• Chine, Inde et Pakistan se disputent l'eau de l'Himalaya

    Chine, Inde et Pakistan se disputent l'eau de l'Himalaya

    Forum mondial de l'eau | LEMONDE | 12.03.12 | 17h29   •  Mis à jour le 13.03.12 | 10h45

     

    New Delhi, correspondant régional - "La guerre de l'eau" : le scénario alarmiste figure désormais en bonne place dans les analyses prospectives sur la sécurité en Asie du Sud. En février 2011, le Sénat américain avait publié un rapport intitulé "Eviter les guerres de l'eau", centré sur les risques pesant sur le Pakistan et l'Afghanistan. L'étude s'inscrit dans une littérature déjà abondante sur la montée des conflits géopolitiques attisés par la raréfaction de la ressource hydrique dans une région où le triangle Pakistan-Inde-Chine est déjà éminemment instable. En butte à des besoins croissants en énergie, les Etats agrégés autour de l'Himalaya - surtout la Chine et l'Inde aux économies émergentes - sont embarqués dans d'ambitieux projets de barrages hydroélectriques, attisant d'inévitables tensions avec les pays voisins situés en aval.

    Le réchauffement climatique et son impact sur la fonte des glaciers himalayens, qui accroît les risques d'inondation à court terme, ajoutent aux inquiétudes ambiantes. L'Inde se situe au coeur de ce puzzle "hydropolitique". Dès que l'on décortique les contentieux avec ses voisins, le partage de l'eau de l'Himalaya s'impose comme une source majeure de frictions.

    Avec la Chine, la controverse n'a cessé de s'aiguiser ces dernières années. Elle se focalise sur les projets chinois le long du Brahmapoutre (appelé aussi de son nom tibétain Yarlung Zangbo par les Chinois), lequel prend sa source au Tibet, ainsi que sur la plupart des grands fleuves d'Asie.

    En sortant du Tibet, le Brahmapoutre traverse les Etats indiens de l'Arunachal Pradesh et de l'Assam (Nord-Est) avant de sillonner le Bangladesh. Aussi le gouvernement de New Delhi voit-il avec beaucoup de suspicion la construction de tels barrages qui risquent d'altérer la course du fleuve sur ses terres du Nord-Est. Les passions se sont récemment embrasées à propos de rumeurs sur un prétendu projet pharaonique de Pékin visant à détourner l'eau du Brahmapoutre pour la canaliser vers les régions assoiffées de la Chine du Nord.

    Ce plan de diversion massive relève toutefois plus d'un fantasme indien que d'une réalité chinoise, en tout cas pour l'instant.

    Amère ironie : l'Inde reproche à la Chine un égoïsme de l'eau qu'elle inflige elle-même à ses voisins situés en aval. Car le Bangladesh aussi se plaint amèrement des projets indiens de barrages ou de retenues d'eau sur le Brahmapoutre comme sur le Gange. Dans cette affaire, la tâche de New Delhi est compliquée par les intérêts particuliers de ses propres Etats fédérés, comme l'a illustré l'attitude récalcitrante du Bengale-Occidental qui a fait capoter en 2011 un projet d'accord indo-bangladais sur la rivière Teesta. Cette question du partage de l'eau alimente également au Népal des sentiments hostiles à New Delhi.

    Le Népal est certes un pays situé en amont, mais son arriération technologique l'a conduit à coopérer avec l'Inde pour la construction de ses barrages en vertu d'accords dénoncés comme "inégaux" par certains partis népalais.

    Plus à l'ouest de la chaîne himalayenne, l'Inde "en amont" se heurte aussi au Pakistan "en aval", selon le scénario de type bangladais. A la différence près que la discorde est exacerbée par la rivalité historique opposant les deux Etats nés en 1947 sur les décombres de l'Empire britannique des Indes.

    La trentaine de barrages construits, ou en passe de l'être, par New Delhi alimente les pires accusations au Pakistan, notamment de certains groupes djihadistes lançant des menaces terroristes sur le thème : "l'eau ou le sang". La ressource en eau se raréfie dans les deux pays : la moyenne disponible par habitant a chuté à 1 700 m3 en Inde et à 1 000 m3 au Pakistan. D'où l'enjeu de ce partage de l'eau de l'Indus et de ses cinq affluents qui traversent le Cachemire indien avant d'irriguer la plaine du Pendjab pakistanais.

    Bien que les deux Etats se soient déjà livrés quatre guerres, la querelle de l'eau a pour l'instant été globalement endiguée grâce au traité de l'Indus signé en 1960 sous les auspices de la Banque mondiale. Cet accord alloue au Pakistan les trois cours d'eau dits "occidentaux" (l'Indus et ses deux affluents Jhelum et Chenab) - près de 75 % de l'ensemble du débit - et à l'Inde les trois dits "orientaux" (Ravi, Beas, Sutlej, autres affluents de l'Indus). L'Inde se voit en outre reconnaître le droit à usage limité (irrigation, hydroélectricité) en amont sur l'Indus et ses deux affluents "occidentaux" confiés au Pakistan. New Delhi s'est toujours réclamé de ce traité pour défendre la légalité de ses projets de barrage au Cachemire. En réalité, l'affaire est moins juridique que stratégique, le Pakistan se sentant fragilisé face à la capacité que les Indiens s'arrogent à réguler éventuellement le cours de ses cours d'eau.

    Frédéric Bobin Article paru dans l'édition du 13.03.12

    Les guerres de l'eau

    Au bord du Nil au Soudan, le 10 mars 2012. Eclairage Les besoins en eau, source de tensions entre pays


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