• Comment Poutine resserre ses réseaux et mobilise des intellectuels

    Comment Poutine resserre ses réseaux et mobilise des intellectuels

    Les opposants parviennent à organiser de grandes manifestations. Mais le candidat Poutine demeure favori pour la présidentielle du 4 mars. Prochain bras de fer entre les deux camps : les 23 et 26 février.

    24.02.2012 | Stanislav Kouvaldine | Expert


     
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    Félix Dzerjinski fonda et dirigea la Tcheka, l'organisme de police politique qui devint ensuite le KGB. Vladimir Poutine, actuel président russe et ancien du KGB, vient de faire installer un buste de lui dans la cour du siège de la police russe, à Moscou.
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    En couverture : Vladimir Poutine portraituré à la manière de Leonid Brejnev. 
Ce pastiche circule sur Internet, détournant l’imagerie officielle du soviétisme.
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    En couverture : A Serguiev Possad, autoportrait devant la laure de la Trinité-Saint-Serge, février 2009. 
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    A l’école des cadets pour filles de Moscou.© Yuri Kozyrev/Noor
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    Septembre 2007, le président et son premier vice-Premier ministre.
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    Dessin paru dans le Financial Times, Londres.
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    © Andrey Rudakov/Capital’s eye/MAXPPP - Cette toile de Dimitri Vroubel et Viktoria Timofeieva, intitulée M. Poutine, a été présentée lors d’une exposition au musée de Moscou en 2003.
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     Pendant la manifestation du 24 décembre à Saint-Pétersbourg

     Pendant la manifestation du 24 décembre à Saint-Pétersbourg

    La campagne pour la présidentielle 2012 ne se déroule pas dans les circonstances habituelles. Dans la capitale, se succèdent des manifestations de dizaines de milliers de personnes. Des personnalités communément appelées “leaders de l’opposition hors système” [opposition non représentée au Parlement, mouvements issus de la société civile récemment encore marginalisés] sont désormais invitées sur les plateaux de télévision, où on les laisse dire ce que bon leur semble, ou presque. Lors des débats entres candidats au poste suprême (ou avec des “émissaires” de Vladimir Poutine) [celui-ci a refusé de débattre avec ses challengers pour cause d’emploi du temps chargé. 499 “émissaires” issus du gratin culturel, scientifique et sportif le font à sa place] retentissent des déclarations de toutes sortes sur le sort à réserver au système actuel en général, et à certains de ses représentants en particulier.

    Mikhaïl Prokhorov [droite ultralibérale], Guennadi Ziouganov [Parti communiste] et Sergueï Mironov [parti Russie juste, centre gauche], trois des quatre candidats outre Poutine, assurent à leurs électeurs potentiels qu’en cas de victoire ils n’occuperont pas le fauteuil présidentiel durant les six années imparties [la durée du mandat, renouvelable une fois, passe à partir de ce scrutin de quatre à six ans], mais le libéreront bien plus tôt, après avoir restauré tout un ensemble de libertés et confié d’importants pouvoirs au nouveau Parlement [élu le 4 décembre]. De son côté, Vladimir Poutine s’entretient avec ses représentants, des équipes de politologues, des organisations d’observateurs du scrutin (pas toutes, évidemment), et expose assez ouvertement son opinion sur les problèmes auxquels le pays est confronté. Il publie dans les principaux journaux des articles détaillant les grandes lignes de son programme. Cela a-t-il un impact sur la situation pré-électorale ? Certaines tendances inhabituelles ces dernières semaines dans les déclarations des électeurs pourraient offrir des éléments de réponse.

    Faute d’alternative crédible

    Pour la Fondation opinion publique (FOP), la cote de popularité de Vladimir Poutine n’a cessé de baisser tout au long de 2011, atteignant son plancher mi-novembre, à 42 %. Depuis, elle remonte, et se situait à 47 % d’opinions favorables le 4 février. Le Centre d’étude de l’opinion enregistre lui aussi une tendance à la hausse, et donne 54 % d’opinions favorables le 9 février. Pour les autres candidats à la présidence, les chiffres varient très peu, Ziouganov et ­Jirinovski se maintenant autour des 10 %, Mironov à 5 % et Prokhorov à 4 %. La FOP donne les mêmes chiffres, sauf pour ­Sergueï Mironov, qu’il crédite de 2 % ­seulement. On voit ainsi que le contexte dans lequel se déroule cette campagne n’a guère d’influence sur la relation des électeurs avec les candidats. Le fait que la cote de Poutine monte doucement alors que celle des autres ne bouge presque pas doit donc s’expliquer par d’autres facteurs. Commentant ces bons chiffres du Premier ministre, le président de la FOP, Alexandre Oslon, assure qu’il ne faut pas forcément chercher à les relier à certaines de ses initiatives récentes. La raison principale de l’amélioration de sa cote de popularité serait l’absence d’alternative crédible. “Concernant Poutine, l’élément déterminant est que les électeurs se demandent qui d’autre, à part lui, peut occuper le fauteuil, et cela les pousse tout droit vers la réponse”. Selon cet expert, leur relation aux autres candidats est fonction d’une série complexe de raisons, l’une d’elle étant le “sérieux” de la candidature de tel ou tel.

    A bonne distance des politiques

    Valeri Fiodorov, directeur général du Centre d’étude de l’opinion, estime que les résultats finaux des candidats de l’opposition seront meilleurs que leurs cotes de popularité actuelles : “Traditionnellement, les candidats de l’opposition recueillent plus de voix que ce qu’avaient indiqué les sondages. Les explications sont multiples. Certaines personnes refusent de confier leur choix lorsqu’on les interroge, et les hommes d’âge moyen, qui constituent l’essentiel des protestataires, sont peu pris en compte dans les sondages par téléphone parce qu’ils se trouvent rarement chez eux quand on les appelle ou n’ont pas le temps de répondre à une enquête d’une demi-heure.” Concernant Poutine, le résultat définitif ne devrait pas être meilleur que les sondages, car “son électorat, surtout passif, peut décider de ne pas aller voter, il n’obtiendra donc pas un score plus élevé que prévu”.

    Pendant ce temps, nous sommes témoins d’une politique d’un nouveau genre, qui s’élabore dans la rue et ne semble pas liée au calendrier électoral. Le 4 février, un mois jour pour jour avant la présidentielle, Moscou a connu deux grandes manifestations. L’une reliait l’avenue Iakimanka à la place Bolotnaïa pour réclamer des élections honnêtes, et l’un de ses mots d’ordre était “Pas une seule voix pour Vladimir Poutine”. L’autre, sur la butte Poklonnaïa, avait pour slogan “Nous avons beaucoup à perdre”. Les décomptes officiels et officieux du nombre de manifestants de part et d’autre vont de 35 000 à 135 000 personnes, mais tout le monde reconnaît qu’il y avait foule des deux côtés.

    Quoi qu’il en soit, il faut noter que tous les participants à la manifestation d’opposition ne sont pas restés pour les prises de parole des personnalités attendues, non seulement à cause de la température de ce samedi-là (– 25 °C), mais aussi parce que certains n’avaient pas envie d’entendre les orateurs, uniquement intéressés par la participation à la marche où tout le monde est à égalité. Le phénomène avait déjà été observé lors de la première manifestation [le 10 décembre] : la partie cortège et la partie discours sont deux entités séparées. Cette fois tout avait été organisé pour qu’on puisse prendre part au défilé et ne pas rester pour les discours sans avoir l’impression de trahir la cause. Autre curiosité intéressante : aucun candidat à la présidence ne se trouvait parmi les orateurs. Prokhorov a défilé comme un manifestant ordinaire, Sergueï Mironov n’est pas venu, déclarant qu’il n’avait “rien à faire” aux côtés des libéraux. Alexeï Navalny [le célèbre militant blogueur anticorruption, lire CI n°1109], qui a certaines ambitions politiques, n’a pas non plus prononcé de discours. Ainsi, le mouvement de protestation de la rue tient à éviter de se mélanger à la campagne politique. Ou, plus exactement, il sait quoi penser de Poutine mais ne juge pas indispensable de définir sa position à l’égard des autres candidats.

    La protestation demeure au niveau de l’émotion, s’arrête à la conviction que les législatives n’ont pas été légitimes, et que les scrutins en général ne le sont pas. Dans l’ensemble, les contestataires s’accordent à dire que telles qu’elles sont organisées à ce jour en Russie, les élections ne constituent pas un moyen d’entière légitimation pour ceux qui se présentent. Cela vaut aussi pour la présidentielle qui arrive, et qui verra sans doute la victoire de Vladimir Poutine. Reste à savoir si cet état d’esprit sera alors partagé par de larges catégories de la population. Car c’est cela qui va contribuer à déterminer l’évolution de la vie politique. C’est là que réside le grand pari des militants actuels.

    Concernant la manifestation pro-Poutine, les vidéos consultables sur YouTube montrent que les discours enflammés des orateurs ne soulèvent aucun enthousiasme, tandis que les incitations à scander des slogans restent ignorées ou suivies par une partie réduite du public. En d’autres termes, le bilan est le même que dans le camp d’en face : un fossé entre les masses et les personnalités qui s’expriment de la tribune. Mais avant d’établir des analogies il faut étudier la nature de ce fossé.

    La manifestation des protestataires et le rassemblement des pro-Poutine figurent de façons très dissemblables sur les réseaux sociaux. Concernant les seconds, il est presque impossible de trouver des photos, des réflexions sur l’événement, des échanges sur le sujet. On peut dès lors formuler deux hypothèses : soit les manifestants de ce camp ne sont pas de grands utilisateurs des réseaux sociaux, soit ils ne sont pas enclins à considérer le fait d’avoir assisté à ce meeting comme quelque chose qui mérite d’être largement signalé. Quelle que soit la raison, le tableau est radicalement différent en ce qui concerne la manifestation de l’opposition, diffusée à grande échelle sur Internet.

    La façon de mobiliser a aussi été tout autre. “Nous avons des accords de coopération avec plus de quarante associations, explique Andreï Ilnitski, responsable des relations avec les associations au Comité exécutif de Russie unie [le parti au pouvoir]. Bien sûr, nous leur avons passé des coups de fil pour leur proposer d’envoyer du monde. Je pensais que nous réunirions dans les 200 personnes, mais la veille, mes collaborateurs m’ont appelé pour me dire qu’il y en aurait 1 500. C’est là que j’ai compris qu’il y aurait foule.” Sur Internet, on peut lire de nombreux témoignages anonymes de participants affirmant qu’on leur a forcé la main. En tout cas, le parti au pouvoir a montré qu’il pouvait, sans trop de problèmes, organiser une action de masse, ce qui constitue une nouveauté dans notre politique de la rue.

    D’après les sondages de la FOP, le soutien aux manifestations protestataires serait en train de s’éroder. Fin décembre, il s’établissait à 34 %, contre moins de 25 % aujourd’hui. Alexandre Oslon a sa petite idée sur la question : “Avant, quand on interrogeait les gens sur leur envie d’aller manifester, ils donnaient une réponse théorique. A présent, ils ont pu voir à la télé comment cela se déroulait. Il est possible que, du coup, beaucoup ne soient pas tentés d’adhérer à ces actions devenues très concrètes.”

    Au sujet des articles dans lesquels Poutine expose son programme, le politologue Valeri Fiodorov ne croit pas qu’ils puissent avoir une réelle influence sur les intentions de vote : “La presse est un média secondaire, et en outre ceux qui lisent les journaux sont généralement opposés à Poutine. Ces articles sont une simple tentative pour sortir le débat de la logique des rassemblements de rue et ne s’adressent qu’à une catégorie sociale minime.” Cela n’a pas empêché ces articles de provoquer de vives réactions. Ainsi Vladimir Poutine a fourni la preuve qu’il était capable de mener campagne dans les registres les plus divers, qualité qui confirme qu’il reste un homme politique de premier plan. Et c’est l’une des raisons qui font que beaucoup de gens ont une réponse toute prête à la question : “Qui sinon Poutine ?”

    Fiodorov ne prédit ce que deviendra sa popularité après la présidentielle. “Il a déjà fait toutes sortes de promesses, et s’il les oublie dès le lendemain de son élection, sa cote baissera.” L’optique des citoyens qui manifestent depuis décembre est moins la présidentielle elle-même que ce qui se passera après. Ils réclament plus d’influence sur les processus à l’œuvre dans le pays. Le slogan “Une Russie sans Poutine” peut même être mis de côté pour un temps. L’important, c’est de savoir en quoi va consister, dans les circonstances actuelles, une “Russie avec Poutine”.


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