Au Mali, chaque heure compte. La crainte de voir certains groupes rebelles descendre vers Bamako après avoir pris le contrôle de toute la région Nord est perceptible. Si les indépendantistes touaregs du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) ont annoncé mercredi 4 février un cessez-le-feu à la "suite de la libération complète du territoire de l'Azawad", les intentions de certains groupes islamistes qui ont concouru aux combats dans le nord, sont moins clairs.
Pour contrer une éventuelle prise de la capitale malienne, les instances régionales se disent prêtes à intervenir. La Cédéao (Communauté économiques des Etats d'Afrique de l'Ouest), qui se réunit ce jeudi 5 février, a demandé aux 15 pays membres de réunir leurs Etat-major pour activer la force militaire de l'organisation qui comprend entre 2.000 et 3.000 hommes. La France a assuré que si elle ne s'engagerait pas militairement, elle était prête à une aide "logistique".
Le Conseil de sécurité de l'Onu a adopté mercredi 4 avril une déclaration dans laquelle il apporte tout son soutien "aux efforts de la Cédéao". Les rebelles ne se trouvent encore qu'à environ 800 kilomètres de la capitale malienne et rien pour l'instant ne permet d'affirmer qu'ils souhaitent continuer plus au sud. Mais la crainte du "péril islamiste" comme l'a nommé le ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, a mis en alerte tous les acteurs de la région. Uune intervention militaire est-elle inévitable ? Stoppera-t-elle le chaos dans lequel le Mali sombre chaque jour ?
Une intervention étrangère limitée
Si les dirigeants des pays de la Cédéao ont montré leur fermeté, reste qu'en pratique la mise en place de cette force militaire est plus compliquée. "Le seul pays qui a vraiment les moyens militaires en hommes aguerris, c'est le Nigéria", indique Antoine Glaser, ancien rédacteur en chef de "La lettre du Continent" et spécialiste de l'Afrique. "On peut compter aussi sur le Burkina Faso, dont le président, Blaise Compaoré a été désigné médiateur de la crise malienne. En Côte d'Ivoire, cela me paraît plus difficile. L'armée ivoirienne est en pleine restructuration et le président Alassane Ouattara a bien du mal à la gérer."
Le nombre de soldats pré-positionnés, quelques 2.000 hommes selon la Cédéao, paraît aussi bien faible quand on sait que le MNLA, appuyé notamment par la structure djihadiste autonome Ansar Dine, est venue à bout de l'armée malienne dans le nord du pays en seulement quelques jours. "Ces quelques hommes ne suffiront pas si l'armée malienne ne se joint pas à cette mission", estime Pierre Boilley, directeur du Centre d'études des mondes africains. "Et il va falloir du temps pour la réorganiser, la réarmer et lui redonner le moral..."
Un terrain difficile
La constitution de cette force militaire pourrait prendre des jours, voire des semaines. Or pendant ce temps, le MNLA affirme son autorité sur le Nord, renforce ses positions et est en train d'organiser la gestion du territoire. Sur le plan logistique, la tâche s'annonce ardue. Reprendre le Nord Mali semble peine perdue. Le MNLA a récupéré sur son passage les armes abandonnées par l'armée malienne en déroute. Les rebelles ont avancé de manière fulgurante et semblent capable de tenir leurs positions. "L'ensemble de la région, y compris les zones de passages que sont Tombouctou et Gao est contrôlé", explique Pierre Boilley. "Dans les localités un peu plus au sud, les rebelles ont crée une sorte de glacis militaire avant d'arriver à ces zones de passages et au fleuve Niger", continue-t-il.
Philippe Hugon, chercheur à l'Iris, émet les mêmes réserves : "Les forces de la Cédéao n'ont jamais été d'une grande efficacité, sauf au Libéria. Elles sont multi-nationales, elles n'ont pas les mêmes traditions militaires et n'ont pas la même langue !"
Enfin pour qu'une intervention militaire puisse se faire dans un cadre légal, encore faut-il que le Mali connaisse un véritable retour constitutionnel. Or la junte, si elle a promis le rétablissement des institutions, est encore au pouvoir. Son leader, le capitaine Sanogo en a appeler à l'aide étrangère. "La Cédéao n'interviendra pas tant que les putschistes seront au pouvoir", assure cependant Pierre Boilley.
S'interposer et sécuriser
Que peut faire alors cette force militaire étrangère ? Arrêter une possible progression des rebelles vers le sud ? "La seule chose envisageable, c'est de sécuriser la ville de Bamako et le sud du pays", juge Antoine Glaser. Une force d'interposition pourrait être déployée dans les environs de Mopti pour empêcher toute progression. Les missions de maintien de la paix sont généralement confiées aux casques bleus des Nations Unis. Aucun de ces soldats n'est présent sur le sol malien et cette solution n'a pas été évoquée pour l'instant.
Pour Philippe Hugon, il s'agit surtout de faire pression. Il estime, que cette menace militaire sert plutôt à "montrer sa force pour ne pas intervenir". "C'est un effet de dissuasion". D'ailleurs, selon le journal algérien "L'Expression", un émissaire américain a rencontré les autorités algériennes afin d'évoquer "une sortie de crise sans provoquer des dommages majeurs, sans intervention militaire et éviter une guerre civile qui pourrait durer longtemps".
La peur de l'engrenage
Si une intervention militaire s'avérait inévitable, elle ne pourrait se faire sans le soutien de pays occidentaux. La France a d'ores et déjà offert son aide logistique. Mais Alain Juppé a privilégié jeudi 5 avril une solution négociée autour de la table avec les Touaregs. "Avec Paris, c'est toujours le même schéma", s'exclame Antoine Glaser. "D'abord, on demande un mandat des Nations Unis, ensuite on s'appuie sur les organisations régionales et on dit qu'on va assurer la logistique. Sauf que dans le cas du Mali, il va falloir faire très attention à ce que cette aide ne passe pas pour de l'ingérence. Le Sahel est une zone d'influence algérienne, et Alger n'a pas très envie de voir les Français dans cette région."
La France ne possède aucune base militaire au Mali. "Les forces françaises se trouvent surtout au Burkina Faso et au Tchad dans le cadre de l'opération 'Epervier'", précise Antoine Glaser. "C'est à partir de N'Djamema que les avions décollent pour surveiller le Sahel et faire du renseignement. J'imagine que ce seront ces forces-là qui seront réquisitionnées si une opération militaire se dessine."
Reste que la France reste prudente sur son éventuelle participation. Six Français sont encore retenus en otage par Aqmi dans le Sahel.
De l'avis de Pierre Boilley, l'action de l'Algérie et de la Mauritanie pourraient être une autre solution. L'Algérie a les moyens de lutter efficacement contre Aqmi et d'être un médiateur de qualité. Mais le pays en-a-t-il envie ?