François Hollande usera-t-il de son droit de grâce présidentielle ? Le président de la République reçoit, vendredi 29 janvier dans l’après-midi, les filles et les avocates de Jacqueline Sauvage, qui viennent lui demander qu’elle soit graciée.
Mme Sauvage, âgée de 68 ans, a été condamnée en décembre à dix ans de prison pour avoir tué son mari de trois coups de fusil dans le dos en 2012. Un époux qui l’avait battue pendant quarante-sept ans et qui a abusé de leurs enfants. Elle avait plaidé la légitime défense, en vain.
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Quelques jours après cette condamnation, les trois filles de Mme Sauvage adressaient un recours en grâce au chef de l’Etat.
« Monsieur le Président, notre mère a souffert tout au long de sa vie de couple, victime de l’emprise de notre père, homme violent, tyrannique, pervers et incestueux. […] En cette période de fêtes, si vous vouliez nous faire un cadeau, celui-ci serait le plus merveilleux de toute sa vie et des nôtres. »
Une demande qui trouve un large soutien populaire : une pétition sur le site Change.org a recueilli près de quatre cent mille signatures . Des politiques de droite comme de gauche ont également témoigné leur soutien à la mère de famille. La grâce présidentielle est en effet le dernier recours pour éviter à Jacqueline Sauvage de purger sa peine.
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- Qu’est ce qu’une grâce présidentielle ?
La grâce est une prérogative exclusive du président de la République. Elle est inscrite dans l’article 17 de la Constitution.
« Le président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel. »
La grâce permet la réduction d’une peine voire sa non-exécution. Mais elle est sans effet sur la décision de la condamnation, qui figure toujours au casier judiciaire. Certaines condamnations — pour terrorisme, crime contre l’humanité, trafic de stupéfiants ou corruption — sont toutefois exclues du droit de grâce.
- Quelle est la procédure pour demander une grâce présidentielle ?
Pour en faire la demande, un condamné doit avoir épuisé toutes les voies de recours et la condamnation doit être exécutoire. Si le recours en grâce peut être formé par le condamné, un membre de sa famille, un ami ou le parquet peut également en faire la demande.
L’instruction du recours est ensuite réalisée par le procureur de la République près du tribunal qui a prononcé la condamnation. Le dossier est ensuite transmis à la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, qui donne un avis avant que le président de la République ne tranche. Si la réponse est favorable, le décret de grâce doit être ensuite contresigné par le premier ministre et par le ministre de la justice et n’est soumis à aucun contrôle juridictionnel.
- Le droit de grâce, héritage de la monarchie
Le droit de grâce présidentielle est à l’origine un pouvoir régalien. Sous l’Ancien Régime, ce pouvoir de suspendre une peine appartenait aux rois de France. Supprimé en 1789, le droit de grâce est restauré par Napoléon Bonaparte en 1802. A l’origine individuelle, la grâce est devenue collective dans les années 1980 sous la présidence de François Mitterrand.
Et, à partir de 1991, le président de la République octroyait systématiquement, à l’occasion du 14 Juillet, des remises de peine collectives. Elles étaient notamment utilisées pour désengorger les établissements pénitentiaires. D’après un rapport remis par le Sénat en 2007, « la grâce collective concernait trois mille à quatre mille détenus ».
Le président Nicolas Sarkozy n’utilisera ce pouvoir lors de la fête nationale en 2007, et lors de la modification de la Constitution en 2008, le droit de grâce collective est même supprimé. Le président de la République ne peut désormais exercer qu’un droit de grâce à titre individuel.
- Un pouvoir déjà utilisé par François Hollande
En 2012, durant la campagne présidentielle, le candidat socialiste et futur président de la République, François Hollande, avait pris ses distances avec le principe même de la grâce présidentielle, estimant que ce pouvoir rappelait « quand même une autre conception du pouvoir ».
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Une fois arrivé à l’Elysée, le chef de l’Etat a toutefois usé une fois de cette prérogative présidentielle. En 2014, il a utilisé la grâce partielle pour permettre à Philippe El Shennawy, alors le « plus ancien détenu de France », de sortir de prison après trente-huit ans d’incarcération.
Concernant Jacqueline Sauvage, l’entourage de M. Hollande a fait savoir que le chef d’Etat avait « bien entendu la mobilisation », mais qu’il faut « suivre la procédure ».
« Le président de la République les reçoit pour les écouter sans que l’on puisse dire, à ce stade, quand la décision sera effectivement prise. »
- Jacques Chirac, champion de la grâce présidentielle
C’est Jacques Chirac (1995-2007) qui usa le plus de son pouvoir de grâce présidentielle. La plus médiatique fut celle, partielle, accordée à Omar Raddad en 1994, condamné deux ans auparavant pour le meurtre de Ghislaine Marchal. En 2003, M. Chirac gracia José Bové, condamné à dix mois de prison pour avoir détruit des plants de riz transgénique.
Charles de Gaulle accorda sa grâce à Edmond Jouhaud en 1962, condamné à la peine de mort pour avoir participé au putsch d’Alger. Nicolas Sarkozy accordera en 2008 des remises de peine de plusieurs mois à une trentaine de détenus « au comportement exemplaire ».