• Colère et désespoir dans les vallées népalaises

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    Colère et désespoir dans les vallées népalaises

    LE MONDE | <time datetime="2015-04-28T10:52:54+02:00" itemprop="datePublished">28.04.2015 à 10h52</time> • Mis à jour le <time datetime="2015-04-28T12:08:50+02:00" itemprop="dateModified">28.04.2015 à 12h08</time> | Par

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    Le responsable du district de Gorkha, à 70 km de Katmandou, pris à partie par des villageois, lundi 27 avril. </figure>

    Un autre tremblement de terre a frappé le Népal. Un séisme invisible cette fois, loin de Katmandou, la capitale. Sans secouriste en gilet fluorescent, ni ministre au chevet des malades. Seulement des habitants, pris au piège dans leurs villages reculés et inaccessibles de la chaîne himalayenne, avoisinant l’épicentre du séisme de magnitude 7,8 qui a frappé le Népal samedi 25 avril. Là-bas, on a toujours vécu à l’écart du monde. Depuis samedi, ce sont les morts qui sont invisibles.

    Comment deviner que l’épicentre du pire séisme ayant frappé le Népal depuis 1934 ait pu se trouver si proche de Gorkha, la capitale d’un district qui se trouve à environ 70 km de Katmandou ? Les maisons en ciment et brique rouge sont encore debout et rares sont celles qui présentent des fissures, ou se sont effondrées. Les témoignages épars de quelques villageois rencontrés au bord de la route donnent cependant un autre aperçu de la situation, à plusieurs heures de marche de là.

    Des hameaux et des villages ont été rayés de la carte en quelques minutes. A Barpak, il ne resterait que 4 maisons debout sur 200, et à Dhiska et Muchhok, toutes les maisons, soit environ une quarantaine, auraient été détruites. Le bétail aurait été décimé. Les survivants n’ont pas encore reçu de tentes ou de couvertures, encore moins de la nourriture. « Tous les jeunes du village ont émigré au Moyen-Orient pour travailler sur les chantiers de construction. Il ne reste ici que des personnes âgées, vulnérables, qui peuvent à peine se déplacer », témoigne Purushu Ram, un paysan dont la grand-mère est morte sous les décombres. Le séisme a aussi transformé la topographie des lieux. « On ne sait plus qui est propriétaire de quelles terres, car elles ont changé de taille et de relief », poursuit Purushu Ram.

    « Où est le gouvernement ? »

    Combien sont morts dans cette vallée ? Difficile de le savoir. Le district compte 270 000 habitants et seuls 237 décès et 300 blessés ont été recensés, et près d’un millier a pu être évacué. Un chiffre dérisoire. « Les villages incinèrent leurs morts sans qu’ils soient comptabilisés. Peut-être ne le seront-ils jamais », explique Krishna Lamichhani, qui se prépare à rejoindre ces villages avec sur son dos d’énormes sacs de toile remplis de galettes de pain.

    L’endroit est difficilement accessible. Le paysage se compose de montagnes escarpées avec au loin des pics montagneux enneigés qui percent l’horizon. Une ou deux routes pour relier une poignée de villages. Il faut en temps normal quatre ou cinq heures pour se rendre de Katmandou à Gorkha. Mais depuis lundi, la route est si encombrée qu’il faut au moins une journée. Les files d’autocars et de camions restent immobilisées de longues heures, suspendues sur les flancs de montagne à cause des embouteillages provoqués par les glissements de terrain et un trafic inhabituel.

    « On ne sait plus qui est propriétaire de quelles terres, car elles ont changé de taille et de relief », se lamente Purushu Ram, un villageois de Gorkha

    De nombreaux habitants préfèrent quitter Katmandou, tout comme les migrants indiens qui ont perdu leur travail pendant le séisme, pour rejoindre leurs villages d’origine. Dans les premières heures de lundi, les bus ont été pris d’assaut. Depuis, les glissements de terrain sont fréquents, bloquant la seule route qui relie Katmandou à Gorkha et à l’Inde. Reste la voie aérienne. Mais les hélicoptères ont renoncé à se poser à proximité des villages à cause du relief trop escarpé ou des mauvaises conditions météorologiques. Le seul hélicoptère de l’armée népalaise est tombé en panne samedi. Ceux de l’armée indienne sont trop grands pour pouvoir se poser sur le sol instable. Les secouristes n’utilisent donc que deux appareils légers pour larguer des couvertures et des tentes. Des soldats ont entrepris de rejoindre à pied ces zones isolées, mais leur progression est lente.

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    Des villageoises, près de Gorgha, patientent devant le bureau du district central dans l'espoir qu'on leur distribue des tentes et des vivres. </figure>

    Venir en aide à la population relève de la gageure dans une région aussi coupée du monde, où la population est disséminée dans des centaines de petits hameaux isolés les uns des autres. Le village le plus éloigné du district est à sept jours de marche de la capitale, Gorkha. Sur les bords des routes, on préfère prier pour calmer l’esprit des dieux plutôt que d’attendre les secours. Car ici, on ne croit pas que le tremblement de terre ait été provoqué par le chevauchement des plaques tectoniques. Une photo circule sur les téléphones portables montrant un serpent avec une tête en forme de visage humain. C’est en le tuant par mégarde que des villageois auraient provoqué le séisme.

    Lundi après-midi, dans la ville de Gorkha, un groupe de villageois en colère attendait de rencontrer le responsable du district pour lui exprimer leur colère. « Où est le gouvernement ? Que fait-il pour nous pendant que nos familles meurent ? Toute l’aide va à Katmandou », se désespère l’un d’entre eux qui est arrivé après une journée de marche. Si la consternation et le deuil règnent à Katmandou, ici, c’est le désespoir mêlé à la colère qui domine.

    « Donnez-nous des tentes et des vivres »

    Il faut voir les yeux injectés de sang et les lèvres tremblantes de Krishna quand il parle, pour comprendre la tragédie qui est en train de se dérouler dans son village, à quinze heures de marche d’ici. Lui, le villageois mal fagoté dans sa veste râpée, qui ose s’approcher du responsable du district entouré de policiers pour lui lancer à la figure : « Vous n’êtes qu’un bon à rien. Donnez-nous des tentes et des vivres. » Plusieurs tentes ont été reçues, mais elles n’ont toujours pas été distribuées. Le ton monte entre la cinquantaine de villageois et le responsable du district : « Il faut le battre ! Il faut le battre ! », hurle la foule. Le fonctionnaire, escorté par la police, parvient à se faufiler dans son 4X4, tenant dans ses mains trois ou quatre téléphones portables qui ne cessent de sonner.

    « Où est le gouvernement ? Que fait-il pour nous pendant que nos familles meurent ? Toute l’aide va à Katmandou », se désespère un villageois

    « A force de diffuser des images du drame, les médias excitent la colère et l’impatience, se plaint Uddan Prasad Timalsena. Or, nous recevons l’aide au compte-gouttes. Des ONG ou des entreprises veulent nous envoyer un peu de matériel pour soulager leur conscience, mais ce n’est pas suffisant. » M. Timalsena dit avoir besoin de 40 000 tentes. Il n’en a reçu que 500, ou peut-être 1 000, il ne sait plus. Au moment où il parle, deux jeeps avec à leur bord de jeunes Américains portant de longues barbes et des tongs arrivent avec quelques matelas et des couvertures.

    Le fonctionnaire pousse un soupir. Les habitants l’accusent de vouloir attendre l’arrivée des journalistes pour distribuer les tentes, sous le crépitement des flashs. « Mais comment puis-je distribuer 1 000 tentes ? Il faut attendre que d’autres arrivent pour que l’aide soit équitable », se justifie-t-il. En attendant, le chef du district montre à son ministère qu’il est entièrement consacré à sa tâche : il a créé des sous-comités chargés de la distribution de l’aide. Il y a celui pour les tentes, l’autre pour les couvertures, et même un autre pour l’information. Tous les sous-comités sont prêts. Il ne manque que le matériel. Le fonctionnaire passe un coup de fil à Katmandou pour donner les chiffres de la journée : entre 20 et 25 blessés évacués par hélicoptère et une aide qui se fait toujours attendre. Pour cet autre tremblement de terre, il n’y a pas de bilan, et encore beaucoup de victimes inconnues.

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