Convoqué mercredi soir au Quai d'Orsay par Laurent Fabius et Aurélie Filippetti, Alain de Pouzilhac, le P-DG de l'Audiovisuel extérieur, a posé sa démission. Il abandonne son mandat face à la pression de ses deux ministres de tutelle et n'assistera pas au conseil d'administration qui, à 15 heures, devait le destituer. Hier soir, face aux deux ministres, il était décidé à lutter afin de contraindre sa tutelle à le limoger. La nuit porte conseil. Ce matin, Pouzilhac renonce de lui-même.
En lieu et place, Jean-Paul Cluzel exposera au conseil d'administration les conclusions de son rapport, à savoir le maintien de la fusion de France 24 et RFI sans fusion des rédactions et le maintien du déménagement de RFI à Issy-les-Moulineaux. En éliminant Pouzilhac, Fabius et Filippetti avaient sans doute à coeur de faire une concession aux syndicats qui, sur le fond, n'obtiennent pas gain de cause. Le gouvernement Ayrault juge en effet trop coûteux de revenir en arrière sur la fusion juridique entre France 24 et RFI... La fusion des rédactions, elle, est abandonnée. C'est l'autre concession faite au personnel, dans la lignée des promesses de campagne du candidat Hollande.
Un bonus refusé sous Sarkozy
Pouzilhac était en lutte avec les syndicats de RFI depuis le premier jour de sa nomination. La tutelle, même du temps de Sarkozy, l'avait quelque peu lâché vers la fin du quinquennat en lui refusant, par exemple, le versement de son bonus tandis que le bonus de son numéro deux, Pierre Hanotaux, n'était pas remis en cause. C'est bien Pouzilhac qui était dans le collimateur. La rédaction de France 24, elle-même, avait voté une motion de défiance contre lui au moment du départ de Jean Lesieur, le patron de la rédaction.
François Hollande devra, pour le remplacer, utiliser le fameux article 13 de la loi audiovisuelle du 5 mars 2009, qui stipule que l'exécutif nomme par décret, pour cinq ans, le P-DG de l'AEF après avis conforme du CSA et après avis des commissions parlementaires des Affaires culturelles. Hollande, qui veut réformer cette procédure qui a valu à Nicolas Sarkozy une polémique constante, va donc devoir utiliser l'instrument honni, symbole du sarkozysme.
Des rapports houleux avec l'État
Pouzilhac n'était pas à l'origine de la réforme de l'audiovisuel extérieur. Celle-ci a été conçue au début du mandat de Sarkozy par tout un tas de conseillers comme Georges-Marc Benamou, Éric Garandeau, Aline Sylla-Walbaum, Isabelle Mariani, de ministres (Christine Albanel, Bernard Kouchner), et de hauts fonctionnaires comme Laurence Franceschini, l'actuelle patronne de la direction des médias du ministère de la Culture. Le rôle de Pouzilhac a été, d'abord, de défaire le mariage boiteux de TF1 et de France Télévisions, les deux actionnaires "chien et chat" au sein de France 24. Puis, avec Christine Ockrent, sa numéro deux nommée par Nicolas Sarkozy elle aussi, ils ont tenté de trouver un terrain d'entente avec nos partenaires francophones au sein de TV5 Monde dont l'actionnariat et la gouvernance se trouvaient, de fait, modifiés.
Pouzilhac aura, pour sa part, conduit la réduction des effectifs (300 personnes), supprimé des langues chez RFI, lancé l'arabe au sein de France 24 (contre l'avis de la tutelle), refusé de faire disparaître les marques RFI et France 24 comme cela était prévu au départ. Alain de Pouzilhac, dont la carrière s'est faite dans la publicité chez Havas, s'est plaint tout au long de son mandat de l'absence de "culture du résultat" chez les hauts fonctionnaires. Des rapports houleux qui ont bloqué la signature du COM (contrat d'objectifs et de moyens) avec l'État. Quinze jours avant le premier tour de la présidentielle, il refusait encore de signer ce COM que lui tendait Laurence Franceschini... Un COM qui prévoyait des moyens à la baisse.
Des procès à venir avec Christine Ockrent
Au moment de l'affaire Ockrent, Pouzilhac s'était vu refuser de licencier sa numéro deux. Ce blocage, assumé à l'époque par Matignon, avait créé un climat conflictuel au sommet de l'AEF préjudiciable à tout l'édifice.
Alain de Pouzilhac avait lui-même proposé sa démission à Nicolas Sarkozy qui la lui avait refusée. Le départ de Christine Ockrent avait donné lieu à un double contentieux. D'une part, un contentieux indemnitaire. L'ancienne directrice déléguée réclame le paiement de 650 000 euros. L'audience aura lieu à la rentrée. D'autre part, un contentieux pour "harcèlement moral" à travers une plainte contre X instruite par la police depuis plusieurs mois. De nombreux cadres de l'AEF - on parle de plusieurs dizaines de convocations - ont été entendus par le "Château des rentiers" dont Alain de Pouzilhac et Jean Lesieur, l'ancien patron de France 24, plus spécialement visés par la plainte de Christine Ockrent.