la main qui se tendrait vers nous viendrait de si

    haut. Le protecteur, celui grâce à qui nous allons disposer d’une certaine notoriété et de quelques moyens

    de survie, ce sera tout simplement Albert Camus. Je mets longtemps avant d’oser reconnaître sa voix. Est-ce

    bien lui ? Ce n’est pas une farce ? Oui, c’est bien Camus qui me téléphone. L’écrivain que tous les jeunes

    gens rêvent de rencontrer, l’auteur du "Caligula" que Gérard Philippe et Maria Casarès interprètent alors.

    "Le Sang noir"

    Camus m’a demandé de penser aux plus beaux textes courts, ceux de Tolstoï "Maître et serviteur" ou

    "La Mort D’Ivan Illich" et surtout ceux de Louis Guilloux. J’ai réussi à l’examen qui consistait à vérifier que

    je connaissais bien l’auteur du "Sang noir". Je suis d’une génération où, à 25 ans, on plaçait "Le Sang noir"

    et "Voyage au bout de la nuit" sur le même plan. Lui, Camus, ce qu’il veut, c’est que nous republiions dans

    notre revue le premier roman de Guilloux, "La Maison du Peuple", un chef-d’œuvre selon lui. J’accepte de

    manière si exaltée qu’il me demande de passer le voir. Et pourquoi pas tout de suite ? Je cours le rencontrer

    à la NRF. C’est ma première incursion dans le Temple. Dès qu’il apprend que je suis "de là-bas", c’est-à-dire d’Algérie, son intérêt pour moi se confirme. Guilloux plus l’Algérie, c’est gagné ! Enhardi par un tel accueil, la gratitude me donnant de l’audace, je ne lui demande rien de moins que de donner une préface à "La Maison

    du Peuple". Désarmé par ma hardiesse, il accepte, me permettant de voir là une annonce d’amitié, en tout

    cas une promesse de complicité.

    C’est pour moi le début de la rencontre qui va certainement compter le plus dans ma vie. La préface a donc

    été écrite rue des Grands-Augustins, dans l’ancien atelier de Picasso, où je vais la chercher. Je suis comblé de

    la lire et surpris par sa violence, sa véhémence. Je découvre que Camus réglait ainsi des comptes. C’est dans

    ce texte que se trouve la fameuse phrase : "Nous sommes quelques-uns à penser qu’il devrait être difficile de

    parler de la misère autrement qu’en connaissance de cause." Phrase qu’il commentera diversement par la

    suite. En tout cas, c’est l’époque où la cause de la révolution est confisquée par des grands bourgeois intransigeants, on dirait aujourd’hui radicaux ou staliniens, qui traitent avec une certaine hauteur ce fils

    d’une femme de ménage dont le mari est mort à la guerre.

    Etait-ce tout à fait vrai ? Je ne le croyais pas. Les intellectuels, artistes et écrivains étaient sans doute

    en  majorité des bourgeois. Mais que voulait dire ce mot, à l’époque ? S’il s’agissait de la naissance,

    c’était évident. Mais tous ces hommes n’avaient pas besoin d’avoir vécu la misère pour la dénoncer.

    L’Ecrivain et le Jésuite

    Je veux signaler un autre geste que Camus s’est imposé pour sauver "Caliban". Il y avait à Lyon un

    jésuite, le père François Varillon, qui jouait alors un rôle important dans les amitiés judéo-chrétiennes.

    Il se trouve qu’il avait une passion pour Camus. Mais aussi qu’il était le directeur de conscience de la

    femme d’un grand industriel - mécène possible pour "Caliban" -, qui rêvait de réunir le jésuite et

    l’écrivain pour lequel elle nourrissait elle aussi une grande  passion. Un déjeuner s’ensuit chez

    l’industriel. Après le café, Camus ose parler de religion, tout en précisant qu’il n’est pas même

    baptisé. Le père Varillon a alors la phrase que l’on rêve d’avoir dans ces cas-là : "On n’a que

    faire du baptême lorsque l’on a la grâce." Moment de silence, sourire de Camus. Il me dira ensuite,

    en parlant des jésuites : "Ils sont décidément très forts."

    Jean Daniel - Le Nouvel Observateur

    P.S. Contrairement à ce que j'ai écrit la semaine dernière, il y aura bien à Aix-en-Provence une

    exposition célébrant la centenaire de la naissance d'Albert Camus. Et imposante ! Elle ouvrira ses

    portes le 5 octobre à la Cité du Libre et durera, avec un large ensemble de manifestations, jusqu'au

    5 janvier. Je prie les Editions Gallimard et tous les organisateurs de ces événements d'accepter mes

    très sincères regrets pour mon information erronée.


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