Deux ans avec sursis. La Cour d’assises d’Angers n’a pas prononcé l’acquittement du Dr Nicolas Bonnemaison, comme l’avait fait en juin 2014 la cour d’assises de Pau. Elle l’a condamné, après sept heures de délibéré, pour un seul des sept cas où l’urgentiste de l’hôpital de Bayonne était poursuivi pour empoisonnement, celui de Françoise Iramuno, dont les proches étaient d’ailleurs parmi les rares parties civiles.

Nicolas Bonnemaison (au centre) aux côtés de son avocat AFP

Un verdict déroutant, car dans l’histoire de cette patiente en pleine agonie, ce que l’on pouvait reprocher à l’ancien urgentiste, c’était d’avoir mal géré les rapports avec la famille, bien plus que la perfusion en elle-même d’un sédatif, l’Hypnovel en l’occurrence, car la situation clinique de cette femme était catastrophique. Et de fait, les jurés n’ont pas retenu un autre cas, plus problématique pour certains, où Nicolas Bonnemaison avait prescrit un curare, produit dont la seule finalité est clairement le décès. Bref, un verdict bizarre, incertain, à l’image de la situation actuelle de la fin de vie médicalisée en France, où les repères manquent, les pratiques se mélangent, et les malentendus restent nombreux.

Ce samedi matin, juste avant que les jurés ne se retirent pour délibérer, Nicolas Bonnemaison avait adressé quelques derniers mots à la cour. Des mots à l’image de cet homme parfois maladroit, mais sincère: «Je voudrais juste terminer ce matin en vous disant : la médecine, c’est ma vie, les patients sont ma vie et ils me manquent». Et d’évoquer alors cette patiente, admise dans son Unité d’hospitalisation de courte durée le 10 août 2011, le jour où il a été arrêté pour être placé en garde à vue. «J’étais en train de l’examiner quand on est venu me chercher. J’espère que ce n’était pas la dernière patiente de ma vie. J’ai agi en médecin et je vous le dis avec beaucoup de sincérité».

L’histoire de l’agonie de Françoise Iramuno est, de fait, assez typique de ces fins de vie où rien n’est simple. Comment les accompagner au mieux? Elle a 86 ans. Le 4 avril 2011, une infirmière la découvre chez elle avec un coup sur la tête, suite à une chute. Un accident vasculaire cérébral, sans aucun doute. Françoise Iramuno est conduite à la polyclinique de Saint-Jean-de-Luz. Puis elle arrive à l’hôpital de Bayonne. «Il semblerait que son état neurologique s’aggrave et qu’elle tombe dans le coma», a expliqué Nicolas Bonnemaison.

Le 5 avril, les résultats du scanner sont catastrophiques. «Du sang s’est écoulé dans une partie du cerveau… Les lésions sont gravissimes», raconte le Dr Bonnemaison, «et la décision est prise ne pas opérer et de ne pas procéder à un traitement de réanimation». Dans la nuit suivante, Françoise Iramuno est admise à l’Unité d’hospitalisation de courte durée. Coma profond, problèmes d’encombrement, de déglutition : l’urgentiste dresse «le tableau catastrophique d’une dame en fin d’agonie». Françoise Iramuno décédera en début d’après-midi. Mais comment? «Moins de deux minutes, après qu’il soit rentré dans la chambre», a affirmé une aide-soignante. Le Dr Bonnemaison expliquera que vu son état, il a préparé une ampoule d’hypnovel (puissant sédatif), et l’a injecté. «Je n’ai jamais agi en ayant l’intention de faire mourir le patient, même si je sais qu’en utilisant des produits on peut accélérer la survenue de la mort».

Elle allait mourir, elle était au bout du bout. Mais de fait, on reproche surtout au docteur de ne pas avoir associé l’équipe soignante. Et aussi un climat: le matin même du décès de Françoise Iramuno , l’urgentiste avait en effet parié avec un aide-soignant que le lendemain elle ne serait plus là. Propos de carabin: «il est habituel de faire de l’humour noir ou cynique dans notre métier», reconnaissait une infirmière. «L’humour noir ça peut être utilisé, mais par contre, injecter derrière, ce n’est plus de l’humour noir, c’est limite prémédité», accusait une autre. «Un pari totalement déplacé, irrespectueux», s’est excusé à l’audience Nicolas Bonnemaison. «Ce sont des propos qui sont odieux, mais c’est quelque chose qui permet d’évacuer la pression de temps en temps». Le fils de la patiente, après de longues hésitations, a finalement choisi de se porter partie civile dans ce procès. «Si nous sommes parties civiles c’est parce que ma mère était une femme active, dynamique qui n’aurait pas aimé qu’on la laisse sur le bord de la route».

Nul ne l’a laissée pourtant, sur le bord de la route. Deux ans de prison avec sursis pour lui avoir injecté un sédatif. Si cette patiente était restée dans un lit de réanimation, cela se serait passé de la même façon, sans que nul ne s’en étonne. Telle est la bizarrerie de la situation actuelle. L’interminable odyssée judiciaire du Dr Nicolas Bonnemaison se termine ainsi, par une condamnation à minima, pour un cas où nul ne doutait d’une mort à très brève échéance. A l’annonce du verdict, il n’a rien dit, embrassant ses proches. Sa femme, à ses côtés, médecin également, pleurant doucement : «Je m’y attendais, pour sauver certaines institutions».

Eric Favereau