• Durban : "Il faut aller vers un accord engageant tous les pays"

    Durban : "Il faut aller vers un accord engageant tous les pays"

    LEMONDE.FR | 29.11.11 | 19h21   •  Mis à jour le 30.11.11 | 07h54

    Des militants d'Oxfam tirent la sonnette d'alarme sur la situation climatique à l'ouverture du sommet de Durban.

    Des militants d'Oxfam tirent la sonnette d'alarme sur la situation climatique à l'ouverture du sommet de Durban.AFP/ALEXANDER JOE

    Au deuxième jour du sommet sur le climat de Durban, en Afrique du Sud, Serge Lepeltier, ambassadeur français en charge des négociations sur le changement climatique, estime, dans un chat au Monde.fr, que la France et l'Europe peuvent arracher une prolongation du protocole de Kyoto après 2012, afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, et paver la voie à un accord global juridiquement contraignant.

    Toyfever : Quels sont les grands enjeux écologiques de ce sommet de Durban ?

    Serge Lepeltier : Le sommet de Durban est la conférence sur le changement climatique. Il a pour objectif de limiter le changement climatique à terme, et de limiter la hausse des températures à moins de 2 °C. Pour cela, l'objectif est de faire en sorte que le plus grand nombre de pays dans le monde limitent leurs émissions de gaz à effet de serre.

    Car aujourd'hui, les engagements pris par les Etats à la suite de Copenhague et de Cancun représentent seulement 60 % des limitations des gaz à effet de serre nécessaires pour ne pas dépasser 2 °C.

    Il faut donc d'abord que les pays engagés dans la première période du protocole de Kyoto, qui se termine en 2012, renouvellent cet engagement, et que nous allions vers un accord global engageant l'ensemble des pays du monde, dont en particulier les pays émergents.

    Pilote : Quelles seraient selon vous les trois mesures les plus urgentes à prendre dans le cadre d'un tel sommet ?

    Serge Lepeltier : Le paquet de réussites de Durban devrait comprendre trois grands thèmes. D'abord, l'application des accords de Cancun, qui ont été décidés politiquement, ensuite, la prolongation du protocole de Kyoto et enfin, un mandat de négociation pour aller vers un accord global.

    Bergey : Les pays émergents ont-ils la volonté politique de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ?

    Serge Lepeltier : Aujourd'hui, les pays émergents tels que la Chine, l'Inde et le Brésil ont engagé des politiques internes pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, la Chine, dans son 12e plan, a des objectifs précis d'efficience énergétique, pour que l'augmentation de la consommation d'énergie soit inférieure à la croissance économique.

    Mais ces pays sont aujourd'hui très réticents à s'engager dans un accord international et considèrent que la responsabilité actuelle du changement climatique relève seulement des pays développés.

    C'est l'un des enjeux de Durban de faire comprendre que s'il y a dix ans, cette argumentation était réaliste, aujourd'hui, les émissions de gaz à effet de serre des pays émergents sont telles que leur responsabilité dans le changement climatique des années qui viennent sera importante.

    Derje Boven : Quels sont les pays les plus réfractaires à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre ?

    Serge Lepeltier : Aujourd'hui, si l'on écoute les pays, aucun n'est réfractaire à limiter ou diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. Mais beaucoup refusent de poursuivre leur engagement dans un accord international contraignant ou d'entrer dans un tel accord. C'est le cas, pour les pays développés, du Japon, du Canada, de la Russie, qui sont parties prenantes de la première période d'engagement du protocole de Kyoto et qui ne veulent pas s'engager dans une deuxième période.

    C'est aussi le cas de la Chine et de l'Inde, qui ne veulent pas aujourd'hui entrer dans un accord global qui les contraindrait, sur le plan international, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

    Enfin, les Etats-Unis ne font pas partie du protocole de Kyoto, puisqu'ils sont les seuls à ne pas l'avoir ratifié, et ils refusent dans tous les cas de souscrire à une deuxième période et veulent seulement s'engager dans un accord global si tous les pays du monde s'y engagent de la même façon.

    JGuyot : Pouvez-vous préciser les raisons du positionnement du Canada et du Japon ?

    Serge Lepeltier : Manifestement, le Canada et le Japon ont eu plus que du mal à respecter leur engagement dans la première période de Kyoto, de 1990 à 2012. Le Japon indique aujourd'hui qu'il respectera cet engagement, mais vraisemblablement en achetant des quotas d'émissions aux autres pays.

    Le Canada, quant à lui, ne respectera pas ses engagements. Il est vraisemblable également qu'au-delà de cette difficulté à respecter leurs engagements de réduction des émissions, le Canada et le Japon, qui sont très liés aux Etats-Unis, sont très influencés par ceux-ci et ne veulent pas s'en différencier.

    Juanito : La Chine et les Etats-Unis veulent-ils aller plus loin qu'à Copenhague, où les deux pays s'étaient entendus sur un accord peu contraignant ?

    Serge Lepeltier : Ce n'est pas aujourd'hui mon sentiment. Mon sentiment est que la Chine et les Etats-Unis ne souhaitent pas avancer vers un accord multilatéral.

    C'est pourquoi nous travaillons avec les pays en développement qui, si le changement climatique s'accentue, seront les plus touchés, notamment les pays les plus vulnérables. Nous travaillons avec ces pays pour influencer la Chine et les pays émergents, et pour les convaincre d'avancer vers un accord global. Cela nous permettrait d'avoir, vis-à-vis des Etats-Unis et de leur opinion publique, un argument très fort pour les pousser à s'engager eux aussi dans un accord international.

    Mony : On parle souvent du protocole de Kyoto comme s'il s'agissait d'une référence. Pourtant de nombreux autres traités ont été signés depuis, avec parfois des ambitions supérieures, dans bien d'autres villes et endroits du monde...

    Serge Lepeltier : Si l'on parle autant du protocole de Kyoto, c'est parce que c'est le seul cadre juridique international qui ait été décidé. D'autres décisions ont été prises dans les grandes régions du monde, c'est par exemple le cas de l'Europe avec le paquet énergie-climat, qui engage les pays d'Europe à limiter à 20 % leurs émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020. C'est aussi le cas dans certains Etats fédérés des Etats-Unis, qui sont en train de mettre en place des marchés de quotas de carbone, alors que l'Etat fédéral américain est réticent à tout accord international.

    Donc c'est vrai, des engagements locaux sont pris, mais c'est d'abord parce que Kyoto a été décidé et existe.

    Xavier F : Existe-t-il une position de la France pour ce sommet ?

    Serge Lepeltier : La France, au cours de ces négociations, est extrêmement en pointe au sein de l'Europe, qui elle-même est en pointe dans le monde, pour défendre la reconduction du protocole de Kyoto.

    Et aujourd'hui, notre position, en relation avec l'Europe, est d'une part de défendre l'idée d'un engagement pour une deuxième période de Kyoto, qui aboutirait à s'engager pour une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, et d'autre part, pour qu'à Durban un vrai mandat de négociation soit décidé pour lancer un véritable processus de discussion vers un accord global juridiquement contraignant, comprenant l'ensemble des pays du monde.

    La position de l'Europe dans ce mandat de négociation est qu'il soit suffisamment précis dans la définition du contenu de la négociation. Que veut dire global ? Que veut dire juridiquement ? Que veut dire contraignant ? Et, au-delà du contenu, avec un calendrier très précis, pour que ces négociations aient une date finale de réussite.

    Manu : Quels sont concrètement les moyens de pression de la France ?

    Serge Lepeltier : Concrètement, les relations souvent priviligiées que nous avons avec certains pays en développement, tels que les pays d'Afrique, nous permettent d'avoir une influence pour pousser ces pays vers un renforcement de la politique internationale. Les aides de l'Europe globalement à l'égard de pays en développement sont en effet très importantes et peuvent peser dans les discussions que nous avons avec eux, même si nous sentons une influence de plus en plus forte des pays émergents.

    Donc naturellement, il ne s'agit pas de la part de la France de chantage, mais bien au contraire de pédagogie et d'explications pour montrer que si les pays émergents ne s'engagent pas dans un accord international, Durban ne pourra pas être un succès.

    Albert : Pouvez-vous nous raconter comment se passent de telles négociations ? Depuis quand les préparez-vous ? Comment allez-vous travailler sur place ? A qui en référez-vous en France ? Qui signe l'accord final ?

    Serge Lepeltier : Les négociations sont en fait des négociations annuelles qui se terminent par une convention officielle en fin d'année. Mais tout au long de l'année, nous avons eu, dans le processus officiel, plusieurs réunions, l'une à Bangkok au printemps, l'autre à Bonn juste avant l'été, et la troisième à Panama au mois d'octobre. Et parallèlement à ces réunions officielles, des groupes de pays se réunissent pour influencer la négociation.

    Et au cours de ces discussions, nous avons à la fois des discussions techniques sur les textes à mettre en œuvre, et des discussions politiques pour les grands arbitrages à faire décider au plan politique. En ce qui me concerne, en tant qu'ambassadeur "climat", je participe à l'ensemble de ces discussions, et je suis en lien avec la ministre de l'écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, lorsque des décisions doivent être prises dans l'évolution des négociations. Et je suis également en lien avec l'Elysée pour que le président de la République soit à la fois informé et nous donne sa position au fur et à mesure des négociations.

    Guest : Le président français défend ardemment l'énergie nucléaire. La France va-t-elle également la défendre au sommet de Durban comme une solution qui ne génère pas de gaz à effet de serre ?

    Serge Lepeltier : La question du nucléaire n'est pas abordée dans les négociations. Chaque pays décide lui-même de son mix énergétique. La négociation porte donc sur des engagements de limitation des gaz à effet de serre, chaque pays engagé décidant lui-même de la façon dont il opère pour y aboutir.

    Marianne : Durban est-il le sommet de la dernière chance ?

    Serge Lepeltier : Non. Durban ne peut pas être considéré comme un sommet de la dernière chance, puisque les négociations sur le changement climatique sont le seul processus de négociation de l'ONU qui est permanent. Chaque année est donc une nouvelle étape pour aller plus loin dans la lutte contre le changement climatique.

    Mais une convention telle que celle de Durban ne peut évidemment pas résoudre tous les problèmes. Elle doit être une étape supplémentaire, positive, dans la lutte contre le changement climatique, tout en sachant qu'il y en aura d'autres dans les années futures.

    Thomas.S. : Est-il nécessaire d'organiser un sommet tous les ans, alors que les décisions qui y sont prises mettent en jeu des échelles de temps beaucoup plus importantes ?

    Serge Lepeltier : Oui, je crois que c'est indispensable, parce que si elles n'avaient pas lieu tous les ans, obligeant à avancer chaque année, il y aurait un retard pris considérable, alors que le changement climatique s'accélère, d'une manière que nous ne pouvions pas imaginer il y a une vingtaine d'années.

    Noé : Pourquoi tant de pessimisme quant aux résultats de ce sommet ?

    Serge Lepeltier : Si aujourd'hui on craint un échec à Durban, c'est parce que nous sommes dans l'élaboration d'un nouveau système international. Nous travaillons à l'après-Kyoto, qui a été jusqu'à ce jour le seul cadre juridique pour engager la limitation des gaz à effet de serre. Et travailler à ce nouveau système est en quelque sorte révolutionnaire dans le changement des objectifs, avec une ambition renforcée, et une évolution des outils utilisés pour engager les entreprises dans cette limitation des gaz à effet de serre.

    C'est donc une véritable réorganisation du système qui s'engage, même si les bases mêmes du protocole de Kyoto doivent être conservées. C'est pourquoi cette période est difficile et pourquoi certains pays hésitent à s'engager.

    Thomas.S. : N'est-il pas trop tard pour limiter la hausse des températures de 2 °C ?

    theThou : Pour les 2 °C nous ne pourrons plus rien faire à partir de 2017, or les négociations actuelles se font pour des mises en œuvre à partir de 2020.

    Serge Lepeltier : C'est vrai qu'il apparaît très difficile aujourd'hui de limiter à 2 °C la hausse des températures. Mais c'est encore possible, et les engagements que nous prenons aujourd'hui confortent des engagements qui sont en cours d'application. Si nous prenons l'exemple de la Chine, qui ne souhaite pas s'engager dans un accord global en tout cas d'ici à 2020, ce pays a tout de même pris des engagements domestiques qui montrent sa volonté de limiter les gaz à effet de serre.

    Donc c'est le complément de toutes ces décisions qui peut, si nous arrivons à nous mettre d'accord, permettre, au bout du compte, cette limitation à 2 °C. Mais c'est vrai, ne le cachons pas, aujourd'hui cela apparaît difficile.

    Jean-Baptiste : Le contexte de crise économique va-t-il peser sur le débat et peut-il retarder la prise de décision ?

    Serge Lepeltier : Bien sûr, la crise économique et financière a en quelque sorte sorti du spectre médiatique le changement climatique. Mais aucun pays aujourd'hui ne se désintéresse de la question du changement climatique. Seulement les décisions à prendre peuvent être plus difficiles, car elles nécessitent des investissements.

    Mais économie et climat sont liés. Si nous ne luttons pas contre le changement climatique, les désastres climatiques et le changement climatique lui-même peuvent aboutir à diminuer a minima de 5 % jusqu'à 20 % la consommation, et donc le PNB mondial. Ainsi, lutter contre le changement climatique, c'est aussi travailler au développement économique, car si nous ne luttons pas contre le changement climatique, la crise économique ne fera que s'amplifier.

    theThou : Ne pensez-vous pas que l'apport financier que permettrait la taxe sur les transactions financières est maintenant urgent et souhaitable ?

    Céline Jeandel : Qu'en est-il de l'idée d'imposer aux secteurs aérien et maritime internationaux de payer le prix du carbone ?

    Serge Lepeltier : Oui, les financements innovants tels que la taxe sur les transactions financières ou sur les transports maritimes et aériens, sont indispensables et urgents à décider.

    En effet, l'engagement a été pris de créer un "fonds vert" qui permettra, d'ici à 2020, 100 milliards de dollars par an d'actions contre le changement climatique. Or nous savons que ces sommes ne pourront pas être fournies par les budgets des Etats. Il faut donc trouver de nouveaux moyens financiers, et ces financements innovants sont donc indispensables et urgents.

    Guest : Où en sommes-nous sur la question du financement de ce fonds vert ? Sera-t-il opérationnel à l'issue de la conférence de Durban ?

    Serge Lepeltier : La conférence de Durban devrait acter le fonctionnement du fonds vert, son organisation. Mais son financement ne sera décidé qu'avec la création de fonds financiers innovants et ce ne sera pas le cas à Durban, mais l'année 2012, en particulier dans les négociations du G20, sera déterminante à cet égard.

    Chat modéré par Audrey Garric
     

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