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    Perec inédit: l’histoire d’un manuscrit perdu

    Créé le 24-02-2012 à 19h37 - Mis à jour à 19h59      Réagir

    Il le considérait comme son «premier roman abouti»«le Condottière» parait pour la première fois.

     

    Georges Perec, en 1965 (Sipa)

    Georges Perec, en 1965 (Sipa)

    En décembre 1966, Georges Perec déménage. Comme tous les gens qui déménagent, il fourre des vieux papiers dans des valises. Perec, qui a obtenu le Renaudot l’année d’avant  avec « les Choses », met sa paperasse inutile dans une valoche, et ses œuvres de jeunesse dans une autre, en carton bouilli, selon Claude Burgelin, excellent préfacier de l’ouvrage. Il veut garder les manuscrits, et jeter les papiers. Il fait l’inverse.

    C’est ainsi que Perec a perdu «le Condottière» (il l’écrivait comme ça, avec un accent grave). Il en était désolé, il en disait dans «W ou le souvenir d’enfance» : «premier roman abouti que je parvins à écrire». Dix ans après la mort de l’écrivain, en 1982, David Bellos, son traducteur en langue anglaise et biographe, en retrouve des doubles, dont deux en Yougoslavie.

    Le livre refait surface aujourd'hui, pour le trentième anniversaire de la mort de son auteur. Il sort en librairie le 1er mars, au Seuil. L’histoire: Gaspard Winckler, faussaire de son état, veut réaliser une copie du « Condottière », tableau peint en 1475 par Antonello de Messine.  Il le fait pour le compte d’un certain Anatole Madera, qu’il assassine d’ailleurs dès le début du récit. On n’en dit pas plus, c’est une sorte de polar.

    La rédaction du livre s’est étalée entre 1957 et 1960. Perec n’a encore rien publié, mais il se dit déjà écrivain. Il compte déjà deux tentatives romanesques à son actif : « les Errants », écrit 1955 à 19 ans, manuscrit perdu ; « l’Attentat de Sarajevo », écrit en 1957, refusé par Maurice Nadeau.

    Ce nouvel essai s’intitule d’abord « la Nuit », puis « Gaspard », puis « Gaspard pas mort ». La rédaction du texte est un grand moment pour Perec, qui écrit à son ami Jacques Lederer : «"Gaspard" se précise, s’éparpille, se retroupe, fourmille d’idées, de sensations, de sentiments, de phantasmes (sic) nouveaux.»

    Le Seuil le refuse. Perec envoie une version remaniée à Gallimard, qui accepte de le proposer à son comité de lecture et donne à l’auteur un à-valoir de 75.000 francs. On est en mai 1959. Un an et demi plus tard, le refus de Gallimard tombe :

    On a trouvé le sujet intéressant et intelligemment traité, mais il semble que trop de maladresse et de bavardages aient braqué plusieurs lecteurs. Et même quelques jeux de mots, par exemple: «Un bon Titien vaut mieux que deux Ribera.»

    Perec vit mal cette fin de non-recevoir. Il avait mis beaucoup dans «le Condottière», exprimé son obsession du faux, trouvé un art de l’emmêlement narratif, toutes choses qu’il déploiera ensuite dans son œuvre. Il finit par avaler la pilule: «Quand au ‘’Condottière’’, merde pour celui qui le lira », dit-il. A Jacques Lederer, il écrit :

    Le laisse où il est, pour l’instant du moins. Le reprendrai dans dix ans, époque où ça donnera un chef-d’œuvre, ou bien attendrai dans ma tombe qu’un exégète fidèle le retrouve dans une vieille malle t’ayant appartenu et le publie.

    A peu de choses près, c’est exactement ce qui s’est passé.

    David Caviglioli


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