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Dans les banlieues, le chômage au sommet n'aide pas le "vivre ensemble"
Dans les banlieues, le chômage
au sommet
n'aide pas le "vivre ensemble"
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Depuis dix ans, les chiffres alarmants du taux de chômage dans les quartiers prioritaires s'accumulent sans que rien ne change. L'absence de perspectives nourrit les frustrations et le repli sur soi.
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<article class="article" id="item_article"><header class="article_header"><figure class="ouverture"><figcaption>Dans les quartiers prioritaires, le taux de chômage est le double de la moyenne nationale.
afp.com/Fred Dufour
</figcaption></figure> </header>Tous les dix jours, Gilles Leproust ouvre les portes de sa permanence à ses administrés. A Allonnes, ville de 11 000 habitants en périphérie du Mans, le maire y voit débouler les privés d'emploi. "Ils viennent nous dire leur colère. Beaucoup sont dos au mur", raconte-t-il. Dans cette commune marquée par les grands ensembles bâtis dans les années 60, le chômage atteint 21%. Chez les jeunes des quartiers populaires, "il peut grimper à 35%, pointe Gilles Leproust. Beaucoup ont des parcours scolaires difficiles, de décrochage." L'élu, secrétaire général de l'association Ville et Banlieue, ne cache pas son impuissance: "Je n'ai pas de baguette magique. Quand ils sortent de mon bureau, ils sont toujours chez Pôle emploi."
Voilà des années que s'accumulent les chiffres alarmants sur l'emploi dans les quartiers populaires. En 2011, un rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) alertait sur une hausse continue du chômage depuis 2008. Il frôle encore aujourd'hui les 50% quand les quartiers cumulent les handicaps: enclavement géographique, population immigrée peu qualifiée, pauvreté... Et pourtant rien, ne bouge. "On dit qu'il y a urgence depuis notre lancement il y a sept ans", déplore Estelle Barthélémy, directrice générale adjointe de Mozaïk RH, un cabinet de recrutement associatif. "Mais ça n'évolue pas assez vite, poursuit celle qui a grandi à Villiers-le-Bel, théâtre d'affrontements en 2007. C'est un immense gâchis. On continue de bousiller des jeunes, y compris les diplômés."
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Depuis les attentats des 7 et 9 janvier, les regards se tournent pourtant à nouveau vers ces jeunes-là. Ici pour déplorer leur faible mobilisation lors des marches républicaines. Là, pour dénoncer un "apartheid territorial, social, ethnique", comme Manuel Valls, ou appeler à "renforcer le sentiment d'appartenance à la République". Les acteurs de terrain oscillent, eux, entre fatalisme et inquiétude. "Le chômage n'aide bien sûr pas à développer des politiques du vivre ensemble, soupire Gilles Leproust. La souffrance et la désespérance produisent du repli sur soi."
"Si de plus en plus de gens se radicalisent, c'est aussi parce qu'ils se retrouvent dans une sorte de marginalité sociale, sans pouvoir trouver leur place", avance aussi Hassan Ben M'Barek, du collectif Banlieues Respects. Le risque est d'autant plus grand chez ceux qui connaissent déjà des parcours chaotiques. "Le travail, c'est ce qui permet d'accéder à un logement, de vivre comme tout le monde, poursuit-il. Comment voulez-vous par exemple qu'un mec qui sorte de prison puisse se réinsérer sans emploi?"
La goutte d'eau des emplois d'avenir
Pourquoi un tel désastre? "La rénovation urbaine a été un échec total en matière d'emploi", lance Hassan Ben M'Barek. La Cour des comptes l'avait pointé dès 2012 dans un rapport sur la politique de la ville. Morceaux choisis: "Dans les zones urbaines sensibles, les résidents connaissent un taux de chômage de plus du double de la moyenne métropolitaine et la situation ne s'est pas améliorée ces dernières années" ; ou "les habitants des quartiers sensibles (...) constituent un exemple emblématique de [la] difficulté à orienter les instruments de la politique de l'emploi vers ceux qui en auraient le plus besoin." La Cour regrettait aussi "une répartition des agences de Pôle emploi qui ne vise pas les quartiers populaires". A Clichy-sous-Bois, la ville de Seine-Saint-Denis où avaient éclaté les émeutes de 2005, l'agence n'a ouvert que début 2014.
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Les contrats aidés limitent la casse mais ne font pas de miracles. Derniers nés, les emplois d'avenir devaient profiter aux jeunes des zones prioritaires. Mais d'après la dernière étude du ministère du Travail, ils ne représentent que 16% des contrats. "Ca a pu faire baisser le chômage d'un point ou deux, mais une nouvelle promotion de jeunes sortis de formation est déjà arrivée depuis, pointe Gilles Leproust, le maire d'Allonnes. Et la rareté des contrats nourrit les divisions et les jalousies. Pour un que l'on sort du chômage, d'autres se sentent encore plus frustrés." Evoquée en 2013, la piste d'un quota de jeunes des ZUS dans les emplois d'avenir des grandes entreprises publiques n'a jamais vu le jour.
Les diplômés aussi sont touchés
Mais le secteur privé a aussi du travail à faire en direction des quartiers populaires. D'autant que le chômage frappe des candidats de plus en plus qualifiés. Il n'est pas rare que le cabinet Mozaïk RH voit passer dans ses murs des diplômés de master obligés de travailler comme surveillants ou manutentionnaires. "C'est une catastrophe pour eux, mais aussi pour leurs proches qui n'y croient plus, prévient Estelle Barthélémy. Un jeune qui a autofinancé sa formation, qui s'est montré sérieux et persévérant, aura l'impression d'avoir été floué."
Originaire de Tourcoing, Yasmina Askri, 28 ans, est aujourd'hui consultante senior en recrutement. Malgré son passage par une khâgne, deux licences et un magistère en RH, elle n'a pas échappé à plus d'un an de chômage avant de décrocher un poste stable. La raison, selon elle? "Pendant mes études j'avais suivi mon petit bonhomme de chemin sans savoir que le marché était bouché. Je n'avais aucun réseau, ni aucune idée de comment le constituer. Quand on a un profil atypique - femme, jeune, des quartiers populaires et d'origine immigrée - c'est comme si la jonction ne se faisait pas entre nous et les recruteurs."
Une méconnaissance réciproque
Non pas que les discriminations à l'embauche, en raison de l'origine ou de l'adresse, n'existent pas. Mais le noeud du problème réside plutôt dans une méconnaissance réciproque entre candidats et employeurs, estime Estelle Barthélémy. "En période de crise, le marché du travail se tend pour les jeunes de quartiers populaires, car les entreprises se replient sur leurs réseaux et des CV aux parcours rectilignes. Nos candidats sont moins bien informés lors de l'orientation, leurs parcours sont plus longs. Et ils n'ont pas toujours les bons contacts pour arriver aux offres cachées."
Manque de réseau, de visibilité... Le constat vaut aussi pour les entrepreneurs. Plus nombreux à se lancer dans les zones prioritaires qu'ailleurs, ils sont aussi plus fragiles. "La moitié des entreprises disparaît dans les trois ans, faute d'accès aux financements et aux débouchés commerciaux", observe Majid El Jarroudi, fondateur de l'Agence pour la diversité entrepreneuriale (Adive), qui rapproche les petites sociétés de banlieue des directions achats des grandes groupes. A le croire, elles seraient pourtant une partie de la solution. "Car le premier réflexe des entrepreneurs issus des quartiers populaires, conclut-il, c'est de tout faire pour y créer des emplois".
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