• Dix vérités et contre-vérités sur le loup

    Dix vérités et contre-vérités sur le loup

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    Les partisans et opposants au loup continuent de montrer les crocs. Dernier épisode en date, une brochure intitulée Le loup. 10 vérités à rétablir, diffusée lors du Salon de l'agriculture par les Jeunes Agriculteurs, la FNSEA, la Fédération nationale ovine et l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, "pour mieux comprendre ce que vivent au quotidien les éleveurs dont les troupeaux sont soumis à prédation par le loup". Une plaquette qualifiée de "politicienne, démagogique et rétrograde" sur le blog de Baudouin de Menten, militant des associations de défense de grands prédateurs Ferus et l'Aspas. Alors, quelles sont ces "vérités" sur le loup ? Décryptage de la brochure point par point.

     

    1/ « Non, le loup n’est pas une espèce rare et menacée »

    A l'échelle internationale, le canis lupus n'est effectivement plus une espèce menacée : après avoir longtemps été "vulnérable", il est classé depuis 2004 dans la catégorie "préoccupation mineure" de la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui constitue l'inventaire mondial le plus complet de l'état de conservation des espèces.

    Mais dans certains pays européens, et particulièrement en France, le loup reste menacé. Il est ainsi classé dans la catégorie "vulnérable" de la liste rouge des mammifères menacés dans l'Hexagone, établie en 2009. "Lors de la prochaine évaluation prévue dans deux ans, la question se posera de savoir si le loup reste dans cette catégorie, qui concerne des effectifs supérieurs à 250 individus adultes, ou s'il est rétrogradé en 'quasi-menacé'", explique Florian Kirchner, chargé de mission Espèces menacées pour l'UICN. Mardi 4 mars, un rapport d'information parlementaire a préconisé de rétrograder le prédateur d'espèce "strictement protégée" à "espèce protégée simple".

    Avec un rythme de croissance de 20 % par an, la population de Canis lupus – revenue naturellement en France en 1992 par les Alpes après avoir disparu dans les années 1930 du fait de la chasse – regroupe aujourd'hui autour de 250 individus en France répartis dans 24 départements. Cette espèce se développe en raison de la croissance des forêts, de la nourriture abondante et diversifiée (le nombre d'ongulés sauvages est en hausse depuis trente ans) et d'un statut de protection favorable, avec la convention de Berne de 1979 et la directive Habitat Faune Flore de 1992. "Néanmoins, la croissance actuelle de cette population ne se situe pas à son maximum biologique, de 40 %", comme l'expliquait dans un entretien au Monde Eric Marboutin, responsable des études sur les loups et les lynx à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS).

    2/ « Oui, ce sont des loups qui tuent les moutons, pas les “chiens errants” »

    Les statistiques des prédations de moutons par des loups sont fiables et agrégées à l'échelle du territoire, puisqu'elles donnent lieu à des indemnisations des éleveurs par l'Etat. Rien de tel pour les chiens errants, dont les attaques sont seulement relayées de temps en temps par la presse locale. Si quelques études ont été produites sur la question, aucune n'a fait totalement référence. En 2005, un rapport de Ken Taylor estimait que 30 000 moutons et 5 000 à 10 000 agneaux étaient tués par des chiens errants chaque année en Grande-Bretagne, où le loup est absent. En 2009, une autre étude de Jorge Echegaray et Carles Vila, publiée dans Animal Conservation, indiquait que les chiens non contrôlés peuvent être responsables d'attaques sur le bétail, "contribuant à l'image négative envers la conservation des loups", même si leur estimation est malaisée.

    "Les prédations des chiens, moins marquantes sur le plan psychologique que celles de loups, existent et sont souvent sous-estimées, estime le géographe et spécialiste des grands prédateurs Farid Benhammou. Malgré tout, quand le troupeau se situe dans un secteur où une meute est installée, il y a plus de chances que ce soit les loups."

    3/ « Oui, les dégâts des loups sur l’élevage sont très importants »

    Les attaques imputées au loup sont effectivement en augmentation en France : 6 786 bêtes ont été tuées en 2013, contre 5 848 bêtes en 2012 et 4 920 en 2011, selon les chiffres provisoires (pour l'an dernier) de la Direction régionale de l'environnement Rhône-Alpes, qui comptabilise les attaques au niveau national.

    Si le chiffre est important dans l'absolu (sans compter le stress sur les autres bêtes et le traumatisme des éleveurs, dont certains sont touchés de manière répétée), il l'est bien moins en valeur relative : ce sont ainsi 0,08 % des 7,5 millions de brebis que compte le cheptel français qui ont été tuées par des loups. Et même en se limitant aux ovins situés dans les 24 départements où le loup a une présence permanente ou ponctuelle, à savoir 2,9 millions de têtes selon les chiffres de 2010 transmis par l'Institut de l'élevage, le pourcentage d'attaques reste extrêmement faible : 0,2 % des brebis ont été touchées (soit 2 sur 1 000).

    En comparaison, quelque 400 000 brebis meurent chaque année au niveau national de maladies, d'accidents sur les alpages, de la foudre, selon les estimations de France Nature Environnement. "Le loup peut, certes, être une contrainte de plus pour les éleveurs et les bergers, mais il ne représente pas une menace économique pour l’élevage ovin, qui doit faire face à des difficultés bien plus importantes", estime l'association. Par ailleurs, la moitié des brebis françaises finissent dans le circuit de l’équarrissage, selon FranceAgriMer.

    4/ « Oui, les éleveurs protègent leurs troupeaux, mais le loup s’adapte »

    Le loup est effectivement un animal intelligent. Mais les éleveurs sont loin de tous protéger leurs troupeaux – souvent en raison de pâturages difficiles d'accès ou trop vastes. Ainsi, en 2013, 1 434 "contrats de protection" avaient été engagés par des éleveurs avec financement partiel par l'Etat et l’Union européenne. Ce qui reste peu lorsque l'on sait que les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes, les plus touchées par les attaques, comptent à elles seules 6 000 exploitations, selon les chiffres du ministère de l'agriculture. "La cohabitation est aujourd'hui difficile en France car le savoir-faire face aux loups s'est perdu. Les éleveurs protègent moins leurs troupeaux que par le passé", estime Geneviève Carbone, ethnozoologue.

    5/ « Oui, les chiens de protection deviennent un vrai problème »

    Les chiens de protection des troupeaux, les Montagnes des Pyrénées, aussi appelés "patous", peuvent effectivement s'avérer agressifs "quand ils n'ont pas reçu la bonne éducation et le bon suivi technique", indique Farid Benhammou. "Dès qu'ils sont chiots, on doit les placer au milieu des brebis et agneaux, corriger leur comportement, et leur indiquer quelles sont les menaces pour les troupeaux, poursuit-il. C'est un moyen de protection efficace, mais qui n'est pas la panacée."

    6/ « Non, cela ne se passe pas bien avec les loups dans les autres pays européens »

    En Roumanie (où vivent 2 500 loups), en Espagne (2 000 spécimens) et en Italie (entre 500 et 800), les attaques de cheptel sont plus rares qu'en France. "Les loups n'ayant jamais disparu de ces pays, les éleveurs et populations y sont habitués", explique Farid Benhammou. Mais il est vrai qu'en Espagne, la cohabitation crée quelques tensions dans les nouvelles zones de colonisation du loup."

    Dans ce pays, comme le relève la brochure des éleveurs, 200 loups – soit 10 % de la population – sont légalement tués chaque année. "Pourquoi la France, seule avec l’Italie, s’enferre-t-elle dans le pari impossible d’un loup gentil qui comprendrait tout seul qu’il ne doit pas tuer les agneaux ?", questionnent les éleveurs français. En réalité, en France, le plan national loup 2013-2017 prévoit que 24 loups peuvent être tués chaque année, soit la même proportion de prédateurs qu'en Espagne. Reste, effectivement, que le quota n'est pas "rempli" (7 loups ont été tués en 2013), la procédure de tirs étant très encadrée et souvent difficile à mettre en œuvre. Sans compter qu'elle n'entraîne pas forcément les résultats d'"éducation" escomptés, les loups tués n'étant pas à coup sûr ceux responsables d'attaques.

    7/ « Oui, l’élevage de montagne résiste bien, si on ne lui impose pas le loup »

    "En 2013, dans un contexte de baisse des effectifs ovins dans les exploitations, la production ovine était inférieure de 3 % à celle de 2012", relève l'Agreste, le service de la statistique et de la prospective du ministère de l'agriculture, dans son rapport Ovins de février 2014. Cette baisse est régulière depuis vingt ans.

    "Ce repli est essentiellement le fait d’une perte de compétitivité de la filière française aussi bien en amont qu’en aval", dans un marché dominé par l’Australie et la Nouvelle-Zélande, relève FranceAgriMer dans sa Réflexion stratégique sur les perspectives de la filière viande ovine à l’horizon 2025, publiée en décembre dernier. Et l'office agricole français d'égrener les points faibles de la filière : performances techniques souvent insuffisantes (naissances insuffisantes et mortalité importante des agneaux), coûts de production élevés (souvent du fait du prix élevé des céréales) et manque d’organisation et de compétitivité des outils industriels. En résulte "une très faible rentabilité économique de l’élevage ovin" et un revenu moyen des éleveurs ovins parmi les plus bas des éleveurs. Résultat : 50 % de la viande ovine consommée en France provient des importations. Nulle part dans ce rapport n'est mentionné des difficultés des éleveurs dues aux attaques de loups.

    8/ « Oui, l’élevage de plein air est nécessaire pour les paysages et la biodiversité »

    Tant les ovins que les loups sont nécessaires aux écosystèmes des régions. "S'il n'y a plus de moutons en alpage, ce sont 300 à 400 espèces végétales et animales qui disparaîtront en une dizaine d'années", estime le Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée (Cerpam). L'entretien des alpages par les éleveurs préserve le paysage de l'envahissement par les broussailles, prévient les feux de forêt, limite le danger des éboulements.

    Le loup, quant à lui, est considéré comme un régulateur écologique. "En s'attaquant d'abord aux animaux malades ou plus faibles, il contribue à la bonne santé d'une espèce et peut éviter des épidémies. Il aide par ailleurs à réguler les surplus de jeunes sangliers ou cervidés, qui peuvent menacer les forêts", explique Jean-François Darmstaedter, secrétaire général de Ferus, association de protection des loups.

    9/ « Oui, le loup coûte cher au détriment des priorités de la biodiversité »

    Effectivement, le choix de l'Etat de protéger le loup coûte cher. En 2011, le ministère de l'écologie a déboursé 1,5 million d'euros pour indemniser les éleveurs. A cette somme, il faut encore ajouter 6,3 millions d'euros de mesures de protection (gardiennage, chiens, enclos), soit 7,8 millions au total.

    10/ « Oui, le loup pourrait s'en prendre à nouveau à l'homme »

    Cela n'est pas l'avis des éthologues et historiens. "Les loups ne s'approchent pas des villages et sont invisibles la plupart du temps, explique Geneviève Carbone. Il y a eu quelques attaques sur l'homme, mais elles sont extrêmement faibles et surviennent dans des situations très précises, comme en Inde, où des jeunes enfants avaient été touchés quand ils étaient seuls et surtout très faibles. Il existera toujours un risque, comme avec les chiens." Il y a ainsi eu 33 décès en France entre 1990 et 2010 par morsures de chiens, selon les derniers chiffres publiés par l'Institut de veille sanitaire (INVS) en 2011.

    Audrey Garric

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    Photo : PATRICK PLEUL / AFP


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