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En Egypte, les jeunes islamistes abasourdis par la répression
En Egypte, les jeunes islamistes abasourdispar la répressionIls avaient quitté la confrérie après la révolution pour jeter les bases d’un « islamisme moderne ». Deux ans après, ces jeunes Frères musulmans dissidents sont désunis et désemparés.
Dispersion des étudiants pro-Morsi, le 30 octobre, sur le campus d’Al-Azhar, au Caire.
Alors que le procès de Mohamed Morsi s’ouvre lundi 4 novembre, ils ne trouvent plus leur place dans une société plus polarisée que jamais.
Avec cet articleIl y a quelques mois, le Tayyar Al Masry (le Courant égyptien) occupait un grand appartement lumineux à deux pas de la place Tahrir. Ce petit parti, créé par des jeunes Frères musulmans en rupture de ban en juin 2011, a récemment déménagé dans un immeuble plus discret du quartier d’Abdeen. L’enseigne, avec le logo bleu azur du parti qui trônait sur la porte des anciens locaux, a disparu.
« Nous sommes en train de créer un mouvement plus large avec d’autres militants, des socialistes révolutionnaires, des gens du Mouvement du 6 avril, pour s’opposer à la fois au pouvoir militaire et aux Frères musulmans. Nous ne sommes pas un parti islamiste, mais comme beaucoup d’entre nous sont d’anciens membres de la confrérie, on nous assimile souvent aux Frères », regrette Mohamed El Qassas, l’un des fondateurs du parti, qui n’a pas, pour le moment, de statut officiel.
Toujours exclus des décisions
Juste après le soulèvement de 2011, un groupe de jeunes Frères musulmans s’insurge contre l’absence de démocratie au sein de la confrérie : eux qui sont descendus manifester dès le premier jour de la révolution, contre l’avis des dirigeants, on ne leur permet toujours pas de prendre part aux décisions. « J’ai été exclu parce que je voulais continuer à faire pression sur le pouvoir pour obtenir de vraies avancées, alors que les leaders de la confrérie voulaient s’entendre avec les militaires », raconte Mohamed El Qassas.
Comme lui, ils sont quelques dizaines de jeunes, souvent influents, à être exclus ou à abandonner l’organisation islamiste. Lors de l’élection présidentielle de 2012, ils soutiennent Abdel Moneim Aboul Fotouh, un autre Frère dissident, et entendent poser les bases d’un islamisme « plus ouvert ».
Pas de place pour un islamisme « moderne »
Aujourd’hui, le Tayyar Al Masry, qui compte environ 2 000 membres, tente simplement de survivre. Certains de ses fondateurs se sont exilés, à Istanbul ou à Doha, à l’instar de dizaines de Frères musulmans. « Ils sont partis pour des raisons personnelles, parce qu’ils étaient désespérés après les massacres de cet été. Pas pour des raisons politiques », assure Mohamed El Qassas.
Mais d’après Abdel Rahman Ayyash, qui a quitté la confrérie après la révolution, la plupart ont fui parce qu’ils risquaient d’être arrêtés. « La répression actuelle empêche l’émergence d’un courant islamiste “moderne” qui se démarquerait vraiment des Frères musulmans. Même Aboul Fotouh n’a pas vraiment de marge de manœuvre. Les autorités le surveillent de près », estime cet informaticien de 24 ans, installé en Turquie depuis quatre mois.
La polarisation actuelle de la société égyptienne oblige chacun à se ranger dans l’un ou l’autre camp, avec les militaires ou les islamistes. La formation d’un échiquier politique nuancé n’est plus à l’ordre du jour.
Répression massive
Face à la brutalité de la répression, certains jeunes islamistes dissidents ont d’ailleurs choisi, bon gré mal gré, de revenir vers leur famille politique d’origine. C’est le cas de Gehad Khaled, 20 ans, qui était, elle aussi, membre du Tayyar Al Masry il y a quelques mois. Après le coup d’État des militaires contre Morsi, elle a rejoint le sit-in de ses partisans à Rabaa El-Adawiya, et n’a pratiquement plus quitté les lieux jusqu’à la dispersion du rassemblement le 14 août par l’armée et la police. Parmi les quelque 600 manifestants tués en quelques heures, Gehad a perdu plusieurs amis proches.
Son mari, Abdullah Al Shami, un journaliste d’Al Jazzera, a été arrêté et détenu, sans charges. « Le retour de Morsi au pouvoir, je sais bien que c’est impossible. Aujourd’hui, je manifeste pour la révolution, contre le pouvoir militaire. » Elle sera dans la rue aujourd’hui, comme des milliers d’autres.
La coalition de partis islamistes, qui soutient Mohamed Morsi, a appelé à des manifestations massives pour l’ouverture de son procès. Vendredi 1er novembre, ils étaient déjà des centaines de milliers à défiler dans une dizaine de villes du pays. Et les manifestations pro-Morsi émaillées d’affrontements sont quasi quotidiennes dans les universités.
La tentation de la radicalisation
« Les Frères musulmans sont tétanisés par l’ampleur de la répression. Les dirigeants se contentent de réagir à la répression au jour le jour. Ils n’ont aucune stratégie sur le long terme », avance Abdel Rahman Ayyash.
Dans un contexte de désorganisation générale, de plus en plus de jeunes Frères musulmans se retrouvent livrés à eux-mêmes. Alors que des groupes djihadistes égyptiens, notamment dans le Sinaï, ont déjà fait le choix de la violence, certains pourraient être tentés par la radicalisation.
NINA HUBINET (au Caire)
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