Avec la crise des dettes européennes dans l'Union, souffle un vent d'ouest menaçant sur le dinar serbe. La devise du pays le plus peuplé des Balkans s'est affaissée à un niveau de faiblesse inédit cette semaine, glissant à 116 dinars pour un euro et obligeant la banque centrale à voler à son secours en dépensant 80 millions d'euros de ses réserves.
Un an plus tôt, il fallait seulement une centaine de dinars pour un euro. Depuis le début de l'année, l'institution aurait dépensé près de 1 milliard d'euros pour soutenir sa devise nationale. Une mesure qui n'a pas fait ses preuves : au cours de la même période, le dinar a perdu environ 7,3 % contre l'euro.
Les investisseurs ont abandonné en masse la monnaie, le RSD pour les traders de devises, depuis l'échec de la coalition de gouvernement de Tadic, qui incarnait la volonté d'entrer dans l'Union européenne (UE), et la victoire du leader de droite Tomislav Nikolic... qui éprouve lui-même des difficultés à former un gouvernement.
"Cela alourdit les charges de ceux qui ont contracté des crédits en euros ou paient leurs loyers dans cette devise. Ils doivent dégager encore plus de dinars, afin de rembourser leurs crédits, alors que leurs revenus n'augmentent pas", explique Yves Tomic, vice-président de l'Association française d'études sur les Balkans. "70 % des prêts aux entreprises sont en euros", ajoute-t-il, un mauvais point pour la reprise attendue.
GLOIRE ET DÉBOIRES DU DINAR
Le dinar a pourtant connu son heure de gloire sur le marché du Forex (Foreign Exchange), grâce à un taux directeur élevé fixé par la Banque centrale de Serbie. Un loyer de l'argent élevé garantit un bon rendement aux cambistes désireux de jouer le différentiel avec des monnaies au faible taux d'intérêt. Dans la première moitié de l'année 2011, rapporte l'agence Bloomberg, le dinar était la devise la plus performante au monde contre l'euro et le dollar.
Problème : l'inflation, qui évolue de façon très violente (elle était autour de 15 % en 2011, vers 3 % au début de cette année), participe à cette dépréciation de la monnaie. Or, la banque centrale a annoncé, dans son dernier rapport sur le sujet, qu'elle prévoyait une hausse des prix autour de 6 % à la fin de 2012. Et comme le seul moyen pour la combattre est de relever les taux d'intérêt, ce qui ralentirait une croissance déjà taclée par la crise...
"La baisse du produit intérieur brut au premier trimestre est due à un climat extrêmement froid [qui oblige à importer du pétrole en plus grande quantité], mais aussi à la contraction de l'activité économique de nos partenaires économiques clés", détaille la Banque dans ce rapport. Si l'on en croit ses projections, elle se serait même résignée à une récession jusqu'au troisième trimestre.
UNE MISE EN GARDE PEU HABITUELLE
Etonnament pour ce genre d'institution, qui prend habituellement de circonspectes distances avec le pouvoir politique, la banque centrale mentionne son inquiétude concernant la formation d'un gouverment : "Du point de vue de la stabilité économique requise par les marchés et de la prime de risque [que le pays pourrait payer pour emprunter], il serait bon que le futur gouvernement soit formé rapidement", insiste-t-elle.
Si le pays peut se féliciter que la faiblesse du dinar rende ses exportations plus compétitives, il ne peut rien contre le fait que ses principaux débouchés, à l'ouest, se tarissent pour cause de restrictions dues à la crise. Et notamment dans l'automobile, où le pays a investi ces dernières années. Le plus gros investisseur industriel étranger, US Steel, a abandonné sa participation dans l'aciérie cette année.
Face à la récession qui guette, le nouveau gouvernement aura besoin de renégocier un accord de prêt de 1 milliard d'euros avec le Fonds monétaire international, gelé en janvier en raison d'une aggravation du déficit budgétaire et de la dette publique.
PRÉSENCE DES BANQUES GRECQUES
Le vent d'ouest risque encore de souffler sur les épargnants serbes, mais cette fois en partant directement d'Athènes. En effet, la plupart des banques étrangères sont originaires de pays de l'UE, avec une part relativement importante de banques grecques et italiennes. Une tension supplémentaire sur leurs maisons mères pourrait conduire à un nouveau resserrement du crédit dans la région.
Alpha Bank Serbia, Eurobank EFG, la Banque du Pirée et Vojvodanska Banka sont quatre gros bailleurs de fonds des Serbes. Les banques grecques représentent 15 à 20 % du secteur bancaire serbe, en termes d'actifs, de prêts et de dépôts, un risque fort dans un pays qui a connu une panique bancaire il y a à peine cinq ans, quand la crise financière mondiale a commencé de sévir.
Une banqueroute héllène provoquerait une déflagration importante dans le pays, forçant le gouvernement à nationaliser les branches serbes des maisons grecques, ce qui approfondirait le déficit du pays, renchérirait son coût d'emprunt sur les marchés... et achèverait le dinar.